Le miracle est une tricherie de Dieu. C’est ainsi qu’il lui plait de chambouler nos habitudes mortelles, nos ambitions basses et tordues. C’est ainsi qu’il nous fait découvrir la rupture possible avec une vision linéaire du temps, la logique, la folie, ou la souffrance du remord. Pour tout cela, je dis le miracle de la douceur de l'Évangile qui chaque jour nous est donnée. Je dis le miracle du pardon, comment il est rupture dans la haine, comment il est renaissance, reconnaissance donnée à tous et à chacun. Je dis le miracle simple et proche de nous, toujours présent, maintenant. Car les hommes s'aiment autant qu'ils se haïssent. Peut-être même plus encore qu'ils se haïssent. A défaut de miracle, n'y a-t-il pas là mystère ? Je dis que rien n'est écrit, et que l'Évangile instaure le doute dans une société de certitudes assassines. Et je cite cet Évangile : « Où est-il le raisonneur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? » Ou encore : « Pleurez avec qui pleure, soyez dans la joie avec qui est dans la joie ». Ou bien encore : « Petits enfants, que personne ne vous égare ; celui qui pratique la justice est juste comme celui-là est juste ».
Nous avons le devoir de dire que nous voulons croire en l'impossible. Et que nous ne voulons croire qu'en l'impossible. Car c'est bien lui, cet impossible, qui est la seule alternative au violent pragmatisme des faux sages qui pullulent. Ceux-ci oublient que l'Évangile est source inépuisable de rêves immodérés, démesurés. Il ne faut pas sous-estimer ou avoir peur de cela si l'on veut répondre efficacement au désarroi de nos contemporains. Et au nôtre. Si nous ne voulons pas esquiver nos responsabilités. Pour cela, il nous faut donner, offrir à en brûler soi-même, si nécessaire, la parole d'Évangile qui affirme nos interrogations communes. Ainsi nous donnons ce que nous possédons de plus beau : nous offrons le doute qui fait que nous croyons, nous mettons en commun nos perplexités. En disant l'ignorance qui fonde notre foi, nous disons ce « voile d'ignorance » que nous voulons voir rester comme l’assurance d’une liberté oubliée. C'est alors que, derrière ce voile, se montre l'incroyable, l'incompréhensible douceur et réconfort qu'apporte la prière silencieuse de l'attente. Et que l'on voit comment, partant du nihilisme évangélique, apparaît soudain toute l'évidence de sa sagesse. Car si du désarroi commun peut naître la prière, il peut émerger aussi des rêves d'impossible. La liberté nous est donnée, par exemple, d'imaginer... une société sans prison. Comme d'autres imaginent de priver de liberté des enfants de treize ans.
Nous sommes face à face. Et nous devons leur opposer nos projets de société, nos idées. Nos miracles. Oui, une société sans prisons est possible. Mais qui de nos jours y pense et le dit ? On le voit : la foi que nous avons est incroyablement contemporaine. Ce qu’elle porte en elle est impossible. Un impossible à partir duquel nombre de nos libertés présentes se sont réalisées. Après avoir été rêvées, bien sûr. Simplement rêvées.