stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

L'utopie

Suivi par 37 abonnés

Billet de blog 8 novembre 2008

stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

Abonné·e de Mediapart

Plutôt un président noir qu'un marié gay ?

stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans le Nebraska, les électeur ont voté à 57% pour Mac Cain et à 58% pour interdire tout programme de « positive action » (discrimination positive). Dans l'Arizona, à 59% pour Mac Cain et à 56% pour interdire tout mariage gay. Dans ces états, le vote du candidat à la présidentiel et celui pour les référendums locaux a montré une certaine cohérence : politiquement et moralement conservatrice, pour la défense des valeurs traditionnelles de l'Amérique, notamment en matière familiale.

Dans le Colorado, si une majorité – 54% - s'est retrouvée sur le nom de Barack Obama, une majorité s'est aussi trouvée d'accord – 51%- pour interdire tout programme de « positive action ». En Floride et en Californie, les électeurs ont à la fois choisi Barack Obama (respectivement à 51% et 61%) et interdit le mariage gay (à 62% et 52%). Est-ce aussi cohérent que les votes du Nebraska et de l'Arizona ?

Certains n'ont pas forcément voté Barack Obama pour faire avancer l'égalité en faveur des noirs. Ils ont pu voter pour d'autres raisons – sociale, économique, anti-guerre -, et l'ont fait bien qu'il soit noir. Certains, sans doute ont voté pour Obama, bien qu'il soit démocrate, pour se débarrasser de Bush - trouvant peut-être le président sortant incompétent – bien que ces électeurs soient conservateurs et par exemple opposé au mariage gay et à la positive action.

La cohérence des votes est forcément relative, en particulier quand une campagne se joue à ce point au centre.

Il n'en reste pas moins qu'il y a une certaine discordance. S'ils ont voté pour un noir, ils pensent dans une certaine mesure qu'un noir vaut un blanc. Mais à condition qu'il le mérite et fasse ses preuves même avec des chances de départ inégales, d'où le refus de la positive action. Est-ce une vision complète de l'égalité ?

S'ils considèrent qu'un noir vaut un blanc, en revanche, ils ne considèrent pas qu'un homosexuel vaut un hétérosexuel, en tout cas qu'un couple homosexuel vaut un couple hétérosexuel, en tout cas qu'il doit profiter des mêmes droits. Est-ce encore une position cohérente ?

Inversement, lors de discussions récentes avec des personnes de mes connaissances, j'ai pu constaté que si elles n'avaient pas d'antipathie pour les personnes LGBT – se montrant par exemple favorable à une bénédiction de couple qui serait célébrée par un pasteur – elles avaient du mal à travailler avec un public de femmes maghrébines.

Est-ce plus cohérent ?

Egoïsme et sympathie

« Empirisme et subjectivité » est un livre de Gilles Deleuze sur le philosophe David Hume (1711- 1776), considéré comme le père de l'empirisme. Hume estime que la difficulté dans « les affections de l'esprit » est moins l'égoïsme – qu'il faudrait limiter par des contrats et des lois – que la partialité, les sympathies : personne n'a les mêmes sympathies qu'autrui. Le problème dans la société est moins la limitation – des égoïsmes – que l'intégration de sympathies différentes. Des sympathies qui n'ont pas énormément de cohérence - de personne à personne, de société à société – sinon que la nature nous pousse à préférer la ressemblance et l'uniformité. L'enjeu est alors d'étendre les sympathies. J'ai des sympathies pour cette personne qui est de la même couleur que moi. Mais aurais-je de la sympathie pour celle qui est d'une autre couleur ? Si je n'ai pas de problème de sympathie avec les personnes de couleur, j'en ai peut-être avec celles d'orientation sexuelle différente. Et inversement. D'autres auront d'autres sympathies, organisées différement. Comment allons-nous intégrer ces sympathies ?

Dans ce déplacement du centre de la réflexion de l'égoïsme vers les sympathies, on trouve sans doute une piste pour comprendre ce mystère qui fait que peu de personnes sont universellement progressistes, que peu appliquent avec cohérence les raisonnements égalitaires de manière universelle. Alors, faudrait-il donner moins d'importance à la dimension rationnelle – dans le sens de la poursuite des intérêts - qu'à la dimension sensible et éducative ? En ce sens, le décés de la grand-mère blanche d'Obama aurait-il joué un rôle plus important que son programme économique ?

Mais si on s'arrêtait là, il me semble qu'on trahirait la pensée de Hume.

Comment le philosophe anglais entend-il étendre la sympathie ? Il fait intervenir la conscience morale, qui est pour lui d'abord politique, législatrice. Cela passe par la conversation qui se substitue à la violence : dans la conversation, la pensée – et les sympathies - de chacun se représente à l'autre. Il se construit un point de vue stable et commun. « Quand le coeur ne suit pas », il y a un intérêt pratique à un critère général, un « tiers intérêt » - par exemple l'égalité des droits ou le libre choix en matière de vie privée - qui ne dépend pas des valeurs des interlocuteurs. Mais pour Hume, il est moins question d'une loi qui réprimerait des opinions racistes ou homophobes – ce serait d'ailleurs anachronique – que de voir se créer une « institution ». Qu'entend-il pas institution ? « L'institution, écrit Deleuze, n'est pas une limitation comme la loi, mais au contraire un modèle d'actions, une véritable entreprise, une invention positive de moyens indirects ». L'institution – quand elle produit de la justice par exemple par la positive action ou le mariage gay – joue un rôle correctif et en même temps extensif, elle corrige nos sentiments et nous fait oublier notre situation présente. Elle nous déplace de nos sympathies. Hume, s'appuie sur une autre caractéristique de la nature humaine : si la nature nous pousse à préférer la ressemblance ou l'uniformité, elle est en même temps inventive : « l'artifice est encore nature ». L'institution, parce qu'elle développe la dimension créatrice de l'humanité, est donc à la fois régulatrice et éducative. Elle est normative mais en même temps joue un rôle sur le sensible.

Il n'y a pas à opposer le militantisme pour le mariage gay et l'éducation contre l'homophobie dans les écoles, les livres de Michel Foucault et la participation de Vincent Mac Doom aux jeux de TF1, les programmes de positive action et le succès des élites noires, les « noirs en colère » et ceux qui travaillent pour les républicains. Chacun est une « institution » - Deleuze aurait peut-être dit une « machine » - qui jouent en même temps un rôle correctif et en même temps extensif, sur nos sympathies si incohérentes. Il n'y a donc pas à opposer la promotion du programme économique d'Obama et la médiatisation du décés de sa grand mère.

Stéphane Lavignotte est pasteur et théologien. Derniers ouvrages parus : « Au-delà du lesbien et du mâle, la théologie queer de subversion des identités chez Elizabeth Stuart », préface d'Eric Fassin, Van Dieren 2008 et « Vivre Egaux et différents », L'atelier, 2008.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.