Texte adapté de Bernard Galambaud (Si la GRH était de la gestion, Éditions Liaisons, 2002), fin observateur du monde de l’entreprise. A mettre en rapport avec beaucoup de discours politiques.
Cette idéologie conduit ceux qu’elle habite à revendiquer le monopole de la compréhension du réel puisqu’ils sont eux-mêmes, à leurs yeux, le réel. « Entendez un réaliste : il a immédiatement barre sur son adversaire ; parce qu’il a, croit-il, le réel pour lui »[1]. Cette idéologie de tous les temps et de tous les milieux, est vraisemblablement l’une des sources de l’anti-intellectualisme présent dans l’entreprise. Mais dans l’entreprise française, elle est renforcée par une autre idéologie, celle du pragmatisme dont de nombreux ingénieurs sont porteurs. Or l’entreprise française est de culture ingénieur. L’ingénieur est un personnage qui émerge d’une longue histoire, en se distinguant d’autres personnages et en particulier du savant. Ce dernier cultive la tradition de l’héritage. Ce qu’il sait, il le doit en grande partie à ses maîtres, aux livres écrits par ses maîtres. L’ingénieur, par différenciation, va refuser d’être un héritier, va refuser de voir sa compétence réduite à la connaissance engrangée dans les livres. Alors, qu’elle peut-être la source de son efficacité ? Celle-ci ne peut naître que de la rencontre de son intelligence et du problème à résoudre. C’est le pragmatisme, qui n’est en rien une attitude modeste. Aussi la rencontre de l’idéologie du concret et du pragmatisme est-elle la rencontre de deux prétentions : la revendication du monopole du réel et la survalorisation de sa propre intelligence. Il faut de la modestie pour accepter l’idée que l’on a besoin de comprendre, de savoir penser l’entreprise dans laquelle on vit tous les jours, de savoir penser la gestion dont on a la charge.
[1] Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Librairie J. Vrin, Paris, 1986