Billet de blog 6 décembre 2010

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Des hébergés du Samu social écrivent « J’ai besoin d’un toit mais j’ai envie du château de Chambord »

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À Paris, dans le XIVe arrondissement, le centre Ridderaccueille, pour quelques jours, quelques semaines voire quelques mois, deshommes et des femmes que la précarité sociale et psychique a précipités dans larue. C’est dans ce centre d’hébergement d’urgence avec soins infirmiers du Samusocial de Paris que, depuis dix ans, Babeth Fourest anime, deux fois parsemaine, un atelier d’écriture, pénétrant ainsi « un univers où l’espoir nesurnage qu’à grand-peine ». Pourtant, c’est là qu’elle s’est « mise à croire enl’homme bien plus qu’il ne [lui] avait été possible de le faire jusque-là »parce qu’entendre de multiples voix du même « noyau tendre et invariant del’homme » a désillé ses yeux, a changé son regard.

Aujourd’hui, elle raconte la vie de cet atelier dans J’aibesoin d’un toit mais j’ai envie du château de Chambord, titre emprunté à Daniel, qui, souvent, commence l’atelier en refusant d’écrire puiss’étonne, lorsqu’il se relit quelques semaines plus tard : « C’estmoi qui ai écrit ça ? ». Babeth Fourest nous invite ici à découvrir lecourage qu’il faut à Jenny, à Maurice, à Dominique, à Léonie, à Max… – leshommes plus nombreux que les femmes, semble-t-il – pour « se pencher au bordd’eux-mêmes » dans ce processus de création qui laisse découvrir à l’autre uneintériorité étouffée, barricadée, presque oubliée. L’écriture permet de« partir ailleurs », affirme Georges Bataille, « l’encre change l’absenceen intention ». L’écriture lutte pour la vie tout au bord de la mort, carinscrire ses propres mots exige un effacement vertigineux.

« Nous écrivons pour rendre possible l’impossible »,écrit Théo. « C’est une victoire », laisse tomber Lounis, quand, pour lapremière fois, il accepte d’écrire, « Le soleil va se lever Enfin ! »Des mots, émergent l’enfance, « L’enfance, Terre d’Enfer » (Sacha), le rêve, «Je rêve, et mon âme me suit, pour un voyage inespéré » (Marco), le temps qui passe, « Jecrains d’être obligé de suivre mon parcours avec une méfiance extrême del’horizon » (Karim). La poésie dit la colère, « Les jours passent Et jen’oublie jamais Le tigre qui est en moi ! » (Martin), l’errance,« J’imagine qu’on frappe à ma porte. Le problème est que je n’ai pas deporte » (William), la révolte, « La machine à écrire dit : “J’en ai marrede me faire taper dessus !” » (Josie). La poésie dit aussi le voyage,« Un petit sac de voyage est le mensonge nécessaire pour avoir l’air de partir…Quel repos de croire que je vais partir “avec eux ” » (Jean), les jardins, «Mon jardin est immense Je le cultive. C’est mon jardin secret. Mais il n’a pasde murs » (Patrick), la liberté, « Après douze ans de pensionnat, douzeans d’armée et dix ans de mariage, Je retrouvai la liberté. Mais à quelprix ! » (Gilles).

Invisibles et muettes, les solitudes que nous croisonschaque jour dans la rue, dans le métro, dans les trains, ont chacune un nom. Celivre nous le rappelle simplement. Aucun de ses auteurs, précise BabethFourest, n’a souhaité pour la publication changer le prénom qui signe sestextes. Je regrette de ne pouvoir ici les citer tous, un à un. Un jourpeut-être, vous ou moi, croiserons-nous Daniel : « Si j’étais une plante,je voudrais être une ortie Pour piquer les gens qui se sentent à l’abri » oubien Sacha : « Zeus Ouvrant Un immense drap Bleu Indiqua la Direction del’Aube ».

Françoise Mona Besson

Babeth Fourest, J’aibesoin d’un toit mais j’ai envie du château de Chambord, Lethielleux-GroupeDDB, 17 euros.

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