
51 Pegasi, astre virtuel est le premier roman de Marc Biancarelli.
Traduit du corse, ce livre qui se déroule en Corse dépasse largement la spécificité de cette île. Il a en effet pour sujet le «suicide collectif» du peuple corse - sur lequel l'auteur se penche avec lucidité et dérision - qui lui-même s'inclut dans le mouvement général du suicide du genre humain, «un peuple qui n'aurait plus sa place sur terre».
Marco, le héros et narrateur, s'est exilé sur le continent après le scandale provoqué par la publication de son livre polémique: Prisonnier de mon village de fous ( Rappelons qu'il s'agit d'une fiction !(1) ). Il revient dix ans après dans une Corse devenue autonome, citadine et moderne.
Ecrivain raté à la dérive, idéaliste à la fois révolté et désabusé, il navigue de cuites en baises avec ses amis peu glorieux et, trop impulsif, se montre toujours incapable de résister à la violence et de saisir sa chance quand parfois l'amour se présente. Il retrouve par hasard un ancien élève un peu fou , inventeur d'une étrange machine pouvant projeter dans un univers virtuel...
C'est un roman d'une grande vitalité, dont le bouillonnement rebelle s'exprime notamment dans la crudité souvent inventive de l'écriture qui cherche à cerner le réel au plus près, en l'éclairant d'un rire salutaire. Bouillonnement et crudité du vocabulaire dont la démesure donne un souffle à la révolte du héros, un peu à la manière d'Henry Miller (l'auteur des Tropiques (2))
Un style par ailleurs très varié, même s'il est également marqué par l'auto-dérision constante d'un narrateur qui de plus interpelle régulièrement le lecteur, comme pour l'associer aux aventures pitoyables et risibles du héros. Avec de nombreux clins d'oeil littéraires et cinématographiques, Marc Biancarelli aborde ainsi, avec bonheur, fable des origines , récit ironique et savoureux du retour dans une Corse nouvelle, récits fantastiques et de science-fiction ou confession d'un nationaliste repenti, s'amusant même à transformer un roman à l'eau de rose en roman pornographique et à imaginer des mises en scène truculentes ...
Et se dessine alors, peu à peu, notre monde moderne, un monde décérébré et uniformisé dont toutes les valeurs intellectuelles et spirituelles ont été extraites, un monde totalement déshumanisé , monstrueux et menaçant, qui ne se situe plus à des années lumière...
Roman cynique et pessimiste, voire nihiliste ? Pas si sûr !
Car l'intensité de l'écriture, la violence des mots et les incursions dans un univers virtuel fantastique procurent une sorte d'ivresse qui rompt, justement, la pesanteur étouffante de notre société. Et, peut-être, le lecteur finira-t-il par se demander s'il ne peut pas, lui aussi, tenter d'y échapper.
*51 Pegasi est le nom donné à la première planète découverte hors du système solaire en 1995
1) allusion à Prisonnier, recueil de nouvelles de Marcu Biancarelli qui avait créé un scandale en Corse lors de sa publication (en 2000).
2)Tropique du Cancer (1934), Tropique du Capricorne (1939), deux livres marquants de l'écrivain américain Henry Miller.

51 Pegasi, aste virtuel, Marc Biancarelli, Albiana 2005, traduction de J. Ferrari
EXTRAIT 1 (p. 80/84)
Et je me suis retrouvé sur le plateau d'Estru è Literatura, avec ce canon de Benedetti et ce minet de Matthieu Piredda en face de moi, apprêté comme un dandy et qui se la jouait comme pas possible. C'était un habitué des lieux, ça se voyait à sa manière de se comporter comme en terrain conquis, et en privé, je veux dire avant l'émission, il était à tu et à toi avec cette bombe atomique de Lisa Benedetti, vingt-neuf ans , un mètre soixante-huit, brune, certainement un coup extraordinaire au pieu, et en parlant de pieu, le mien était dur comme de l'acier et il me fallait vraiment me concentrer pour réfléchir à la poésie. Après une longue préparation, avec une bande de techniciens qui nous faisaient chier à installer tout le matériel et les micros et qui devaient se prendre pour je ne sais qui sous prétexte qu'ils faisaient un métier moderne et branché, le générique est passé à toute vitesse, avec une musique insupportable, style Apostrophes, émission intellectuelle avec la crème des monte-queues. Cette musique, d'ailleurs, devait être un morceau d'Eric Satie, il n'y a pas de pire souffrance pour moi que d'écouter quatre secondes de Satie, alors tout un générique, je voulais me tirer. Mais comme je l'ai dit, on s'est tout de suite retrouvés à répondre à Lisa Benedetti, qui a placé l'émission sous l'égide de la posésie, et qui après avoir présenté nos livres m'a agressé d'entrée : « Vous, cher ami, vous n'avez rien publié au cours de vos dix années « en exil », si je puis dire. Maintenant, vous sortez ce recueil de poèmes, Natura ipso factum, et nous reviendrons sur ce texte dans un moment, mais chacun se rappelle l'auteur d'il y a dix ans, celui qui publiait le polémique Prisonnier de mon village de fous ou qui écrivait des poésies un peu, comment dirai-je? Un peu effrontées et même cochonnes. Il y avait alors comme un souffle, une vitalité moderniste, une conception provocatrice, même, alors pourquoi ce silence de dix ans? Et pourquoi revenir maintenant avec ces poèmes qui, disons le tout net, n'ont rien à voir avec votre pratique précédente... - Je ne sais pas, j'ai répondu, la vie est comme ça, j'ai voyagé, j'ai ressenti le besoin de découvrir d'autres horizons et de m'enrichir intellectuellement – c'était un gros mensonge : je m'étais enfui, oui! - et ma création devait peut-être elle aussi se nourrir d' autres influences, aller à la rencontre de l'autre, il me fallait m'ouvrir à la différence et repousser plus loin les limites de ma création – tout était faux, ma quête généreuse de l'altérité cachait qu'en fait j'avais toujours supporté les autres avec difficulté, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs, et si la vie m'a bien appris quelque chose, c'est que les cons d'ailleurs sont encore moins supportables que nos cons à nous. - Dans votre livre, on ne retrouve pas les thèmes anciens, la sexualité, le besoin de provoquer la société insulaire... Quand on lit Matthieu Piredda, par exemple, on voit qu'une écriture sensuelle, voire érotique, a toujours sa place, n'est-ce pas cela votre problème, ne pas avoir su passer de la pornographie à l'érotisme dans vos écrits ? » Inutile de dire que ce minus de Piredda ne se sentait plus pisser, et qu'il me regardait d'un air victorieux que je lui aurais fait ravaler si nous n'avions pas été en direct. Cette salope de Benedetti venait de me lancer un violent uppercut au foie, mais je n'étais pas encore complètement K.-O., la rage montait et m'apportait des ressources nouvelles. « Et pourquoi me parlez-vous de pornographie? Vous croyez que ce que j'écrivais, c'était de la pornographie? Pour moi, c'est d'écrire sur notre identité, comme faisaient la plupart des écrivains à l'époque, qui était la vraie pornographie. Il n'y a rien de plus pervers et de plus fasciste que de chercher à enfermer le lecteur dans une identité qui soit un modèle, qui soit exposé comme une leçon de vie. Après, celui qui ne correspond pas à cette identité doit se sentir coupable, porter l'infamie de l'acculturation. Voilà ce qu'est un écrit pervers ! C'est ça la pornographie ! » Ca ne voulait absolument rien dire , ce que je venais de dire, mais au moins, je donnais l'impression d'avoir un discours et une réflexion sur la société, et je montrais que je connaissais les concepts de perversion et d'acculturation, ce qui posait son homme. En plus, je réglais quelques vieux comptes et je me faisais plaisir, enfin, j'étais hors sujet, complètement, je m'en rendais bien compte mais il fallait bien dire quelque chose, surtout qu'en plus, c'était vrai ce que disait Benedetti, je n'avais jamais retrouvé l'inspiration après mes écrits cochons, je n'avais pas su évoluer et mon talent c'était vraiment asséché.
EXTRAIT 2 ( p.143/144)
(...) Elles me racontaient leurs vies , et leurs vies c'était des bites par wagon, du cul, rien que du cul, se faire bourrer du matin au soir en essayant de me faire passer ça pour autant d'histoires de coeur, où elles faisaient semblant de voir une forme de nostalgie romantique. Les salopes qui se sont présentées à moi en disant qu'elles étaient des salopes me rendront grâce en lisant ce livre, je ne parlerai jamais d'elles dans aucun de mes textes, elles ne sont pas présentes ici, j'ai toujours eu de la considération pour elles et elles le savent, les autres, les chiennes qui se maquillent de vertu, elles, je les ai toujours traitées selon leur mérite et je ne regrette rien. Elles, par contre, à chaque fois que je les larguais comme les merdes qu'elles étaient, elles se permettaient les crises, les insultes, elles faisaient même mon procès et elles me jugeaient, l'une m'a même menacé de mort en disant qu'elle avait des frères qui s'occuperaient de moi. Putain! La vendetta après l'enculade! Dans quel monde vivons-nous? Quel remue-ménage étrange et trouble faut-il avoir fait dans sa tête, quel mélange toxique d'une vie de merde et d'interprétations culturelles vidées de leur sens pour faire glisser le droit traditionnel vers le chemin boueux du cul? Comment prétendre répondre au non-sens d'une existence complètement recouverte par la crasse de la luxure avec les soi-disant valeurs de l'éducation et de l'identité collective? On a tout vu, mes amis, on a tout entendu pendant ces trentes dernières années , mise à part la seule chose qui aurait pu avoir une quelconque pertinence : nous sommes cuits. Cuits , comme les autres, et le fric et le cul, le paraître, les émissions de M6 sont aujourd'hui nos raisons de vivre, la dernière croyance qui reste en nous-même. Alors oui, réactionnaire, poivrot, cloche, dégueulasse, enculé, tout ce que vous voudrez. Et vous ? Moi, au moins, je suis cohérent avec moi-même. Quand je vois un étron, je dis que c'est un étron, je ne prétends pas que c'est une pierre précieuse. (...)
Critique également publiée dans L'or des livres :
http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/article-36230509.html
