Je cherchais le bon ordre, il n’y avait pas de bon ordre, donc self-service! Du tout récent, du plus ancien, une attirance idiote mais persistante pour le plus de 800 pages, de la chance pour cette fois :un seul livre immédiatement rangé dans la caisse « spéciale Emmaus ».

A l’abri de rien, d’Olivier Adam
Celui-là, paru à l’automne dernier, j’ai laissé passer un délai raisonnable ( trop à la mode). Quelque part du côté de Cherbourg, dans l’après-Sangatte. Un lotissement, une jeune femme qui vacille au bord de la dépression ou de la bouffée délirante, une ville qui fait comme si. Comme s’il n’y avait, devant le Monoprix, ces trente kurdes, irakiens, iraniens ou afghans transis, comme si la police ne s’en allait pas chaque jour rouer de coups les squatters en attente de passage pour l’Angleterre qui dorment dans les blockhaus de la plage. Et ça, cette ville qui rejette dans le silence, ces clandestins sortis de pays en guerre qui marchent le long des champs de betteraves, c’est vraiment la partie la plus inspirée, la plus juste du livre. Marie, en allant aider ces clandestins, rompt le contrat tacite d’ignorance, et va le payer cher. Pourquoi ne suis-je pas entrée tout à fait dans « A l’abri de rien », cependant ? D’abord à cause de Marie, narratrice et héroïne qui évoque si directement celle d’"Une femme sous influence" de Cassavetes. Même maëlstrom intérieur, même intense complicité avec les enfants, même époux, amoureux sans mot, conducteur de bulldozer ici, conducteur de car scolaire là. Gena Rowlands – vu dix fois le film – a interféré ! Et puis, deux des livres antérieurs de d’Olivier Adam ont fait l’objet d’adaptations cinématographiques. Est-ce à cause de cela ? Celui-ci est prêt à filmer, pas une scène, pas une description de trop, pile-poil. Et justement, c’est l’inutile et la déraison de la littérature qui m’ont manqué.
Les Vivants et des ombres, de Diane MeurC’est un solide 700 pages paru il y a un peu moins d’un an. Le temps ? De la moitié du XIXème siècle aux prémices de 1914. Le lieu ? Ah, le lieu, justement. La Galicie, soit un lieu sous autorité de l’Autriche-Hongrie, arraché à la Pologne, habité par tous , ruthènes-ukrainiens compris. C’est donc une saga familiale, où les identités, les appartenances nationales et idéologiques, s’exacerbent sur trois, quatre générations. Une saga ? Oui, avec ce qu’il faut de destins aboutis ou bien détruits, mais dont le narrateur est justement un lieu : la maison elle-même, avec son regard confiné au périmètre de la propriété, sa connaissance intime des chuchotements dans un couloir, des déplacements nocturnes. La maison parle, et s’attache tout particulièrement au destin des femmes, elles aussi souvent confinées entre les murs. L’astuce narrative pourrait être artificielle, or, pas du tout. La maison bavarde , par son ignorance de ce qu’il advient de ses occupants lorsqu’ils s’éloignent, sollicite l’imaginaire, par son immobilité, nous fait entrer dans le rythme lent des jours identiques. Superbe.
Une histoire de fous, de John KatzenbachLongtemps que je n’avais pas ouvert un polar : j’avais de plus en plus de mal à distinguer ceux que j’avais lu de ceux que je n’avais pas encore lus. Cette histoire de fous réconcilie avec le genre. Vingt ans après un drame survenu dans un hôpital psychiatrique dont il était alors un adolescent pensionnaire, un homme remonte le fil de l’histoire. Suspens d’autant plus grand que le narrateur, qui vit avec ses voix intérieures, écrit l’histoire sur le mur de son studio, entretient l’incertitude quant à son propre récit !
Les passagers du Roissy-express de François Maspero.Ce livre là n’est pas si récent, publié en 1990. J’étais à la recherche d’une documentation, et c’est dire si Roissy express est une réussite, j’ai complètement oublié quoi. Pourtant, je renâclais. S’embarquer un jour de printemps à bord du RER B, avec sac à dos et brosse à dents, et vivre d’improbables vacances tout au long des 38 gares de banlieue qui jalonnent la ligne, mmm, ce pourrait être aussi une terrible idée tendance. François Maspero se soucie comme d’une guigne d’être tendance, tout comme sa compagne de voyage, Anaïk, photographe de son état, et fille au caracatère liant. Roissy-Saint-Rémy-les-Chevreuse, les voici donc perdus sous des échangeurs que d’ordinaire on n’aperçoit que par les vitres de la voiture, suant sur la route qui mène à une citée reléguée aussi loin que possible, flânant le long d’un canal oublié, revisitant l'histoire de Drancy, dormant au dessus d’un resto vietnamiem, ou le long du mur anti-bruit de l’autoroute. Rencontres, gens, échanges, et il faut ajouter, une très fine connaissance de l’histoire des lieux traversés : c’est passionnant. Le livre a été publié dans la collection Fiction et cie du Seuil, mais c’est une magnifique leçon de journalisme : apprendre à regarder, découvrir ce que l’on ne voit plus tant c’est proche, et le décrire , hors conventions.

J’aime pas Malraux. Pas faute d’avoir essayé. En espérant une sorte de rattrapage culturel, j’avais lu sa biographie signée Olivier Todd, ce qui n’a pas arrangé les choses. J’y découvris un immense mythomane, un grand handicapé affectif. Mais aussi, sa femme.. Paradoxal , les héroïnes féminines, chez Malraux, relevant du papier peint. Je me suis donc jetée sur la bio de Clara Malraux, née Goldschmidt, juive allemande, dotée d’un instinct politique et littéraire assez sûr, d’un caractère infernal, aussi, résistante, rebelle toujours. Bon, ce n’est pas une très grande biographie, il y manque un peu d’ampleur, d’inspiration, mais c’est la seule : le véritable héros de Malraux, décidément, c’est Clara.
Plus tard tu comprendras, de Jerôme ClémentLe président d’Arte ? Lui-même. Un homme fait, qui entretient avec sa mère une relation d’étroite complicité, jusqu’à la mort de celle-ci. Alors, il faut trier les papiers, revisiter l’existence de celle qui ne fut pas que mère, mais aussi femme, mais juive, pendant les années de guerre. Voici le récit de cette exploration, à la fois intime, matérielle, historique. Devoir d’amour et de mémoire, cruel, éclairant. On pense parfois à « Un secret » de Philipe Grimbert, mais Jérôme Clément, qui appartient à une famille faite à la fois de catholiques inscrits dans le terroir depuis des siècles, et de juifs russes chassés par les pogroms du début du XX ème siècle, explore sa propre histoire et le silence de sa mère avec une sorte d’honnêteté , de retenue constante qui au bout du compte rend extrêmement attachant ce livre : il est porté par une nécessité. A part ça, vu l’amour des livres qui transparait chez le monsieur, on se demande pourquoi Arte ne nous offre pas une bonne émission littéraire, nom d’un chien.
Un autre, d’Imre KerteszSous-titré : chronique d’une métamorphose. Si vous ne connaissez pas encore Kertesz, ne commencez pas par celui-ci, qui s’inscrit comme une suite. Lisez, et d’urgence encore, "Etre sans destin", récit de sa déportation, celle d’un enfant juif hongrois. C’est un de ces livres qu’on range immédiatement auprès de Primo Lévi ou Robert Anthelme ( Kertesz entretenait d'ailleurs une correspondance avec Levi). Lisez aussi Le Refus, qui vous fait parfaitement vivre l’irrespirable et la grisaille des années communistes hongroises. "Un autre", réflexions, observations, souvenirs, c’est le périple européen d’Imre Kertesz après l’octroi du prix Nobel, qui lui vaut soudainement d’être invité partout – une Europe dont il découvre le visage d’aujourd’hui – avec attente de ceux qu’il croise : il est le survivant, le témoin de la Shoah, le témoin du stalinisme. Extrême intelligence, parfois humour souterrain, je l’ai lu un bout par ci, un bout par là, c’était comme renouer une conversation nocturne, où ne se dit que l’essentiel.
L’or du temps, de Claudie GallayC’est un homme. Il arrive, avec les filles, jumelles, sa femme, Anna dans la maison de l’été. Lumière de la côte normande, mer qui se retire loin, iode et volets à repeindre, courses à Veule les roses.
C’est un homme qui se tait beaucoup. La vie se délite, l’amour s’achève, il ne le sait pas, ou ne veut pas le savoir. Il croise une femme agée, Alice, esprit pour le moins indépendant, tantot revêche, tantot séductrice, toujours passionnante. Alice, jeune fille, a connu André Breton, exploré comme lui l’art sacré des indiens hopi sur les mesas de l’Arizona. Rencontre initiatique et voyage dont on ne revient pas, ou pas le même, sur fond de quiche cuisant au four. Livre rêveur qui fait rêver.
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Ces cahiers, sortis de l’ « armoire bleue » de Neauphle le Château après la mort de Marguerite Duras, ont été écrits entre 1943 et 1949. C’est une relecture : Duras fait partie des quelques écrivains qui me sont indispensables. Amorce de romans – qui réapparaitront dans des œuvres abouties comme Un barrage contre la Pacifique ou La Douleur, notations, emportements. La mort de son enfant. J’adore l’inachevé, et cette intrusion dans un imaginaire et une écriture en cours de construction.
La femme du Vème de Douglas KennedyLe voilà, celui qui a atterri dans la caisse Emmaus ! Pas charitable pour les fauchés, au demeurant. C’est « bien fait », comme on dit, ça « fonctionne », comme on dit, ça m’ennuie, comme je dis. Ponçifs et mystères prévisibles.