Billet de blog 25 juin 2008

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Pierre Senges vous laissera perplexe et... heureux

 Je viens de faire une recherche sur le site: pas de trace de Pierre Senges. Réparant cet oubli, j'espère en même temps vous donner l'occasion de glâner, dans ses oeuvres, quelques moments de vrai plaisir... si vous aimez les mots et toutes les cabrioles que l'on peut faire avec.

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Je viens de faire une recherche sur le site: pas de trace de Pierre Senges. Réparant cet oubli, j'espère en même temps vous donner l'occasion de glâner, dans ses oeuvres, quelques moments de vrai plaisir... si vous aimez les mots et toutes les cabrioles que l'on peut faire avec.

Le premier roman de Pierre Senges date de l'an 2000. C'était "Veuves au maquillage". Depuis, de récits en fictions radiophoniques (France Culture) et en nouveaux romans, l'oeuvre de cet autodidacte très érudit et très brillant s'est bien étoffée.

En début d'année, il a fait paraître "Fragments de Lichtenberg", étonnant dossier tressé en plus de 560 pages, autour de la biographie et de l'oeuvre du philosophe-physicien allemand du XVIIIe siècle (1742-1799), autour également de l'histoire, petite et grande, et des connaissances de l'humanité. Car son terrain d'action ne connaît, semble-t-il, ni frontières, ni limites.

Senges est un écrivain baroque. Il ne décrit pas une action, il la commente simultanément, la critique aussi et envisage déjà toutes ses conséquences dans la même phrase, "histoire de pousser plus loin le raisonnement". Ses phrases sont des fleuves sinueux qui roulent des galets sonores, qui charrient de brillantes pépites, qui se nourrissent d'affluents lourds de limons fertiles, qui arrachent aux rives de leurs méandres des substances euphorisantes, des produits exhilarants, car pour lui le rire doit se jouer de toutes les connaissances.

Il vole de pensée nouvelle en idée folle, développe une logique de l'absurde, de l'association d'idées contradictoires pour creuser dans l'esprit de son lecteur - et au plus grand plaisir de ce dernier - des abîmes de perplexité vertigineuse et amusée. On s'immerge avec ses livres dans un tourbillon de mots qui vous ravissent en dansant et vous laissent en confortable apesanteur.

Pour vous mettre en appétit, voici un aperçu des sujets qu'il aborde dans ses quatre ouvrages romanesques. Vous verrez qu'il s'intéresse aux objets les plus divers, pour revenir toujours à un thème central: la critique jouissive de l'homme, de son autosatisfaction et de sa vanité.

Veuves au maquillage (2000 - Verticales / 2002 - Points Seuil)

Un homme veut en finir avec la vie. Pour qu'elles le "suicident", il va faire appel à six veuves qui ont toutes fait de la prison pour avoir assassiné leurs maris, des spécialistes donc. Mais elles ne veulent pas récidiver. Une longue fréquentation mènera pourtant au but recherché, dans un étrange cérémonial de chirurgie amoureuse... A la fin de 499 paragraphes dûment numérotés, de cet homme qui dicte sa progressive disparition à ses veuves, il ne restera pas grand'chose, mais il aura eu le temps de vous parler du monde, de la vie qui va, de la vie qui s'en va, avec une pessimiste désinvolture.

Ruines-de-Rome (2003 - Verticales / 2004 - Points Seuil)

Un employé du cadastre, dont la retraite approche sans que la ville qui le fait encore travailler ait reconnu ses mérites, décide de se venger. Jardinier amateur mais connaisseur, il fera appel aux plantes (patience, ruines-de-Rome, etc.) pour déclencher dans la ville une apocalypse végétale, sournoise et souterraine, qui "dévastera les murs, soulèvera le goudron...", pour faire "retourner l'urbaine civilisation à ses friches premières". Mais, précise l'auteur, on pourra lire aussi l'ouvrage "comme un pur et simple manuel d'horticulture".

La réfutation majeure (2004 - Verticales / 2007 - Folio)

Antonio de Guevara (1480 - 1548) fut le confesseur de Charles Quint. La "Refutatio major" est un document écrit en latin, retrouvé à la bibliothèque de Grenoble. Ce document a été attribué à Guevara. Il s'agirait d'une lettre adressée à Charles Quint dans laquelle le confesseur nie que Christophe Colomb ait pu découvrir l'Amérique. Pierre Senges traduit la lettre... et y ajoute une postface.

Fragments de Lichtenberg (2008 Verticales)

De Georg Christoph Lichtenberg, écrivain et physicien allemand mort à Göttingen en 1799, nous connaissons surtout un ensemble de textes très courts, semés sur des "Sudelbücher", traduits par "Griffonnages", dont on parle aussi comme des 8100 aphorismes de Lichtenberg. Lichtenberg est connu en France parce qu'André Breton le tenait pour un "grand maître de l'humour".

Quelques exemples de ces aphorismes: "Il se noie plus de gens dans de petits verres que dans les grandes rivières" - "Celui qui est amoureux de soi a au moins l'avantage de n'avoir pas trop de rivaux" - "L'Américain qui découvrit le premier Christophe Colomb fit une méchante rencontre".

Pierre Senges, qui connaît son Lichtenberg sur le bout des doigts, nous enseigne qu'en fait les 8100 aphorismes ne sont, de l'avis de vraiment beaucoup de spécialistes, que des fragments d'une oeuvre immense de 10000 pages (le Roman de l'Univers, en quelque sorte) que Lichtenberg aurait en très grosse partie dispersés ou brûlés. Un énorme livre total qu'il s'agirait de reconstituer (avec ciseaux, colle, papier...). Cela donne, pour le lecteur de "Fragments de Lichtenberg", 570 pages seulement, mais 570 pages de pur plaisir.

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