Billet de blog 25 août 2012

Pierre Yves Morvan
Écolo-sensible, mais pas écolo-rêveur
Abonné·e de Mediapart

L'illusion des dangers des pesticides - désinformation militante

Pierre Yves Morvan
Écolo-sensible, mais pas écolo-rêveur
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'illusion des dangers des pesticides - désinformation militante

 Une propagande militante désinforme et donne l'illusion du danger des pesticides. Pourtant, les pesticides sont nécessaires pour nourrir l'humanité. Les pesticides ne nuisent pas à la santé.

Donnez-nous notre pain quotidien

« Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ! Pour beaucoup de pauvres diables, c’est une prière qui vient du cœur car le pain n’est pas très assuré. Il y a encore des maisonnées d’enfants qui se disputent les tranches et les quignons. Ils sont sept, neuf, douze et même plus, avec des faims de loups. Et la farine cuite est la base de la nourriture avec peu de chose autour. » (Pierre-Jakez Hélias, Le cheval d’orgueil – mémoires d’un breton en pays bigouden – Plon) (On parle ici de la Bretagne d’après la première guerre mondiale, c’était hier.)

Ce serait bien s’il suffisait de demander pour obtenir notre pain quotidien. Pendant des siècles on l’a demandé dans les processions des rogations : « A fame, bello et peste, libera nos domine ! » (De la famine, la guerre et la maladie, délivre-nous, Seigneur !) Mais pendant des siècles ce fut sans résultats : jusqu’à il y a quelques dizaines d’années le pain quotidien était rare, même trempé de la sueur de son front, et l'humanité flirtait en permanence avec la disette et la famine.

Il ne suffisait pas que mère nature puisse multiplier les grains, comme dans un tour de magie. Vous mettez UN grain de blé en terre, et ensuite il suffit d’attendre le prochain printemps pour que notre généreuse mère nourricière nous régale de… Abracadabra !… DEUX grains de blés ! Olé ! La multiplication des grains ! Un rendement de deux grains pour un, 200%, comblerait d’aise n’importe quel usurier… C’est ce que pouvait espérer un paysan au temps de Charlemagne. Hélas, cette performance, qui était souvent compromise par la moindre condition climatique défavorable, était bien insuffisante pour rassasier la multitude des hommes et de leur progéniture, il fallait faire beaucoup mieux.

On a fait mieux. dix quintaux de grain à l’hectare en 1800, jusqu’à 100 quintaux aujourd’hui. Ce fut peut-être une juste rétribution des processions… mais ce fut certainement aussi suite à l’amélioration des techniques agricoles.

Le voleur est dans le pré

« Un agriculteur n'utilisant aucun désherbant chimique comme cela peut encore se faire en Inde par exemple, passe les 2/3 de son temps à désherber. On dit aussi qu'en Afrique un agriculteur travaille un jour pour nourrir sa famille et un autre jour pour nourrir les ravageurs. »

Il a fallu beaucoup de temps, d’efforts et d’astuces pour augmenter les rendements. Il fallait entre autres apprendre à se défendre de la concurrence déloyale d'une multitude de pickpockets. Car nos cultures excitaient les convoitises, faisant saliver des milliards d’insectes qui voulaient profiter de la bonne aubaine pour faire bombance et pulluler, qui applaudissaient à deux mains, je veux dire à six pattes, en regardant les hommes s’échiner à produire du grain… Il leur suffisait d'attendre nonchalamment étendus dans les herbes du talus, tandis que les pauvres hommes, ces bonnes poires, s’éreintaient sur le sol ingrat…

Les herbes indésirables aussi savaient profiter de la bonne aubaine ; elles s’installaient sans vergogne sur la terre si durement travaillée, pour y établir leur squatt et croître et prospérer, quitte à étouffer nos épis de leur envahissante compagnie.

Les dégâts étaient considérables, et le sont encore comme le montre le schéma suivant (pertes globales, tous types d’attaques confondues, insectes, adventices, etc.) :

Sources : d’après Safeguarding production—losses in major crops and the role of crop protection - Crop Protection 23 (2004)

E.-C. Oerke*, H.-W. Dehne - Institute for Plant Diseases, University of Bonn, Valeurs pour 1996-1998

La réalité est évidemment très variable, selon les cultures, les régions, le type d'attaque. L’étude précise ces variations (pertes potentielles jusqu’à 80% et plus pour le coton, pertes réelles de 40% pour le riz, pertes principales dues aux "mauvaises herbes"…) Le schéma résume l’importance globale du problème : 68% de pertes si on ne fait rien !

Les Écritures Saintes nous avaient prévenus « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. »

Mais la réalité dépasse la fiction. Il fallait écrire "Tu gagneras le pain des larves, chenilles et asticots, à la sueur de ton front, et tu mangeras ce qu’ils te laisseront…"

Des pesticides sur-naturels 100 % non-chimiques

Nous sommes en guerre !

Nous sommes en guerre ! Entendez-vous dans nos campagnes dévorer ces féroces pillards ? Ils viennent jusque dans nos champs, enlever le pain de la bouche de nos fils et de nos compagnes. Aux armes citoyens !

Une guerre meurtrière ; les famines furent terribles et nos pertes énormes lors des offensives ennemies. Lors de l’épidémie de mildiou de 1845 en Irlande, un million de personnes moururent de faim, un million durent émigrer vers les États-Unis. Aux armes citoyens !

Hélas, jusqu’au XXe siècle, les armes des citoyens furent d’une efficacité douteuse.

On avait tout essayé, même la chicane et le procès, en vain. Luc Ferry rapporte quelques-uns des nombreux procès intentés contre des animaux à cette époque. Par exemple, en 1545, le procès demandé par les habitants du village de Saint-Julien auprès du juge épiscopal de Saint-Jean-de-Maurienne, contre des charançons ravageant leurs vignobles. Les charançons étaient défendus par un avocat désigné par le juge épiscopal. Ils furent vainqueurs, le juge, « arguant du fait que les animaux, créés par Dieu, possédaient le même droit que les hommes à se nourrir de végétaux, avait refusé d’excommunier les [charançons], se bornant, par une ordonnance en date du 8 mai 1546, à prescrire force prières publiques aux malheureux habitants sommés de se repentir sincèrement de leurs péchés et d’invoquer la miséricorde divine. Au passage, il les invitait à payer la dîme sans tarder – c’était l’occasion rêvée –, ainsi qu’à faire "pendant trois jours consécutifs, trois processions autour des vignobles envahis". Suivaient encore d'autres dévotions et pénitences du même ordre. » (Le nouvel ordre écologique – L’arbre, l’animal et l’homme, Luc Ferry, Plon, page 9 – Pour le divertissement je recommande aussi Une histoire du monde en 10 chapitres ½ – Julian Barnes – Stock)

L’histoire ne dit pas quelle fut l’efficacité de ce genre de pesticide, dont on ne peut pas dire qu’ils étaient naturels – ils étaient plutôt sur-naturels ; mais prières et repentir étaient garantis 100 % non-chimiques.

La chasse aux sorcières

Depuis le Moyen Âge, d’autres moyens ont été développés. On dispose aujourd’hui d’engrais et de pesticides de synthèse, produits par l’industrie chimique. Et ça marche ! On peut maintenant nourrir sept milliards de terriens. Grâce à la chimie !

Pendant des millénaires les hommes ont eu la hantise de la disette et de la famine.

Les famines ont été vaincues par les engrais et les pesticides, cette hantise a maintenant disparu. Mais nous avons aussitôt troqué la crainte des famines contre la crainte… de ces engrais et pesticides qui nous avaient sauvés ! Ils nous ont sauvés de la famine… mais nous craignons que ce ne soit que pour mieux nous empoisonner ! Nous sommes comme des rescapés qui accusent les pompiers qui les ont sauvés… d’être entrés sans frapper et d’avoir fracassé la porte. C’est pourquoi nous avons inventé l’agriculture biologique… qui consomme 30% de terre cultivable en plus !

La sorcière édentée qui offrait une pomme empoisonnée à Blanche-Neige existe, elle nous offre tous les jours des pommes empoisonnées aux pesticides. Cette effrayante sorcière, c’est la chimie.

Il faut peut-être remonter aux plus anciens temps pour comprendre le rejet des œuvres des hommes et l’admiration béate des œuvres de la nature. Cette réaction traduit une sacralisation plus ou moins inconsciente du cosmos, de la terre, de la nature, en tant qu’ils seraient œuvre divine, ou le divin lui-même. La terre serait la déesse-mère des mythes les plus anciens, qui racontent que l’union du ciel et de la terre fut à l’origine de toute vie. Une scène torride… imaginez les nuées du ciel qui s’approchent des croupes grasses de la terre alanguie… Il suffit d’un clin d’œil du ciel, un jet de lumière à travers les paupières mi-closes des nuages, pour que les courbes de la terre se dévoilent et se laissent admirer du ciel, impudiques et provocantes, s'offrant aux nuages gros de la pluie féconde, fières de leur perfection nue. Et alors, le ciel et ses nuages approchent la terre, pour la caresser, l’enflammer, pour s'unir à elle. Torride.

En ce temps-là Hésiode chantait « la terre, la toute belle aux seins épanouis ».

C'est ainsi qu'est né, autrefois, le mythe d’Ouranos et de Gaïa, de la terre fécondée par le ciel pour engendrer la vie, les hommes et les moissons des hommes. Sans engrais ni pesticides, pas question d’intervenir avec de la chimie dans une histoire aussi grandiose.

De la même façon, les Pères de l'Église, il y a presque deux mille ans, refusaient d’intervenir de quelque façon que ce soit, dans quelque aspect que ce soit de la Création. Clément d’Alexandrie (150 – 215) soutenait que « la coquetterie est une insulte au créateur puisqu’elle vise à améliorer ce que Dieu a fait ». Les fabricants de crèmes et lotions contestent énergiquement.

Tertullien de Carthage (v. 155 – 235) précisait :

« Ce qui est de nature est l’œuvre de Dieu, ce qui est factice est donc l’affaire du diable. »

« Ce que Dieu n'a pas produit ne saurait lui plaire ; à moins que ce ne soit par impuissance qu'il n'ait pas fait naître les brebis couleur de pourpre, ou de toute autre couleur. S'il a pu le faire et ne l'a point fait, c'est donc qu'il ne l'a point voulu : or ce que Dieu n'a pas voulu, est-il donc permis de le faire ? Dans la nature, on ne peut regarder comme parfaites les choses qui ne viennent pas de Dieu, auteur de la nature : il faut les regarder comme venant du diable, le corrupteur de la nature. » (Traité de l’Ornement des Femmes)

S’il n’existe pas naturellement de brebis couleur de pourpre, c’est que Dieu ne l’a pas voulu ; logique implacable ! S’il n’existe pas naturellement de pesticides de synthèse, c’est que Dieu ne l’a pas voulu, et il n’est pas permis de faire ce que Dieu n’a pas voulu faire. Voila peut-être pourquoi la chimie d’une façon générale, les pesticides de synthèse plus particulièrement, nous effrayent tant.

A moins qu’il y ait d’autres raisons, plus terre-à-terre ; par exemple, les pesticides pourraient-ils être dangereux pour notre santé ?

Les dangers des pesticides

"Je sais comment reconnaître un champignon comestible"

« les pesticides sont des produits chimiques destinés à tuer, il est donc assez logique qu'ils soient nocifs pour notre santé... » [1] Logique implacable !

Et pourtant cette logique implacable est fausse. Aussi fausse que les vantardises de Monsieur-qui-sait-tout : "Je sais comment reconnaître un champignon comestible, disait-il ; si un champignon est attaqué par des vers, alors il est évidemment comestible, puisque des vers s’en régalent".

Monsieur-qui-sait-tout a goûté le champignon… Paix à son âme !

Il avait oublié que les poisons ont une certaine sélectivité ; ce qui est poison pour les uns, peut être délicatesse pour les autres. Des larves se régalent de champignons mortels pour les hommes, et inversement, des pesticides mortels pour un papillon peuvent être inoffensifs pour les hommes. Il existe quantité d’autres exemples. Par exemple… le chocolat ! Si vous aimez le chocolat, ne cherchez surtout pas à faire partager votre plaisir à votre fidèle toutou en lui offrant quelques carrés : le chocolat contient de la théobromine, un alcaloïde toxique pour le chien.

En ce qui concerne les pesticides, ils sont effectivement destinés à tuer… à tuer les pestes. Soyons donc rassurés, puisque les mammifères que nous sommes ne sont pas des pestes – du moins pas dans ce sens là.

Nous pouvons être d’autant plus rassurés que les fruits et légumes que nous achetons sont contrôlés. Les conditions d’utilisation des produits phytosanitaires sont réglementées. Par exemple, ils ne peuvent être utilisés que tant de jours avant la mise en vente ; et surtout, une LMR – Limite Maximale de Résidus (de pesticides) – est définie pour chaque produit. Les LMR constituent une limite administrative extrêmement protectrice, bien éloignée du moindre danger sanitaire. Elles sont définies avec des marges de sécurité considérables, puisqu’il faut atteindre des taux de résidus de 100 à 1000 fois supérieurs aux LMR pour que – peut-être – un début d’effet puisse être détecté. C’est-à-dire que si un léger dépassement de LMR peut être parfois constaté, ce qui arrive, rarement, cela est loin de signifier qu’il y a danger.

Quand on dépasse les limites il n’y a plus de bornes…

Il est d’ailleurs instructif de voir ce que seraient les limitations de vitesse des automobiles si elles étaient calculées avec les mêmes marges de sécurité que les LMR.

On partirait de la constatation que déjà à 10 Km à l’heure il y a eu des accidents de voiture causant quelques bosses. On fixera donc à 10 km à l’heure la vitesse à partir de laquelle des accidents, bénins, sont possibles.

Appliquant les règles par lesquelles sont définies les LMR, on limiterait donc la vitesse à 100 ou 1000 fois moins que la vitesse "dangereuse" de 10 Km à l'heure, soit à 0,1 ou 0,01 km à l’heure. C'est excessif ? Pourtant, il se trouve des militants qui voudraient encore réduire les LMR… ce qui est comme dénoncer que des automobilistes auraient été flashés à la vitesse effarante de 0,03 km à l’heure, en ajoutant que si cela continue nous risquons tous de périr dans un énorme carambolage planétaire.

Nous sommes éventuellement capables d’apprécier ce que représente une limitation de vitesse des voitures à 0,1 Km à l’heure ; on peut imaginer un escargot fou du volant lancé en pleine ligne droite en descente sur sa feuille de salade. Mais comment visualiser une limite maximum de résidus de 0,1mg / kg ? Nous n’avons aucun point de repère, aucun escargot sous les yeux pour matérialiser ce que cela représente ; pas plus que lorsqu’on nous dit que l’eau de mer contient 3 µg d’uranium par litre… faut-il interdire les bains de mer ? Et que penser lorsqu’on apprend qu’un organisme humain contient approximativement 90 μg d’uranium… faut-il éviter d’approcher les autres ? Nos sens et notre imagination sont incapables d’apprécier ces valeurs exotiques, elles ne nous parlent pas, pas plus que la vitesse de la lumière, l’âge de l’univers, la masse de l’univers… C’est en raison de ces limites de nos sens et de notre imagination qu’il faut savoir comment sont fixées les limites qui nous protègent, qu’il s’agisse de LMR, de taux de nitrates dans l’eau, de dose maximum de radiations, etc., savoir combien elles sont conservatrices, pour réaliser qu’un dépassement de ces normes, c’est comme un enfant qui sort des limites du bac à sable au milieu d’un jardin public : il n’est vraiment pas nécessaire d’appeler en urgence les pompiers, le déminage, et l’anti-gang.

Pourtant, les défenseurs de l’environnement font mine de croire que nos vies sont en danger dès la moindre sortie du bac à sable, je veux dire dès le moindre dépassement de norme, comme si on pénétrait alors sur un champ de mines. Ces réactions alarmistes sont d’autant plus hypocrites que c’est le lobbying des défenseurs de l’environnement qui pousse à fixer des limites de plus en plus infimes dans tous les domaines, et que c’est le même lobbying qui ensuite sonne frénétiquement le tocsin dès qu’on frôle ces limites fixées avec des marges considérables. C’est aussi hypocrite que le deuil de la veuve… qui a assassiné son mari.

Nous demeurons craintifs devant les pesticides, parce que nous n’arrivons pas à imaginer que des résidus à dose infinitésimale puissent être sans effet – ou même, comble du paradoxe, qu’un vrai poison puisse être bénéfique a faible dose. Pourtant, l’homéopathie et ses petites pilules ont bâti leur fond de commerce sur ce paradoxe, puisque certaines substances de base utilisées en homéopathie sont des poisons. Nous craignons les pesticides, mais nous avalons sereinement les petites pilules empoisonnées ; c’est une de ces contradictions qui font le charme des hommes – et des femmes…

Le chlore est un autre exemple de ce paradoxe. C’est un poison – il fut le premier gaz de combat utilisé lors de la première guerre mondiale : 10 000 victimes, morts ou hommes hors de combat, lors de l’attaque du 22 avril 1915 au cours de la bataille d’Ypres. Pourtant, c’est le traitement de l’eau par d'infimes quantités de chlore, qui depuis un siècle a permis la distribution généralisée d’eau potable dans les pays développés, une des causes de l’amélioration de la santé dans ces pays.

Allez, vous prendrez bien un dernier petit verre d’eau chlorée pour la route ?

Les dangers des pesticides ?

Alors, en fin de compte, quels sont les dangers des pesticides, non pour les pestes, mais pour les hommes ?

Les chercheurs répondent :

« Aucune étude scientifique n’est en mesure aujourd’hui de faire, chez l’homme, un lien entre la consommation d’aliments issus de l’agriculture conventionnelle qui utilise des produits phytopharmaceutiques et la survenue de maladies. » (Rapport PESTICIDES ET SANTÉ, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques - Sénat le 29 avril 2010)

« En conclusion, le lien putatif entre pesticides et cancer ne repose sur aucune donnée solide. » ("Les causes de cancer en France", réalisé par l’Académie Nationale de Médecine, l’Académie Nationale des Sciences – Institut de France, le Centre International de Recherche sur le Cancer (OMS – Lyon), la Fédération Nationale des Centres de Lutte contre le Cancer avec le concours de l’Institut National du Cancer et de l’Institut de Veille Sanitaire)

Notons que ces résultats concernent les consommateurs. On verra plus bas que pour les professionnels qui manipulent les pesticides, les agriculteurs, les conclusions sont plus nuancées.

Qui croire, faut-il croquer la pomme ?

Ces rapports, et tant d'autres, nous surprennent. Ils sont tellement contraires aux "idéees-toutes-faites-préjugés-évidences-supposées-non-vérifiées" que clament les militants, abondamment relayés par des médias toujours friands d’annonces dramatiques. Que croire ?

Que ces rapports sont faux ? Que les experts qui y ont participé sont tous incompétents ? Qu’ils font tous partie d’un complot ? Qu’ils sont tous acheté, payés, vendus ? (rayer la mention inutile)

Ou que le lobbying et la propagande anti-pesticide sont particulièrement efficaces ?

Il est important de faire la clarté sur ces contradictions entre vrais militants et vrais chercheurs, puisque leurs recommandations sont à l’opposé, notre santé est en jeu. Qui prend nos pommes pour des poires ? Les uns nous effraient, manger des pommes, des poires, ou des scoubidous, serait un pari risqué ; pour les autres au contraire, manger des fruits et légumes serait bénéfique et protègerait du cancer.

D’un côté en effet, de bonnes âmes – qui veulent sincèrement nous sauver la vie – nous alarment : la sorcière chimie, plus hideuse encore que la sorcière de Blanche-Neige, nous offre des pommes empoisonnées tous les jours. Blanche-Neige, il ne faut pas croquer la pomme !

« Le temps est déjà venu où, au moment des repas, plutôt que de se souhaiter bon appétit, mieux vaut se souhaiter bonne chance. » (Pierre Rabhi, vice-président de l'association Kokopelli).

Mais d’un autre côté, les chercheurs – qui ne sont pas non plus dépourvus d’âme, ni même de bonne âme – nous recommandent de "manger cinq fruits et légumes par jour"… pour nous protéger du cancer ! Ils nous expliquent qu’il faut croquer la pomme, même avec des résidus de pesticides :

« La consommation de fruits et légumes est associée à une réduction du risque de plusieurs cancers : bouche, pharynx, larynx, oesophage, estomac et poumon (dans le cas des fruits seulement). […]

« La consommation de fruits et légumes est associée à une réduction du risque de plusieurs cancers : bouche, pharynx, larynx, oesophage, estomac et poumon (dans le cas des fruits seulement). […]

Quelques questions fréquemment posées.

Les résidus de pesticides contenus dans les fruits et légumes présentent-ils un risque vis-à-vis du cancer ?

> Non, si la réglementation est respectée.

Pourquoi ?

Il s’agit ici des pesticides contenus dans l’alimentation et non des expositions professionnelles, environnementales ou domestiques (risque associé à l’inhalation ou au contact de pesticides).

Les études démontrant l’effet protecteur des fruits et légumes vis-à-vis des cancers (cf. chapitre Fruits et légumes) sont menées sur les consommations réelles donc avec éventuellement la présence de résidus de pesticides sur les végétaux. Jusqu’à présent, dans les études publiées, la consommation de fruits et légumes n’a pas été associée à une augmentation du risque de cancers.

De plus, la teneur des aliments en résidus de pesticides fait l’objet d’une réglementation stricte et de contrôles réguliers. »

(Nutrition & prévention des cancers : des connaissances scientifiques aux recommandations – 2009 – Document coordonné par l’Institut National du Cancer (INCa) avec l’appui scientifique des membres du réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe1), et en partenariat avec l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et l’Institut de veille sanitaire (InVS))

On peut énoncer le paradoxe apparent suivant : Moins de pesticides = plus de cancers.

- En effet, moins de pesticides, c’est moins de rendement.

- C’est donc des fruits et légumes plus coûteux.

- C’est donc une moindre consommation de fruits et légumes par les familles aux revenus limités.

- C’est donc une moindre protection contre le cancer pour ces familles.

- C’est donc plus de risque de cancer pour ces familles.

L'Académie raconte des blagues, le scoop !

C'est décourageant ! Celui-ci dit blanc, celui-là dit noir ; faut-il croquer la pomme ?

En réalité, il n’a pas vraiment photo. Je me suis référé autant que possible, non aux annonces sensationnelles et apocalyptiques des gazettes militantes, mais à des organismes tels que l’Académie de médecine, l'Observatoire des Résidus de Pesticides, la Ligue Nationale Contre le Cancer… Ils sont vraiment libres, indépendants de toute idéologie. Ils peuvent sans doute se tromper parfois eux-aussi, mais leur méthodologie et leurs résultats sont réévalués en permanence par leurs pairs.

Les défenseurs de la nature se réfèrent aussi à des études de chercheurs ; de quelques chercheurs isolés – dont souvent les méthodologies et l’interprétation des résultats sont contestées par la majeure partie de la communauté scientifique. C’est pourquoi, n’ayant pas d’arguments scientifiques incontestables à opposer, les défenseurs de la nature dégainent en fin de compte l’argument ultime, celui de la corruption, du conflit d’intérêt : les chercheurs d’organismes publics ou institutionnels ne seraient pas indépendants, ne viseraient que l'enrichissement personnel ou on ne sait quel but louche et inavouable.

Par exemple, l’association ATTAC répond au rapport déjà cité de l'Académie de médecine, « Les Causes du Cancer en France », par un article intitulé « Cancer : L'Académie au secours des pollueurs. » L’article présente l’Académie comme « toujours prête à voler au secours des lobbies patronaux. »

L'Académie de médecine ! Elle complote contre nous, elle nous raconte des blagues pour voler au secours des « lobbies patronaux. » ! Quel scoop ! Nous lui faisions confiance quand elle nous recommandait de nous laver les mains… mais non, c’est bidon, c’est seulement pour soutenir les lobbies du savon ; elle nous recommandait de faire du sport, mais non, c’est pipo, c’est seulement pour soutenir l’industrie du sportwear…

- Le lobbyiste des pollueurs :

"Donc, Monsieur l’académicien de médecine, dans votre rapport il faudra écrire que la pollution c’est du parfum de rose. Nous sommes bien d’accord ?"

- L’Académicien de médecine :

"Nous sommes parfaitement d’accord Monsieur le lobbyiste des pollueurs ; je ferai selon vos désirs qui sont des ordres pour moi."

Qui n’est pas abasourdi en entendant de telles accusations de bassesse collective et de compromission contre les médecins, les chercheurs, etc.. Même si c’est de la psychologie de cuisine, on ne peux se retenir de soupçonner qu'une partie des accusateurs croient voir chez les autres cette part de bassesse au fond d’eux-mêmes, qui se révèlerait si l'occasion se présentait à eux.

Leçons de propagande pour les nuls

Le lobbying n’est pas seulement ce que l’on croit.

On a certainement raison de toujours garder l’esprit critique, il ne faut pas croire sur parole le premier académicien venu.

Mais on a surtout raison de ne pas croire sur parole le premier site Internet venu, fût-il le site de militants passionnément convaincus. La passion au service d’une cause, d’une croyance, serait-elle un gage d’objectivité ? Le bon sens populaire sait bien que non, qu’au contraire la passion rend aveugle. A-t-on déjà vu un prince charmant remarquer que sa blonde princesse n’était qu’une dinde ? Et vice-versa. La dépendance d’une idéologie est souvent totale, irrépressible, comme la dépendance des drogues dures, et provoque les mêmes hallucinations, elle fait voir des comploteurs partout.

Nous avons raison de ne pas croire sur parole les boniments d’un vendeur.

Nous avons raisons de ne pas toujours croire sur parole les déclarations des partis politiques ; on subodore que leurs propositions ne sont pas toujours exemptes de calcul, qu'ils veulent nous vendre leur programme.

Mais pourquoi sommes-nous si naïfs en buvant sans modération les discours militants ? Nous croyons qu’ils n’ont aucune raison de nous berner, puisqu’ils n’ont rien à nous vendre. Quelle erreur ! Eux aussi sont des vendeurs, les plus doués, ceux qui savent masquer leur propre intérêt ; leur intérêt, c'est de vendre leur idéologie.

Le lobbying, ce n’est pas seulement la défense – plus ou moins de bonne foi – d’intérêts économiques ; c'est aussi la défense – plus ou moins de bonne foi – d’une idéologie. Les missionnaires aussi sont des lobbyistes.

Quelques leçons de propagande sont utiles, pour détecter ce lobbying militant et s’en protéger.

Leçon de propagande pour les nuls – "Le détail qui tue"

Une technique de propagande classique consiste à contourner subrepticement les vrais résultats des chercheurs.

Par exemple à propos de l’influence éventuelle des pesticides sur la santé des agriculteurs. Ceux-ci sont particulièrement exposés, puisqu'ils sont grands manipulateurs de pesticides devant la nature éternelle, en première ligne lorsqu'ils les préparent, les transvasent, les répandent sur les cultures. C’est une "population sentinelle", qui serait jusqu’à 1 000 ou 10 000 fois plus exposée qu’un simple consommateur, particulièrement surveillée et étudiée pour cette raison : si les pesticides posent problème, les agriculteurs en seront 1 000 ou 10 000 fois plus touchés que les simples consommateurs. En entendant les annonces catastrophiques des médias sur les dangers des pesticides pour les simples consommateurs, on peut même se demander comment il est possible de trouver encore des agriculteurs vivants.

Diverses études ont été réalisées, par exemple aux Etats-Unis l’"Agricultural Health Study", portant sur 52 395 agriculteurs et 32 347 conjoints suivis pendant six ans. Résultat principal : les agriculteurs ont une espérance de vie supérieure et moins de cancers que la population générale. En France, l'Observatoire des Résidus de Pesticides parvient aux mêmes conclusions : « [Les agriculteurs ont] une espérance de vie plutôt supérieure à la moyenne du fait d’une sous-mortalité par maladies cardiovasculaires et par cancer en général [2]. »

La Mutuelle Sociale Agricole (MSA) a lancé en 2005 l’étude Agrican (AGRIculture et CANcer), suivant 180 000 personnes affiliées à la MSA. Des premiers résultats ont été publiés en septembre 2011. Ils montrent une nette sous-mortalité de la population suivie comparativement à la population générale du même âge et du même département, les hommes et femmes suivis ayant par exemple respectivement 27 % et 19 % moins de risque de décéder d’un cancer qu’un homme et une femme du même département et du même âge.

Les agriculteurs, qui manipulent des pesticides à longueur de jour, ont une espérance de vie plutôt supérieure à la moyenne du fait d’une sous-mortalité par maladies cardiovasculaires et par cancer en général

Le rapport PESTICIDES ET SANTÉ, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Sénat le 29 avril 2010), précise :

« Aux Etats-Unis on observe globalement un déficit du nombre de cancers d’environ 10 % chez les agriculteurs et leurs conjoints comparés à la population générale. Cette sous-incidence concerne des cancers liés au tabac (poumons, œsophage, vessie) mais également les cancers du foie, du colon et des reins. On observe une sur-incidence des cancers cutanés et des lèvres (exposition au soleil), de l’estomac, du cerveau, de la prostate, des lymphomes, des myélomes multiples et de certaines leucémies (10). Ces variations sont probablement multifactorielles, avec un rôle possible des contacts avec les animaux (virus), la sur-incidence des lymphomes étant également retrouvée chez les personnels des abattoirs et les bouchers. »

Divers paramètres interviennent donc, mais en synthèse les études montrent :

- 1] sans ambiguïté que les agriculteurs vivent plus longtemps et ont moins de cancers, toutes localisations confondues, que la population générale ;

- 2] mais aussi, que les agriculteurs ont un faible excès de certains types de cancers rares, la responsabilité des pesticides étant soupçonnée pour certains d’entre eux.

Il est donc possible, probable, que les pesticides présentent des dangers. Mais le résultat fondamental et incontesté est que les effets délétères des pesticides ne parviennent pas à effacer les bénéfices d’une simple bonne hygiène de vie. Un peu d’exercice physique sans tabac, et vous être plus fort que les pesticides, même si vous les manipulez tout le jour.

C’est rassurant ; et pourtant nous continuons à avoir peur des pesticides. Cette contradiction s’explique simplement : lorsque les médias rapportent les résultats des études, trop souvent ils ne rapportent que le point 2], celui qui fait peur. Ils oublient le point 1], sans rappeler en outre que ces résultats concernent les professionnels, ceux qui manipulent des pesticides pendant des journées entières. Ils ne concernent pas les simples consommateurs.

C'est ainsi que ces études sont rapportées sous des titres tels que :

« L'exposition aux pesticides augmente le risque de tumeur cérébrale. » (Site du MDRGF, Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures.)

« Les pesticides semblent provoquer des tumeurs du cerveau. » (site reporterre.net)

C’est vrai, c’est tronqué, c’est trompeur, c'est de la désinformation.

« Les pesticides, facteurs de tumeurs chez les agriculteurs. » (Le Monde 08 octobre 2011)

C’est encore vrai, c’est encore tronqué, c’est encore trompeur, mais au moins ce dernier titre précise qu'on ne parle que des agriculteurs.

Voilà ce qui explique cette extraordinaire différence entre la réalité mesurée par les chercheurs, et ce que le matraquage médiatique nous fait croire. C’est comme si on présentait les médicaments en ne parlant que de leurs effets indésirables éventuels, sans mentionner leurs effets thérapeutiques : "l’aspirine peut provoquer des ulcères d’estomac". C'est vrai, c'est tronqué, c'est trompeur.

Il est évidemment souhaitable de combattre tous les effets indésirables, tous les facteurs de risque, pesticides ou autres. Mais :

1] Il est de bon sens de s’attaquer en priorité aux risques les plus élevés ; la bonne santé des agriculteurs montre que les pesticides ne font pas partie de ceux-là.

2] Il est de bon sens de s’attaquer aux risques qui n’ont aucune contrepartie utile, comme le tabac ou la mode du bronzage. En revanche, il est prudent de prendre des gants avant de combattre dogmatiquement les pesticides, qui ne présentent pas de risques pour les simples consommateurs, et qui sont nécessaires pour nourrir toute l’humanité.

Pierre Yves Morvan

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Ce texte est extrait du (futur) livre :

Les illusions dangereuses

Les recettes vertes sauveront-elles la planète bleue ?

D’autres extraits sur :

Ecologie, mythes et réalité http://ecologie-illusion.fr


[1] Site notre-planete.info.

[2] http://www.observatoire-pesticides.gouv.fr/index.php?pageid=156&ongletlstid=114

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