Voici une édition que j’avais prévu de proposer. Elle existe déjà. A mon inscription comme rédacteur un message est apparu dont je ne me souviens pas exactement, quelque chose comme «maintenant vous êtes inscrit à la mort» .Je le savais déjà. Pas besoin de s’inscrire sur la liste pour en faire partie. Elle compte autant d’appelés que d’élus, pas toujours désignés dans l’ordre d’inscription.
Cette édition est en sommeil. La dernière contribution date de janvier 2011. En conséquence la mienne va réveiller la mort. C’est un rôle qui me convient. J’y vais, comme tout le monde, et préfère aller à la rencontre d’une mort vivante que d’une mort morte, c’est plus gai.
Je vais tenir chronique de ce voyage vers la mort, essayer de parler d’elle dont la grande ombre s’éclaire avec l’approche de l’âge de la retraite, obtenue grâce à elle. Si nous ne mourrions pas, nous ne serions jamais à la retraite. Ce serait un rude régime et une épine de moins dans le pied des gouvernements. Cette ombre est déjà grande mais j’ignore la distance à laquelle elle se trouve et ne peux présager du nombre de pas qui m’en sépare. Bien sûr ce ne sont pas des pas, mais une lente glissade qu’il nous appartient de rendre plus ou moins dansante. Mon pas sera réglé sur le temps écoulé entre deux chroniques, entre deux progressions, deux angles du regard vers la grande ombre. Je choisis un pas d’un mois et pour faire simple me propose de publier une chronique le dernier jour de chacun des mois entiers qui me restent à vivre. Ainsi ce n’est pas la mort mais l’écoulement du temps que je voudrais donner à voir. Le temps dont la perception me semble violemment atteinte et avec elle la conscience à laquelle il sert de substrat.
De quoi vais je parler ? D’un étonnement chronique devant le faible usage que nous faisons de la beauté comme ciment de soi et de la société. Effet ou cause, peu importe, d’une amorphie spirituelle étrangement concomitante avec une floraison de moyens et de connaissances qui devraient, au contraire, vitaliser l’esprit. De telles affirmations sont dispensées de fournir des preuves, ce sont des banderilles, pas des vérités.
Cette amorphie exige une médication, la prise régulière d’un anti-quelque chose sous une forme à définir, pour être précis. Un composant essentiel de cet anti-perte de conscience, de cet anti-perte de soi, est la pensée de la mort. Elle sera le fil conducteur de ces chroniques. Pour parler de la mort il faut être vivant, dès qu’on on en sait quelque chose on ne peut plus rien en dire. En ce domaine l’incompétence est irrémédiable, chacun peut s’en emparer sans crainte.
Pourquoi en parler ? Parce qu’elle est sans cesse dans l’actualité sous la forme de cadavres et de terreur, jamais sous sa forme d’espérance, de renouvellement, de jeunesse, jamais sous sa forme de principe premier de la vie et de la conscience. Il s’en suit un obscurcissement de la pensée comparable à ce que serait celui du monde physique si la nuit disparaissait.
Les comptes macabres font les titres de la presse, elle va chercher des morts aux quatre coins du monde si ce sont de bons morts dont s’écoule beaucoup d’encre. Il est étonnant que cette fourniture quotidienne de désolation n’ait pas donné vocation à quelque institution publique ou privée d’un recensement systématique des morts du jour. Nous aurions avec notre café du matin le bilan de la veille pour la France et pour l’Europe. Hier 1482 personnes (c’est à peu près le chiffre quotidien, un demi 11 septembre chaque jour seulement pour la France !) sont mortes dont 7 enfants, 26 jeunes de moins de 20 ans, 34 suicidés … puis nous aurions une répartition par région, par maladie, et bien entendu des comparaisons avec l’Allemagne. Dans les années 70 nous prenions connaissance chaque lundi matin, du nombre de morts dus aux accidents de la route. Les week-end de circulation intense, ce chiffre dépassait 100.
Voilà le métier que j’ai choisi dans l’ordre de la parole, je veux me faire avocat de la mort, la sortir de sa clôture de tristesse.
Comme tout être vivant, je suis moi même en marche vers la mort. Si je tiens l’engagement d’une chronique par mois, je devrais atteindre ses rivages statistiques vers la 250 ou 300ém. J’ai l’intuition que c’est a peu près le nombre de jupons qui la recouvre. Si j’en dégrafe un par chronique, elle sera prête, palpitante et lumineuse quand je l’approcherai.