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La poésie, qu'est-ce ?

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Billet de blog 29 mars 2025

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Ecrivain, poète, blogueur, revuiste, responsable de l'association Le Capital des Mots et Libres Mots, chroniqueur.

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Spécial Printemps des Poètes 2025. Anna de Noailles ( 1876 - 1933 )

La mort fervente Mourir dans la buée ardente de l’été, Quand parfumé, penchant et lourd comme une grappe, Le coeur, que la rumeur de l’air balance et frappe, S’égrène en douloureuse et douce volupté.

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La mort fervente

Mourir dans la buée ardente de l’été,
Quand parfumé, penchant et lourd comme une grappe,
Le coeur, que la rumeur de l’air balance et frappe,
S’égrène en douloureuse et douce volupté.

Mourir, baignant ses mains aux fraîcheurs du feuillage,
Joignant ses yeux aux yeux fleurissants des bois verts,
Se mêlant à l’antique et naissant univers,
Ayant en même temps sa jeunesse et son âge,

S’en aller calmement avec la fin du jour ;
Mourir des flèches d’or du tendre crépuscule,
Sentir que l’âme douce et paisible recule
Vers la terre profonde et l’immortel amour.

S’en aller pour goûter en elle ce mystère
D’être l’herbe, le grain, la chaleur et les eaux,
S’endormir dans la plaine aux verdoyants réseaux,
Mourir pour être encor plus proche de la terre…

***

Le Temps de vivre

Déjà la vie ardente incline vers le soir,
Respire ta jeunesse,
Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
De l’aube au jour qui baisse,

Garde ton âme ouverte aux parfums d’alentour,
Aux mouvements de l’onde,
Aime l’effort, l’espoir, l’orgueil, aime l’amour,
C’est la chose profonde;

Combien s’en sont allés de tous les cœurs vivants
Au séjour solitaire
Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
Des matins de la terre,

Combien s’en sont allés qui ce soir sont pareils
Aux racines des ronces,
Et qui n’ont pas goûté la vie où le soleil
Se déploie et s’enfonce.

Ils n’ont pas répandu les essences et l’or
Dont leurs mains étaient pleines,
Les voici maintenant dans cette ombre où l’on dort
Sans rêve et sans haleine ;

— Toi, vis, sois innombrable à force de désirs
De frissons et d’extase,
Penche sur les chemins où l’homme doit servir
Ton âme comme un vase,

Mêlé aux jeux des jours, presse contre ton sein
La vie âpre et farouche ;
Que la joie et l’amour chantent comme un essaim
D’abeilles sur ta bouche.

Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment
Les rives infidèles,
Ayant donné ton cœur et ton consentement
À la nuit éternelle.

Extraits de "Le Cœur innombrable"

ANNA DE NOAILLES 

Illustration 1
Anna de Noailles.

Anna de Noailles — Wikipédia

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