La Solidarité au cœur de la Laïcité
- 2 juin 2020
- Par Charles Conte
- Édition : Laïcité
"Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve"
Friedrich Hölderlin "Patmos"
Combien de gestes fraternels, quotidiens, sont accomplis par des personnes se réclamant d’une certaine philosophie laïque, humaniste ? Cette relation entre Solidarité et Laïcité se traduit aussi par la création et l’animation de nombreuses associations. Et de collectifs d’associations tels que « Solidarité Laïque » et " L’ESPER Economie Sociale Partenaire de l’Ecole de la République ». Cette relation a également été analysée du point de vue intellectuel. Au moment où l’humanité toute entière fait face à une pandémie et à la crise économique et culturelle qu’elle suscite, la relation entre Solidarité et Laïcité doit être approfondie. Elle est devenue un sujet vital au sens premier du terme.

La poignée de main est le symbole de la Solidarité. Aujourd’hui virtuelle face au Covid19, mais plus que jamais nécessaire.
Les penseurs laïques et la solidarité
On ne trouvera dans le présent billet qu’une première esquisse de réflexion. Elle s’appuie sur l’évocation de penseurs connus pour leur ancrage laïque au sens le plus large et ayant produit des œuvres sur la solidarité. Jean-Jacques Rousseau, Léon Bourgeois, Pierre Kropotkine, Régis Debray, ont des approches différentes et usent d’un vocabulaire spécifique : entraide, contrat social, solidarisme, fraternité… Mais tous démontrent que la solidarité n’est pas un simple mouvement d’empathie, de charité, de gentillesse… La solidarité, quel que soit le terme utilisé, est au cœur de leur conception du monde que nous pouvons qualifier de laïque.
« Du Contrat Social », de Jean-Jacques Rousseau.

« Solidarité », de Léon Bourgeois.

« L'entraide : Un facteur de l'évolution », de Pierre Kropotkine.

« Le Moment fraternité » Régis Debray.

La lecture, ou la relecture, de ces ouvrages dans des circonstances devenues exceptionnelles est décisive. L’engagement des militantes et militants, les débats au sein des organisations laïques vont inévitablement prendre un tour nouveau. Ces idées confortent les actions et leur donnent une profondeur inédite. La Solidarité n’est pas un geste amical, aléatoire et anodin. La Solidarité engage tout l’être humain. Des associations et des collectifs d’associations ont entrepris de la replacer au cœur de la Laïcité…
Solidarité Laïque et L’ESPER s’inscrivent dans l’économie sociale et solidaire, notions apparues dans les années 1830. Les militants se plaisent à souligner qu’elles ne pas datent pas d'hier mais qu’elles répondent à des problématiques d'aujourd'hui. L’économie sociale et solidaire (ESS) désigne de façon officielle un ensemble d'entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, syndicats ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale. Ces entreprises adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs. Elles encadrent strictement l'utilisation des bénéfices qu'elles réalisent : le profit individuel est proscrit et les résultats sont réinvestis. En France l'économie sociale et solidaire représente 2,4 millions de salariés, soit 14% de l’emploi salarié privé mais surtout de multiples formes d’engagements et d’initiatives dont l’impact social est à la fois immense et difficilement mesurable.
Solidarité laïque
Solidarité Laïque, c’est d’abord et surtout des actes. Des actes concrets aux conséquences visibles. En 1956 les étudiants hongrois, puis tout le pays, se soulèvent contre le pouvoir stalinien. Un Comité d’aide aux réfugiés hongrois est créé. En 1958, fort de 13 organisations, il mue en Comité national de solidarité aux objectifs plus larges. En France, il soutient notamment les victimes d’inondations, d’agressions par l’OAS et de cyclones en Guadeloupe. En 1981, il devient Comité national de solidarité laïque et, fusionne en 1994 avec le CLED (Comité laïque pour l’éducation au développement). Son secteur éducation devient prédominant.
Les activités se multiplient. Par exemple la « Quinzaine de l’Ecole Publique », fameuse collecte organisée depuis 1947 par la Ligue de l’enseignement devient en 2001 « Pas d’éducation, pas d’avenir », co-animée avec Solidarité Laïque avec des objectifs internationaux. Chaque année en septembre, Solidarité Laïque, avec le soutien de la MAE, la MAIF et en partenariat avec de nombreuses organisations membres de son réseau organise la Rentrée Solidaire. SL lutte contre les exclusions, notamment des filles et des jeunes en situation de handicap, et s’investit pour les droits de l’enfant. Plus de 600 parrainages éducatifs ont été mis sur pied. Il s’agit d’accompagnements personnalisés : médical, social et éducatif.
Ce sont des centaines de projets qui vivent ainsi. En France comme en Europe, en Haïti, en Colombie, sur le pourtour méditerranéen et en Afrique subsaharienne. Ils vont des micro-projets éducatifs à des programmes pluri-acteurs et pluriannuels. Le programme Jeunes des 2 Rives (J2R) en est un exemple frappant. De nombreuses informations et outils sont disponibles sur le site. Solidarité Laïque est très présente sur les réseaux sociaux et publie une lettre électronique. De façon cohérente Solidarité laïque lutte contre la marchandisation de l’éducation. Elle souhaite influer en ce sens sur les politiques publiques. Solidarité Laïque développe un plaidoyer dans le cadre d’une Coalition Education mondiale.
Solidarité Laïque fonde son action sur la laïcité, conçue non seulement comme principe politique, voire philosophique, mais aussi comme méthode d’action. Dans l’action la laïcité n’est pas un principe abstrait, mais une capacité à nouer des partenariats avec des acteurs multiples et divers dans la mise en œuvre d’action de coopération. Des Rendez-vous de la laïcité sont organisés chaque mois avec des sociologues, des historiens et des acteurs de terrain. Ainsi la solidarité n’est pas vécue comme un soutien ponctuel ou une forme de charité, mais dans la réciprocité, comme une action et une réflexion commune et fraternelle. C’est aussi dans cette perspective que s’inscrit l’ESPER.
L’ESPER (L’Economie Sociale Partenaire de l’Ecole de la République)

Dès les années 30, les personnels et enseignants de l’Education Nationale ont commencé à s’organiser pour répondre, de manière solidaire et innovante, à leurs différents besoins. Les différentes organisations pouvaient agir en ordre dispersé. En 1972 un premier collectif est créé, se réclamant à la fois de la solidarité et de la laïcité : le CCOMCEN (Comité de Coordination des Œuvres Mutualistes et Coopératives de l’Education Nationale). L’objectif est de créer une puissante solidarité génératrice d'un bénéfique sentiment de sécurité.
Lors des vingt ans du CCOMCEN, son président réaffirme : « Les composantes du CCOMCEN ne sont pas liées seulement par le souci de coordonner leurs efforts, ce qui n’est pas toujours facile… Un lien plus solide crée cette convergence forte : une conception commune de la solidarité et de la laïcité, deux notions à leurs yeux inséparables parce qu’elles reposent sur une même exigence de responsabilités ».
En 2010 l’ensemble des organisations s’engage dans une refondation dynamique : L’ESPER succède au CCOMCEN. Elles se veulent « unies par un idéal militant partagé et portent les valeurs communes de solidarité et de laïcité, idéal d’émancipation humaine et principe constitutionnel de la République française ». L’ESPER affirme sa double identité dans une Charte d’adhésion.
Parmi les nombreux objectifs de L’ESPER, on relève la constitution d’un espace d’échange, de dialogue et de coopération ; la promotion d’un modèle d’organisation ; la promotion de l’Education à l’ESS en direction des jeunes, scolaires et hors-scolaires ; l’organisation des représentations au sein des coordinations et institutions nationales et régionales ; l’animation de coordinations sectorielles entre membres ; la gestion de rencontres, formations et débats permettant de mettre en commun des outils de réflexion et de développement à destination des responsables des organisations adhérentes.
Les deux collectifs d’organisations que sont Solidarité Laïque et L’ESPER se caractérisent par le grand nombre d’initiatives portées ainsi que par leur caractère non seulement national mais aussi international. Elles sont des lieux privilégiés de la mise en œuvre concrète des idées développées notamment dans les œuvres de Jean-Jacques Rousseau, Léon Bourgeois, Pierre Kropotkine et Régis Debray. La profondeur des réflexions de ces penseurs liée à l’ampleur des réalisations des collectifs d’associations démontre combien la solidarité est au cœur de la pensée et de l’action laïque… A un moment crucial pour l’humanité toute entière, comment nous inscrire plus intensément dans cet engagement ?
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