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Billet de blog 3 mai 2016

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Le pape François et l’écologie

Une lecture de l’encyclique « Laudato si. Sur la sauvegarde de la maison commune ».

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Le 2 juin 2015, Hubert des Longchamps, directeur des affaires publiques de Total, s’exprimait devant trois cents personnes dans le cadre d’un colloque consacré à « L'expression du religieux dans la sphère publique - Comparaisons Internationales ». Il décrivait comment une entreprise pétrolière mondialisée avait à tenir compte du poids politique et social des religions. Et il indiquait avec quelle attention ses dirigeants avaient suivi la préparation et attendaient la publication de l’encyclique « Laudato si ».

Publiée le 18 juin, cette lettre encyclique a suscité de nombreux commentaires. Son titre « Laudato si » est tiré du  célèbre « Cantique des créatures » écrit en 1225 par François d’Assise.Appelé aussi « Cantique de frère soleil », ses principaux passages commencent  par « Loué sois-tu, mon Seigneur… ». La «  maison commune » (oîkos en grec) est bien sûr celle de l’humanité, la planète Terre. « Laudato si » est la première encyclique consacrée par un pape à l’écologie.

 D’emblée l’introduction invite : « Tous, nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu pour la sauvegarde de la création, chacun selon sa culture, son expérience, ses initiatives et ses capacités ». Ne nous considérant pas comme des « instruments de Dieu », nous pourrions simplement et courtoisement décliner l’invitation. Pourtant, nous sommes effectivement devant un défi unique dans l’histoire de l’humanité. Et nous n’avons qu’une certitude : aucun pays, aucun groupe humain, aucune religion, aucune philosophie, ne pourra seule apporter les changements nécessaires à la survie de l’humanité.

 L’attention, voire l’inquiétude, des dirigeants de Total montre que l’Eglise catholique est un acteur de premier plan. Sur le constat de la situation actuelle « Laudato si » décrit des réalités : pollution, changement climatique, problème de l’eau, perte de la biodiversité, détérioration de la qualité de la vie humaine et dégradation sociale. Le tout étant étroitement lié aux inégalités planétaires (si la situation des pays se rapproche, les inégalités se creusent rapidement au sein de chaque pays). A cela il faut effectivement ajouter la faiblesse des réactions, même si une prise de conscience mondiale se fait jour. Il est donc vrai que, comme l’écrit le pape François, que « Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles ». L’Eglise catholique est un acteur incontournable. Elle est lucide sur la situation actuelle. Mais, à notre sens, elle reste aveugle aux racines de la crise écologique. D’une part sur la question démographique, d’autre part sur la notion même de nature.

 L’Eglise reste aveugle devant les racines de la crise écologique

 « Laudato si » est un texte un peu touffu qui multiplie les références. Pourtant il revient à plusieurs reprises, sous différentes formes, sur une idée centrale « L’écologie humaine implique aussi quelque chose de très profond : la relation de la vie de l’être humain avec la loi morale inscrite dans sa propre nature, relation nécessaire pour pouvoir créer un environnement plus digne ». C’est le principe qui est au cœur de « l’écologie intégrale » prônée par le souverain pontife. Il y a là, du point de vue catholique, une cohérence certaine. Les conséquences en sont bien sûr diverses.

 L’une d’entre n’est qu’assez discrètement évoquée, mais elle n’est pas mince. Elle se présente sous la forme d’une accusation : « Au lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un monde différent, certains se contentent seulement de proposer une réduction de la natalité. Les pressions internationales sur les pays en développement ne manquent pas, conditionnant des aides économiques à certaines politiques de santé reproductive ». Et de renvoyer au Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église : « Il faut reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire ».

 Voilà qui est hautement contestable. Il est vrai que le consumérisme des pays riches est une des causes de la crise écologique. Il est tout aussi vrai que la course, légitime, des pays émergents pour tenter d’y accéder approfondi cette crise. Et que, si on souhaite que chaque être humain aie une vie digne, il n’est pas indifférent que l’humanité en compte 7 milliards (comme aujourd’hui), bientôt 10, 15 ou même 20 milliards. On ne peut pas doubler ou tripler impunément l’empreinte écologique de l’espèce humaine. Impossible de miser uniquement sur « une certaine décroissance dans quelques parties du monde ». Le facteur démographique est une réalité, même si elle n’est pas la seule. L’Eglise catholique refuse de reconnaître aux personnes intéressées le droit au contrôle des naissances. Elle mène sur cet interdit une action politique incessante dans tous les pays et dans toutes les instances internationales. Cette action est une des causes de la situation actuelle.

 Par ailleurs la conception judéo-chrétienne, et pas seulement catholique, de la nature remise en cause. Le médiéviste américain Lynn White Jr. a publié en 1967 un article retentissant « Les racines historiques de notre crise écologique » dans la célèbre revue « Science ». Le début du livre de la Genèse, dans l’Ancien Testament, est bien connu. Après avoir créé l’Homme, mâle et femelle, Dieu les bénit et leur dit : « Croissez et multipliez, peuplez toute la terre et dominez-la ; soyez les maîtres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et de tous les animaux qui se meuvent sur la terre. ». Cette conception de la nature comme création mise à la disposition de l’humanité est, selon Lynn White Jr, particulièrement néfaste. Alors que les conceptions antiques intégraient les êtres humains  dans la nature, le judéo-christianisme sépare les êtres humains  de la nature qui leur est subordonnée. 

 Lynn White Jr écrit « En détruisant l’animisme païen, le christianisme a permis l’exploitation de la nature dans un climat d’indifférence à la sensibilité des objets naturels ». C’est pour lui une « révolution psychique et culturelle majeure dans l’histoire humaine ». Lui-même croyant, il assume des « conclusions désagréables pour beaucoup de chrétiens »  et affirme que « nous continuerons à voir s’aggraver la crise écologique jusqu’au moment où nous aurons abandonné le postulat chrétien selon lequel la nature n’a pas d’autre raison d’exister que d’être au service de l’homme » (traduction française dans l’ouvrage collectif « Crise écologique, crise des valeurs ? Défis pour l'anthropologie et la spiritualité » Editions Labor et Fides).  

 Quelque peu hérétique lui aussi, le théologien allemand Eugen Drewermann lui fera écho en 1993 dans « Le progrès meurtrier » (Editions Stock). Selon lui l’ordre de la nature dépend désormais « en totalité de l’être humain : on décrète que l’ensemble des créatures a été puni à cause du péché d’Adam, que toute la nature subit l’influence néfaste de l’homme et qu’elle doit être délivrée par lui ». Certains prétendent que le pape François a tenté de réfuter Lynn White Jr et Eugen Drewermann sans les citer nommément…

 Ces critiques sont sérieuses. Elles ont fait couler beaucoup d’encre. Comment pouvons les intégrer dans un débat public devenu nécessaire ? Peut-être en nettoyant nous aussi notre jardin. Quelles sont nos propres pratiques ? Quel est notre engagement collectif et personnel ? Avons-nous pris la peine de nous informer des controverses existantes sur l’ampleur de la crise et les façons d’y répondre ? Sommes-nous vraiment indemnes de cette conception de la nature réduite à n’être que l’environnement de l’espèce humaine ? La discussion est ouverte…

 Charles Conte

 Ce texte a d'abord été publié dans la revue du Grand Orient de France "Humanisme" n° 309 Novembre 2015

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