Des propositions d'Alain Merlet et Jean-Marc Noirot.
Alain Merlet est inspecteur pédagogique régional de lettres classiques de l'Académie de Créteil, inspecteur honoraire, membre du Réseau école laïcité religions ; Jean-Marc Noirot, enseignant d’histoire-géographie dans l’enseignement public, membre et fondateur du Réseau école laïcité religions. Ils animent le blog Reseau Ecole Laïcité Religions
« Monsieur, quand est-ce qu'on va parler du Coran? » demande, sur un ton calme à la fin d'un cours, une jeune élève d'une classe de 6e, année où le programme traite du judaïsme et du christianisme. Cette question en ouvre une autre, vaste et controversée non dans son principe mais dans sa forme, celle de l'enseignement des faits religieux à l'école dont les rapports Joutard en 1991 et Debray en 2002 ont souligné l'importance et l'urgence.Qu'en est-il aujourd'hui des programmes de collège parus au Bulletin officiel spécial n° 6 du 28 août 2008, des manuels d'histoire-géographie chargés de les mettre en œuvre ?Pour répondre à la question de la jeune élève, un projet de rédaction des programmes proposait d'étudier en 6e « les débuts de l'islam ». Il peut sembler regrettable que cette idée n'ait pas été retenue alors que les nouveaux programmes initient les élèves à l'étude des deux premiers monothéismes, du bouddhisme et de l'hindouisme. L'étude des « débuts de l'islam » restera finalement en 5e.Un changement positif en classe de 6e : « les débuts du christianisme » placés précédemment en fin de programme - et rarement étudiés -, sont maintenant en meilleure position pour être traités. En classe de 4e, les faits religieux prennent une place notable en géographie avec les migrations et les « Questions sur la mondialisation »- celle-ci étant « porteuse d'uniformisation mais la diversité des cultures, des langues et des religions demeure ».Quant au programme d'histoire en 3e, il conduit en pleine actualité avec le thème : « Le monde depuis le début des années 1990 » et la mise en évidence de certains évènements comme « la persistance des conflits au Moyen-Orient », « les menaces terroristes »..."DEVITALISATION" DES FAITS RELIGIEUX ET/OU STRATEGIE COMMERCIALE?Quelles interprétations les auteurs de manuels font-ils de ces programmes en ce qui concerne les faits religieux ? Le contenu des ouvrages scolaires diffère-t-il de celui de la génération précédente ? Prenons l'exemple des manuels de 5e qui, compte tenu de la durée moyenne de vie de ceux-ci, concernent environ cinq millions d'élèves. Le programme, « Du Moyen Âge aux Temps modernes », fait une part belle aux faits religieux. Parmi ceux-ci : « les débuts de l'islam », « la place de l'Eglise », « les croisades », « les Réformes et guerres de religions au 16e siècle ».Une lecture approfondie des sept nouveaux manuels entreprise par notre groupe de travail révèle des prises de position inattendues ou discutables.L'analyse des lexiques montre l'approximation et même l'absence de nombreuses définitions. Des mots-clés comme « âme », « confession », « doctrine », « foi », « grâce », « mystère », « révélation » sont absents des lexiques - à noter que les termes « foi » et « révélation » étaient présents dans les ouvrages issus des programmes de 1996. Comment parler des Réformes protestante et catholique au 16e siècle sans les notions de « grâce » ou de « confession » ?L'islam-religion est plutôt bien différencié de l'islam-civilisation, ce que ne faisaient pas les six manuels issus des programmes précédents. Mais pourquoi les sept nouveaux ouvrages ont-ils choisi une définition réductrice et guerrière du mot « djihad » ?Deux exemples d'occultations manifestes : aucune allusion à l'antijudaïsme de cette période, deux manuels sur les sept gomment totalement la dimension religieuse du personnage de Jeanne d'Arc. Dans une majorité de manuels, le christianisme apparaît comme intrinsèquement intolérant et violent face aussi bien aux « hérétiques » et aux musulmans qu'aux peuples colonisés.Initiative heureuse : les nouveaux programmes proposent une initiation à l'histoire des arts. Mais comment les élèves peuvent-ils comprendre la présence d'un agneau au milieu d'une représentation de la Sainte Famille si le tableau est analysé d'un simple point de vue réaliste sans prendre en compte la dimension symbolique ? Ces trop fréquentes simplifications, approximations, études décontextualisées ou sans continuité, contre-productives pédagogiquement, ne participent-elles pas à une « dévitalisation » des faits religieux? Une clarification - une « revitalisation" - est nécessaire - et urgente au vu du retard pris - pour déconstruire les préjugés et amalgames.Une question mérite d'être posée : Parler des faits religieux peut être plus ou moins bien reçu par des élèves et/ou des parents d'élèves. Aussi, certains auteurs et/ou éditeurs n'auraient-ils pas choisi cette frilosité rédactionnelle pour éviter de mettre en difficulté des professeurs et/ou de permettre au manuel édité de garder ou conquérir un public plus large?Qu'en est-il alors de la laïcité ? Une pédagogie laïque ambitieuse doit clarifier la signification des faits religieux en respectant, comme sur les deux plateaux d'une balance, aussi bien la complexité du côté religieux que du côté factuel. Une pédagogie qui privilégie le questionnement, la démarche transdisciplinaire. Un art de transmettre qui éveille à la richesse des différentes cultures et crée les conditions d'un espace de dialogue capable de dissoudre ignorances et préjugés, sources de peurs et d'intégrismes multiformes.La tâche et la responsabilité des enseignants n'ont jamais été aussi décisives.
La position de la Ligue de l'enseignement se trouve sur son site www.laicite-laligue.org