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Pascal Laborderie est notamment l'auteur de « Education populaire, laïcité et cinéma. Une médiation culturelle en mouvement », « Le Cinéma éducateur laïque », et de « La Ligue de l’enseignement et le cinéma. Une histoire de l’éducation à l’image (1945-1989) ». Pascal Laborderie est un militant de l'éducation populaire, engagé de longue date au sein de la Ligue de l'enseignement. Les Cahiers rationalistes, publication de l'Union rationaliste publient son étude "Laïcité et cinéma", ainsi qu'une dizaine d'autres articles, dans leur numéro de mai-août 2023, N° 684-685. Il est possible de commander ce numéro sur le site de l'Union rationaliste. Voici quelques extraits de cette étude aussi étoffée que précise:
Cinéma et laïcité ou bien laïcité et cinéma ? Selon l’ordre des termes, le sujet n’est pas le même. Cinéma et laïcité recouvre les différentes manières dont la laïcité est littéralement imaginée dans les films. Laïcité et cinéma considère les activités cinématographiques comme des faits économiques, sociaux et culturels justiciables d’une analyse recourant à la notion de laïcité... En matière de cinéma et laïcité, il convient d’établir un inventaire (inévitablement lacunaire) des films qui illustrent le thème de la laïcité comprise dans son sens philosophique (l’émancipation des êtres humains par leur soustraction à l’emprise des institutions religieuses et plus généralement de tout dogmatisme ou sectarisme) ou l’histoire plus circonscrite des évènements politiques qui, précisément en France, ont conduit à l’établissement du principe juridique de séparation des Églises et de l’État...
Cinéma et laïcité
Concernant la loi de 1905, on ne trouvera pas de film sorti en salle qui relate son histoire, tel que le propose le téléfilm de François Hanss intitulé La Séparation (2013). Peu nombreux sont aussi les films de cinéma sur les personnalités qui ont favorisé cette loi, parmi lesquelles Paul Bert, Aristide Briand, Georges Clémenceau, Ferdinand Buisson, Émile Combes, Jules Ferry, Léon Gambetta, Jean Jaurès, Pierre Waldeck-Rousseau ou Émile Zola.... Tout au plus, on trouvera en 1981, dans le contexte de l’arrivée de l’union de la gauche au pouvoir, un film biographique sur Jules Ferry de Jacques Rouffio, qui célèbre le centenaire des lois dites « laïques ». En revanche, un certain nombre de téléfilms, qui n’ont pas bénéficié de la consécration symbolique et de la médiatisation d’une sortie en salle, retracent les parcours de Georges Clémenceau (Clémenceau, docu-fiction, Olivier Guignard, 2012 ; Clémenceau, docu-fiction, Jérôme Diamant-Berger, 2014), Jules Ferry (Jules Ferry, Les Roses, émission télévisée alternant débats et reconstitutions, Jean Devewer, 1981) et Jean Jaurès (Jean Jaurès, naissance d’un géant, fiction documentée, Jean-Daniel Verhaeghe, 2005 ; Jaurès, documentaire, Vincent Dieutre, 2012).
Dans le contexte de l’affaire de Creil dite du « foulard » (1989), de la loi sur l’interdiction du port des signes religieux à l’école (2004) et de l’affaire du voile intégral (2009), La Journée de la jupe (Jean-Paul Lilienfeld, 2009) représente de manière manichéenne l’affrontement dans un lycée de banlieue entre une professeure de français d’origine maghrébine intégrée sur le modèle de l’assimilation (interprétée par Isabelle Adjani) et des élèves pour la plupart d’origine maghrébine ou subsaharienne...
Concernant la conception philosophique de la laïcité, de nombreux films ont pour point commun la dénonciation, ou tout du moins la critique de l’influence des organisations religieuses dans ce qui touche aux libertés fondamentales et à l’indépendance de l’art, l’éducation, la science et la chose publique. Certains croisent le thème de la laïcité par le biais de la critique des pratiques inquisitoriales de l’église catholique, notamment trois films historiques : Le Grand Inquisiteur (Michael Reeves, 1968), L’Œuvre au noir (André Delvaux, 1988) et Les Trois Vies du chevalier (documentaire, Dominique Dattola, 2014). Dans cette veine, il est possible de réinscrire les films qui témoignent de l’obscurantisme religieux, qu’il soit catholique ou islamique, par exemple Galileo (Joseph Losey, 1975), Le Destin (Youssef Chahine, 1987), Agora (Alejandro Amenábar, 2009) et L’Œil de l’astronome (Stan Neuman, 2012)....
Laïcité et cinéma
Qu’ils soient historiques, biographiques ou satiriques, les films qui ont pour thématique la laïcité ont fréquemment pour point commun la dénonciation, ou tout du moins la critique de l’influence des organisations religieuses dans ce qui touche aux libertés fondamentales et à l’indépendance de l’art, de la science, de l’éducation et de la chose publique. Dans divers pays, aux différents stades de leur production ou diffusion, ils ont pu constituer un prétexte à scandale, polémique, censure, agressions verbales, menaces de mort, agressions physiques et même attentats...
Diamétralement opposé à ces hagiographies dans le registre saint-sulpicien, le dessin animé pour adultes South Park (Tray Parker, 1999), adapté d’une série télévisée sujette à de nombreuses critiques pour immoralité (grossièreté, obscénité, violence, scatologie), a été interdit d’exploitation dans de nombreux pays : Arabie Saoudite, Birmanie, Cambodge, Indonésie, Iran, Iraq, Koweït, Liban, Maroc, Pakistan, Philippines, Russie, Sri Lanka, Thaïlande, Vatican et Viêtnam. Aux États-Unis, il est interdit aux personnes de moins de 17 ans non accompagnées. En France, le film est classé « interdit aux moins de 12 ans ». Concernant la télédiffusion de la série, le Conseil supérieur de l’audiovisuel demeure lui aussi relativement souple. En effet, en 2007, il met tout au plus en garde la chaîne Game One (MTV France) en raison d’une sous-classification de deux épisodes, à propos desquels il recommande une diffusion après 22h assortie de la mention « déconseillés aux moins de 12 ans ». L’étude comparée de l’interdiction du film et de la série South Park dans différents pays est un bon moyen d’évaluer le degré de tolérance des pouvoirs publics français par rapport à des contenus audiovisuels reconnus communément comme immoraux ainsi que leur imperméabilité aux pressions communautaristes...
En ce qui concerne l’agitation, certains groupes catholiques intégristes organisent des manifestations à l’encontre de cinémas qui programment des films considérés comme immoraux ou blasphématoires, parfois même des attentats (Je vous salue, Marie, Jean-Luc Godard, 1985 ; The Last Temptation of Christ, Martin Scorsese, 1988). Les films qui ont pour thématiques le contrôle des naissances, l’euthanasie ou l’homosexualité subissent régulièrement des menaces et des tentatives d’obstruction selon des modes opératoires qui ont tendance à circuler d’un pays à l’autre. Cette agitation pourrait conduire les maires à annuler les spectacles cinématographiques afin de protéger leurs concitoyens. Ainsi, en 1988, suite aux nombreuses attaques visant les cinémas diffusant La Dernière Tentation du Christ (Ethis, 2005 : 77-79), le maire d’Arcachon invoque la notion de trouble à l’ordre public pour interdire le film. Cette décision est cependant annulée par le Tribunal administratif de Bordeaux, qui protège en cela la liberté d’expression...