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Le 6 décembre à Paris, à la suite d'un colloque universitaire et d'un grand meeting, un collectif d'organisations a rendu public un texte: "Retrouver le sens de la laïcité"
Retrouver le sens de la laïcité
La célébration du cent-vingtième anniversaire de la loi de Séparation du 9 décembre 1905 donne aux associations signataires de ce texte l’occasion de rappeler combien la laïcité est essentielle à l’agencement de la vie démocratique. Elles rejoignent ainsi l’intention de la Constitution qui en a fait, en la plaçant au service de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, l’un des principes fondateurs de la République.
Reliant la France à la communauté des nations démocratiques, la laïcité trouve son origine dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En fixant « le principe de toute souveraineté dans la nation » (article 3), la Déclaration affirme l’autonomie du pouvoir politique à l’égard des lois divines ; en affirmant que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (article 10), elle permet à chacun de pouvoir choisir en toute indépendance ses convictions et ses croyances. Se manifeste là une rupture décisive avec l’ordre d’Ancien Régime, fondé sur la pimauté et l’unité de foi. Il est revenu à la législation de la Troisième République de confirmer le dispositif établi en 1789. Le monde scolaire, dans ses programmes, ses personnels, ses dispositifs d’organisation, est mis à l’abri des influences religieuses dans les années 1880. La loi du 9 décembre 1905, dont le Conseil d’Etat a pu rappeler qu’elle était la « clé de voûte » de la laïcité française, couronne la construction laïque en instituant la séparation des Eglises et de l’Etat.
Le texte, s’il contient des dispositions techniques concernant notamment l’organisation interne des cultes, comporte deux éléments fondamentaux, auxquels s’attache la vie démocratique. D’abord, il consacre la liberté de conscience, considérée dans sa double dimension individuelle et collective. Celle-ci apparait dès l’article 1er. Le rapporteur de la loi, Aristide Briand, considérait que c’était à son aune qu’il fallait évaluer toutes les autres dispositions du texte. La liberté appelle l’égalité : la loi protège identiquement les croyants et les non-croyants, sans qu’on ne puisse discriminer quiconque à raison de ses opinions religieuses ou convictionnelles. Ensuite, en affirmant, dans son article 2, que « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte », la loi affirme la neutralité de l’Etat, qu’elle estime être la condition de possibilité de la liberté de conscience : l’Etat doit se tenir à distance de toutes les conceptions englobantes du bien, afin de préserver le droit à l’égale liberté de conscience des citoyens.
Ce modèle républicain s’est inscrit progressivement dans l’esprit public. Au cours des années 1960-1970, on parlait même, en dépit de la résurgence des querelles scolaires, de « laïcité d’évidence ». Or, au cours des trois dernières décennies, le régime de laïcité a subi un dévoiement de ses principes originels : il était hier un dispositif de protection de la liberté individuelle ; il est devenu un appareil de défense de la prétendue « identité nationale ». A la laïcité de l’autonomie s’est substituée celle de la surveillance. Issu du refus d’accepter l’ouverture de la société à la pluralité des composantes culturelles et de la volonté de faire valoir, contre l’éthique universaliste de la République, une conception identitaire et parfois ethnique, de la nation, ce nouveau modèle a pris forme juridique, à travers une succession de lois et de règlements qui ont trouvé leur consécration limitative dans la loi du 24 août 2021 visant à « conforter le respect des principes de la République ».
Cette législation inédite, elle-même accompagnée d’une vaste mobilisation éducative, a introduit, en rupture avec les principes de 1905, une double mutation. D’abord, si elle n’est pas encore intégrée dans notre droit, l’extension de la sphère de la neutralité est incitée. Dans le droit originaire, l’impératif de neutralité ne vaut que pour les espaces et les agents de l’État ; la République, soutenue par la jurisprudence administrative, a toujours estimé, en revanche, que l’espace social était, sous réserve des exigences de l’ordre public, une zone d’expression de la pluralité des convictions et des croyances. Or, en témoignent certaines propositions de loi — dont l’une a été adoptée au Sénat —, qui réclame que le droit actuel étende la règle de la discrétion en matière religieuse aux citoyens ordinaires dans l’espace même de la société civile. Ensuite, la « nouvelle laïcité » a, par un mouvement parallèle, réduit la sphère de la liberté. En agitant le chiffon rouge du « séparatisme », en faisant valoir, auprès de certains de nos compatriotes, leur « devoir d’émancipation », en se faisant en cela le gardien des bons comportements, L’État aujourd’hui est entré, sur les questions religieuses et convictionnelles, dans des domaines qu’il laissait libres auparavant. Il intervient, par exemple en règlementant le port du vêtement, dans les choix privés des individus, il soumet les collectivités locales à des contrôles inédits, il réduit le champ d’autonomie des associations cultuelles et ordinaires. Malgré le principe de séparation, la loi du 24 août 2021 va jusqu’à offrir la possibilité aux préfets de refuser la qualité cultuelle d’associations la revendiquant, obligeant ces dernières à de lourdes démarches administratives à renouveler tous les 5 ans, ce qui ne contribue pas à garantir leur pérennité.
Faut-il se résigner à cette dérive autoritaire ? C’est, au contraire, à la résistance que veulent appeler les signataires de ce texte. Leur idée est que cette dérive, outre qu’elle porte atteinte au corpus des droits que l’histoire de la liberté nous a légué, vient accentuer la défiance au sein de la société et empêcher un vivre ensemble harmonieux. Sans nier certes l’importance d’intégrer les citoyens dans un espace public partagé organisé autour du respect de la liberté d’autrui et de la recherche de l’intérêt commun, ils appellent à rétablir la laïcité sur ses bases, en retrouvant la vision originelle qui en faisait un système de promotion de la liberté et non de surveillance de l’opinion.
Dans cette perspective, ils appellent l’esprit public à se rassembler autour d’un triple objectif.
-D’abord, refaire droit à la liberté de conscience. Chacun doit pouvoir exprimer jusque dans l’espace social ses propres convictions et croyances sans qu’on lui impose, au nom d’un ordre moral que l’Etat définirait, une quelconque invisibilité sociale, non plus qu’une quelconque homogénéité idéologique.
-Ensuite, reconstruire l’indépendance de la sphère politique. L’un des grands motifs de la loi de 1905 a été de placer l’Etat en dehors de tout contrôle des Eglises. Nous souhaitions renouer avec cette visée, qui est la condition d’une action publique autonome laissée, loin de toute soumission aux cléricatures, aux seules déterminations de la délibération civique.
-Enfin, renouer avec l’idée de droit social. Au moment de la délibération de 1905, plusieurs défenseurs de la loi avaient affirmé, tel Jean Jaurès, que « la République ne resterait laïque qu’à la condition d’être sociale ». C’est là aussi un point d’ancrage de cette déclaration : il ne peut y avoir de liberté, ni donc d’évitement de la soumission, indépendamment des conditions matérielles dans lesquelles se déploient les existences individuelles.
Retrouvons le sens de la laïcité, battons-nous pour une laïcité de liberté qui se nourrit de fraternité et de bien commun, assurons-lui un avenir !
La Vigie de la Laïcité, le CNAFAL, Robert Boston pour United Americans for Separation, Rites Unis Memphis-Misraïm, Les Amis de la Commune de Paris, Solidarité Laïque, Émancipation Tendance Intersyndicale, Humanist International, Confédération CGT-FO, AILP, FSU, Union Rationaliste, LDH, Coudes à Coudes, Ligue de l’Enseignement, FNLP, Keith Porteous Wood pour Secular Society (G.-B.), Sud-Education, Confédération CGT, Aires Rodrigues (Ps Portugal), La Marche des Solidarités, SE-UNSA, FERC-CGT, ADMD, FFC-Crémation.