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Billet de blog 11 avril 2017

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Vous avez dit concordat ?

« Vous avez dit Concordat ? » Un livre de Michel Seelig, paru aux Editions L’Harmattan, pour sortir progressivement du régime dérogatoire des cultes en Alsace et en Moselle.

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Depuis trop longtemps, la position du mouvement laïque face au régime des cultes et au statut scolaire d’Alsace et de Moselle a été celle de l’incantation. « Abrogation » était le mot magique. Sans résultat concret jusqu’à ce jour… Michel Seelig travaille depuis des années sur ce sujet. Mosellan, il a été chef d’entreprise, universitaire, élu municipal, responsable associatif… Autant d’occasions de se frotter au droit local qui régit d’assez nombreux domaines. Michel Seelig est également président du Conseil de l’IUT de Metz et président du Cercle Jean Macé de Metz. Son livre est publié dans la collection « Débats laïques » dirigée par Gérard Delfau. Gérard Delfau ex sénateur de l’ Hérault et ex président de l’association Egale a lui –même publié dans cette collection un ouvrage intitulé « La laïcité défi du XXI° siècle ». Il a préfacé le livre de Michel Seelig.

Michel Seelig s’attaque d’abord à la tâche de présenter de façon claire une situation qui ne l’est pas toujours. C’est une facilité de langage de désigner sous le vocable de « concordat » le régime des cultes d’Alsace et de Moselle, voire la totalité du droit local. D’où vient le droit local ? En 1871, à la suite de la défaite de la France devant la Prusse, l’Alsace et une partie de la Lorraine, correspondant en gros au département de la Moselle, deviennent des terres d’Empire : Reichsland Elsass-Lothringen . Elles le demeureront jusqu’en 1918. Un droit local va ainsi se créer à partir de trois sources. Les lois françaises sont considérées comme un « droit provincial » dans le cadre du II° Reich qui était un Etat fédéral. Certaines sont maintenues en vigueur par les autorités allemandes, alors qu’elles sont abrogées en France (c’est le cas du concordat). Par ailleurs des lois allemandes sont introduites en Alsace et en Moselle (comme le Code local des Professions en 1900). Enfin des dispositions propres à la terre d'Empire sont adoptées (le régime local de la chasse en 1881). Après 1918, la législation française de l’époque est largement introduite, mais avec de notables exceptions. Aujourd’hui c’est le droit national qui prévaut. Mais le droit local en vigueur régit, au moins en partie, plusieurs domaines non négligeables : la législation sociale, les jours fériés, l’artisanat, la chasse, la publicité foncière, les associations, et même la justice… Deux autres domaines nous intéressent particulièrement : le statut scolaire et le régime des cultes. Puisque l’Alsace et la Moselle n’étaient pas françaises au moment des votes des grandes lois républicaines laïcisant l’Ecole, de 1880 à 1886, puis l’Etat, en 1905. 

La « Loi relative à l’organisation des cultes » du 18 germinal An X (8 avril 1802) est toujours en vigueur en Moselle et en Alsace. Elle a été abrogée en 1940 par la dictature nazie sans que le concordat allemand (Reichskonkordat) du 20 juillet 1933 ne soit introduit localement. Elle sera rétablie en 1944 à la Libération. Les cultes reconnus sont au nombre de quatre : le culte catholique, les deux cultes protestants : Eglise de la confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (ECAAL) et Eglise réformée d’Alsace et de Lorraine (ERAL) et le culte israélite. Ces cultes bénéficient d’un statut de droit public et d’un financement public qui génère un budget des cultes. Les ministres du culte (curés, évêques, pasteurs, rabbins…) sont rémunérés par le Ministère de l’intérieur. Leurs pensions de retraite sont versées par le Ministère de l’économie et des finances. Ils sont logés par les communes. Mais ils ne sont pas fonctionnaires. La gestion courante est assurée par des « établissements publics du culte » (cures, fabriques, menses épiscopales pour le culte catholique, conseils presbytéraux et consistoires pour les cultes protestants, consistoires pour le culte juif…). Ces établissements publics du culte sont autofinancés, mais les communes doivent combler les éventuels déficits. Comme en « France de l’intérieur », les édifices du culte sont entretenus par l’Etat et les collectivités locales, qui entretiennent ici d’autres édifices tels que séminaires, maisons diocésaines… Les autres cultes, principalement l’islam et diverses « Eglises libres », ne sont pas reconnus. Ce sont des associations ayant un statut de droit privé. Inscrits dans le registre des associations, les cultes non reconnus peuvent bénéficier notamment de soutiens communaux.

Quant au statut scolaire local, il repose principalement sur la loi française du 15 mars 1850. C’est la fameuse « loi Falloux » selon le nom de son promoteur. La contradiction portée par Victor Hugo à l’Assemblée Nationale est restée dans toutes les mémoires républicaines. L’article 23 de cette loi impose « l’instruction morale et religieuse » dans les écoles primaires publiques. Une ordonnance du chancelier d’Empire de 1873 précise dans son article 10 que « dans toutes les écoles, l’enseignement et l’éducation doivent tendre à développer la religion, la moralité et le respect des pouvoirs établis et des lois ». L’enseignement secondaire public est également confessionnel, bien que le fondement juridique de cette pratique soit mal assuré. Un arrêt du Conseil d’Etat du 23 mai 1958 stipule que ce statut est applicable aux établissements d’enseignement technique publics. L’enseignement religieux est obligatoire, même si des dispenses sont accordées. Il s’agit de leçons doctrinales et non d’étude scientifique objective. Il fait partie intégrante du programme scolaire, à raison d’une heure par semaine dans l’enseignement primaire. Les enseignants de religion, à l’école comme dans les IUFM, et les professeurs des Facultés de théologie sont rémunérés par l’Education Nationale. Les facultés de théologie catholique et protestante sont des composantes de l’Université.

Michel Seelig analyse la jurisprudence de Conseil d’Etat, un avis du Conseil constitutionnel de 2011, ainsi que les positions de la Cour européenne des droits de l’Homme. Et consacre un chapitre aux arguments des défenseurs des régimes dérogatoires. Il est intitulé de façon explicite « De la mauvaise foi ». Un tableau de la vie politique locale d’après 1871 est donné. L’ouvrage est conclu par un chapitre décisif « Laïcité ou Concordat Il faut choisir ». De précieux textes de référence sont donnés en Annexes (Loi du 18 Germinal An X, Loi relative à l’enseignement de 1850 (Falloux), et des textes allemands sur l’enseignement). Une bibliographie et une sitographie complètent un ouvrage qui fournit toutes les données de la question et propose des solutions concrètes. Michel Seelig a su en particulier éviter le piège de la confusion avec la question des langues. Qu’on suive l’auteur en tout ou partie, son ouvrage s’impose comme une référence dans un débat trop souvent dénué d’informations précises et vérifiées. 

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