Cette étude est d'abord parue dans la Revue Politique et Parlementaire. Nous la diffusion avec l’aimable autorisation de l'auteur et de la Revue.
Introduction

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Le droit fut et reste réticent à utiliser le substantif laïcité. Il faut attendre la loi du 30 octobre 1886 et, plus particulièrement son article 17, sur l’organisation de l’enseignement pour que la laïcité fasse son entrée dans le vocabulaire juridique, et encore sous la forme d’un adjectif : « Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque », c’est-à-dire, non congréganiste.
La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, considérée comme le texte fondateur du modèle laïque français, ne mentionne jamais, pas plus dans ses dispositions de principe subtilement développées dans ses deux premiers articles que dans les modalités concrètes d’organisation de la séparation, le terme de laïcité.
Et le grand juriste Jean Rivero, analysant en 1949 la notion de laïcité1 sous l’angle du droit, soulignait que le mot, alors sentait la poudre et éveillait « des résonances passionnelles contradictoire », mais, s’empressait-il d’ajouter, « le seuil du droit franchi, les disputes s’apaisent, la définition de la laïcité pour le juriste ne soulève pas de difficultés majeures » (Jean Rivero : « La notion juridique de laïcité » Recueil Dalloz 1949, chronique XXXIII, p. 137). Elle se limiterait à organiser la neutralité de l’Etat et de ses services publics.
Il n’est pas certain qu’il soit aujourd’hui possible d’afficher une même sérénité. Depuis un peu plus de trente ans, avec une accélération depuis un peu moins de vingt ans, l’on assiste à une véritable inflation normative autour du principe de laïcité justifiée par la nécessité de « conforter le respect des principes de la République » pour reprendre le titre de la loi du 24 août 2021 ou plus trivialement, pour lutter contre le séparatisme, pour reprendre le vocabulaire utilisé lors de la présentation du projet de loi, le 4 septembre 2020. Le point de départ de ce nouvel intérêt du droit pour la laïcité, on peut le dater du vote de la loi du 15 mars 2004, « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes et de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » (Article L.141-5 du code de l’éducation).

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Toutefois, ce n’est pas parce que le droit a évité, pendant une longue période, de faire usage du mot de laïcité qu’il s’en est désintéressé, ce n’est pas, non plus, parce que cet usage tend à devenir compulsif qu’il est nécessairement justifié.
En effet, le principe de laïcité a émergé et s’est construit juridiquement selon une logique d’émancipation au sein d’une société longtemps marquée par le monopole idéologique occupé par la religion et l’Eglise catholique. C’est la fissuration puis la remise en cause de ce bloc hégémonique qui devait conduire à une reconsidération de la fonction dévolue au principe de laïcité, perçu dès lors moins comme un instrument d’émancipation des statuts et des consciences que comme un outil idéologique de conformation sociale. A cet égard la comparaison que l’on peut faire entre le texte, éclairé par les débats qui en ont précédé l’adoption, des lois du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat et du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République, est particulièrement riche d‘enseignements. Une clarté des convictions et des principes dans un cas, une forme d’illisibilité dans l’autre.
Partie 1
Une construction historique inscrite dans une logique d’émancipation
Partie 2
Un basculement idéologique qui favorise l’apparition d’une laïcité construite sur des interdits
Partie 3
L’incidence du basculement idéologique sur la portée et normativité des textes
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