Face à des phénomènes nouveaux, apparus ces dernières décennies dans un contexte social fragile, de montée de revendications communautaires, de contestation ou d’instrumentalisation du principe de laïcité, l’Observatoire de la laïcité a souhaité établir un rappel du cadre légal permettant de sanctionner les agissements contraires aux exigences minimales de la vie en société, en particulier dans des situations pour lesquelles le principe de laïcité est invoqué à tort.
La laïcité est un principe juridique qui assure la séparation entre l’administration, neutre et impartiale, et les organisations religieuses ; garantit la liberté absolue de conscience et celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public ; et garantit l’égalité de tous devant la loi et les services publics, quelles que soient leurs convictions ou croyances. Son invocation ne peut suffire pour répondre à des difficultés, qui peuvent concerner les convictions ou croyances de chacun, mais qui relèvent d’autres champs, tels que les violences, les incivilités, les atteintes à la dignité humaine, les atteintes à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accès égal aux biens et services, les discriminations, le harcèlement, les menaces et intimidations, les dérives sectaires, l’absence de mixité sociale ou scolaire.
Cependant, sans que ce soit sur le fondement du principe de laïcité (à l’exception de la contrainte évoquée au point 1 ci-dessous), le droit positif couvre ces champs et répond aux comportements ou agissements contraires aux exigences minimales de la vie en société. Ce droit, peu connu dans le cas où la religion ou l’absence de religion est à l’origine de ces comportements ou agissements, doit être rappelé et appliqué fermement.
En ce sens, l’Observatoire de la laïcité rappelle que… :
1. Sur le fondement de l’article 31 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, la contrainte « soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune », à « exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte » est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe (1.500 euros, montant qui peut être porté à 3.000 euros en cas de récidive) et d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois ou de l’une de ces deux peines.
2. Les atteintes à l’intégrité de la personne dont les violences, les appropriations frauduleuses et les autres atteintes aux biens, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, quels qu’en soient le degré et le motif, y compris pour des raisons religieuses ou convictionnelles, sont punies des peines prévues aux articles 222-1 à 222-51, 311-1 à 311-13 et 321-1 à 322-18 du code pénal ; et des contraventions mentionnées aux articles R325-7, R622-1, R623-1, R625-1 et R625-3 du même code.
Il en est ainsi par exemple d’agressions verbales à l’encontre de personnes en raison de leur appartenance ou non, réelle ou supposée, à une religion ou à une conviction.
3. Les atteintes à la dignité humaine dont, notamment, la dissimulation forcée du visage, les atteintes au respect dû aux morts ou les discriminations (dont celles à l’embauche ou celles, quel qu’en soit l’objet, à l’encontre de personnes, notamment à raison de leur origine, de leur sexe, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leurs moeurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leurs opinions politiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée), sont punies des peines prévues aux articles 225-1 à 225-25 du Code pénal ;
Exemple : un employeur ne peut conditionner une offre d’emploi à ses convictions religieuses ou opinions, ni refuser d’embaucher un candidat à raison de ses convictions religieuses ou opinions.
4. Nul ne peut se prévaloir de sa religion ou de ses convictions pour porter atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Exemples : dans le cadre professionnel, le refus de se conformer à l’autorité d’une supérieure hiérarchique femme constitue un manquement à l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail justifiant une cause réelle et sérieuse de licenciement (article L1222-1 du Code du travail, Cour d’appel de Rouen, 17 juin 2014) ; le fait pour un homme de saluer ses collègues en leur serrant la main sauf celle de son unique collègue femme peut constituer le même manquement ou, de façon répétée, peut s’apparenter à une discrimination susceptible de constituer un des éléments matériels du harcèlement moral (article 222-33-2 du Code pénal) ; le refus de présenter son titre de transport dans les transports publics au motif que le contrôleur serait une femme est passible d’une amende pour défaut de présentation du titre de transport (articles 529-3 et 529-4 du Code de procédure pénale).
5. Le refus de vente (notamment dans un local commercial, tel un café ou un restaurant), le refus de fournir un bien ou service, ou l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique quelconque, quel qu’en soit le motif (notamment en raison de l’appartenance ou non, réelle ou supposée, à une religion ou à une conviction, ou en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle du vendeur ou du consommateur), sont punis des peines prévues aux articles L121-11 du Code de la consommation et 225-2 du Code pénal.
Exemples : une auto-école ne peut pas refuser l’accès et la vente d’un service (cours pour l’obtention du code et du permis de conduire) à une personne en raison de son sexe ; une agence immobilière ne peut pas refuser de préparer un contrat de bail au nom d’une personne en raison de son patronyme (Cour de Cassation, chambre criminelle, 7 juin 2005) ; un hôtelier ne peut pas refuser de louer une chambre à une femme « blanche » accompagnée d’un homme « noir » (Cour d’appel de Douai, 25 juin 1974) ; un gérant d’un débit de boissons ne peut pas refuser de servir une boisson alcoolisée à des clients en raison de leurs appartenances religieuses ou origines supposées (Tribunal de grande instance de Strasbourg, 21 novembre 1974) ; ou encore, un pharmacien ne peut pas refuser de délivrer des pilules contraceptives en se fondant sur ses convictions personnelles (Cour de Cassation, chambre criminelle, 21 octobre 1998).
6. Le harcèlement moral au travail (notamment à l’encontre de personnes en raison de leur appartenance ou non, réelle ou supposée, à une religion ou à une conviction, ou en raison de leur sexe) est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende (article 222-33-2 du Code pénal).
Exemple : un supérieur hiérarchique ne peut pas tenir dans le cadre professionnel de propos ni avoir des agissements répétés consistant en des insultes ayant une connotation sexuelle dégradante ou bien traitant par le mépris les convictions, l’absence de religion ou la religion de certains salariés (Cour de cassation, chambre criminelle, 29 novembre 2016).
7. Le harcèlement moral entre concubins, partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS) ou conjoints (notamment en raison de l’appartenance ou non, réelle ou supposée, à une religion ou à une conviction) est puni de 3 à 5 ans d’emprisonnement et de 45.000 à 75.000 euros d’amende (article 222-33-2-1 du Code pénal). Il en est de même pour les anciens concubins, anciens partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou anciens conjoints ;
Exemple : personne ne peut exercer de harcèlement moral sur son époux, concubin ou conjoint en vue de restreindre sa liberté personnelle, notamment en l’obligeant à adopter un comportement contraire à sa volonté ou à limiter ses déplacements.
8. Les dérives sectaires (notamment celles touchant les mineurs ; ou ayant une incidence sur la situation familiale, l’instruction scolaire, la protection des personnes vulnérables ou la santé publique), parce qu’elles constituent un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion, sont punies des peines prévues aux articles 223-15-2, 227-17 et 227-17-2 du Code pénal. Les dérives sectaires peuvent également entraîner des mesures d’assistance éducative si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel sont gravement compromises comme il est prévu aux articles 375 et suivants du Code civil.
Exemple : personne ne peut exercer une pression sur un individu fragilisé afin de lui faire abandonner un traitement médical ou pour exploiter chez lui un état de sujétion psychologique ou physique, le privant d’une partie de son libre arbitre.
9. Les menaces et intimidations à l’égard de quiconque, commises en vue de déterminer la victime d’un crime ou d’un délit (notamment ceux dont les peines sont rappelées dans les 8 points cidessus) à ne pas porter plainte ou à se rétracter, sont punies de 3 ans d’emprisonnement et de
45.000 euros d’amende (article 434-5 du Code pénal).
Ainsi, chacun doit avoir la possibilité effective de faire part aux autorités publiques des agissements dont il se considère victime, sans que personne ne puisse le contraindre à y renoncer.