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Billet de blog 17 juin 2024

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La guerre scolaire n'aura pas lieu

Une analyse de Laurent Frajerman, chercheur associé au Centre de recherche sur les liens sociaux, Cerlis, Université Paris Cité, agrégé d’histoire

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L’enseignement privé éprouve des difficultés croissantes à se soustraire à l’exigence de transparence, de respect des règles communes en matière de comptabilité et surtout au questionnement sur son rôle devenu toxique dans le système scolaire français. La DEPP (le département de statistiques du Ministère) vient ainsi de calculer que l'enseignement privé est responsable à lui seul de 45 % de la ségrégation au collège, soit plus du double de son poids numérique ! Et l'écart de composition sociale entre les deux secteurs ne cesse de se creuser. 

La guerre scolaire : un fantasme bien utile

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Magazine Challenges Avril 2024

Dans les médias circule l’idée d’un retour de la guerre scolaire. Cette hyperbole arrange les tenants de l’enseignement privé par la dramatisation qu’elle permet. Or, le débat est sain dans une démocratie. Il serait logique qu'on assiste à des mobilisations des deux côtés. Et alors ? Personne ne risque sa vie ! Par analogie, si le Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique (SGEC) ne veut pas relancer le débat public, c’est parce que la situation lui profite. Le choix de la discrétion est stratégique. Ce n’est pas celui d’un statu quo, puisqu'il progresse, non seulement en parts de marché, mais également en financements publics. Des outils et des pratiques ont été mises en place depuis des décennies, confortées par Emmanuel Macron, qui créent une pente naturelle  en sa faveur. L'appétit du privé est sans limite, on a pu le constater lorsque Pap N'Diaye a relancé la question de la mixité sociale et que celui-ci a refusé d’accueillir des boursiers sans compensation financière intégrale de la part de l’Etat, au lieu de faire contribuer les autres parents d’élèves, issus de milieux de plus en plus aisés.

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Le Parisien 31 Mars 2024

La notion de guerre scolaire a en revanche l’intérêt de souligner la divergence fondamentale entre deux options :

1. celle du marché scolaire, de la liberté pour les plus aisés de choisir des établissements élitistes, en orientant les autres vers un enseignement public bas de gamme,

2. celle d’un système scolaire démocratique, au service de la nation, laquelle n’interdit pas des enseignements alternatifs, mais ne les finance pas.

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire que si ce débat quasi philosophique éclaire la mobilisation des partisans de l’école publique, le mettre en avant était peu opportun car revenir sur la loi Debré n’est pas d’actualité. Depuis 1959, les verrous mis par le Conseil Constitutionnel et l’Union Européenne sont puissants. Et surtout, cette situation est approuvée par les français, d'autant que la crise de l’école retentit d’abord sur l’image du secteur public.

 Ainsi, l’opinion publique est acquise à l’idée d’un financement public de l’école privée sous contrat mais est sous informée de l’importance de ces financements (75 % de l’ensemble). Les sondages récents varient sur cet aspect. Selon OpinionWay / Valeurs, 72 % des français estiment qu’il « est normal que l'Etat participe au financement des écoles privées si elles participent au service public de l'éducation » (dont 31 % tout à fait). Nous reviendrons sur cette idée contestable d’un système privé participant au service public, qui biaise les réponses.

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Plus neutre dans sa présentation, le sondage Odoxa / Challenges et BFMTV Business indique que 52 % des français pensent qu’il « est normal que l'Etat participe au financement des écoles privées puisqu’elles participent comme le public au service public de l'éducation » contre  46 %  qui choisissent la formule alternative : « il n’est pas normal que les impôts de tous les Français servent à financer l’école privée alors que les enfants de tous les Français n’en profitent pas ». Mis en présence des deux argumentaires, les sondés d’Odoxa sont plus partagés que ceux interrogé par Opinionway, plus partial. Il n'en reste pas moins que les deux sondages donnent une majorité de français favorables à ce financement.

En revanche, quand Odoxa passe du principe à l’application, on constate un progrès de la position laïque, puisque 49 % des français s’avèrent favorables « à ce que l’on réduise fortement ou même que l’on supprime cette dotation de l’Etat à l’école privée ». L’opinion est parfaitement scindée en deux, ce qui laisse de l'espace pour un argumentaire centré sur les privilèges de l'enseignement privé et le coût pour le contribuable.

Il ressort des tris croisés de cette étude que les partisans de l’école publique sont plus nombreux dans les CSP+ (56 % contre 42 %) et en région parisienne (+ 6 points par rapport à la moyenne). Tous les sondages qui publient des tris croisés indiquent que les CSP + sont plus sceptiques sur les qualités de l'enseignement privé que les CSP-, sans doute du fait d'une meilleure connaissance du système, et aussi parce que ces milieux disposent d'autres moyens de sélectionner l'école de leurs enfants, même quand elle est publique (choix des langues, classes à thèmes, habitat : des recherches ont montré l'incidence de la carte scolaire sur le prix de l'immobilier...)...

Le texte intégral de l'étude de Laurent Frajerman est en ligne sur son site 

Laurent Frajerman précise: Ces remarques, complémentaires de notre dernier billet sur le sujet et de notre interview sur Blast concernent essentiellement les établissements privés qui se développent dans les métropoles, sur un registre sélectif. Nous avons déjà évoqué l’existence d’établissements dont le public ne s’embourgeoise pas, et qui jouent un rôle plus positif. Ces derniers ont tout intérêt à la clarification que les laïques appellent de leurs vœux.

Guerre scolaire, laïcité : trailer Frajerman sur Blast, 13 avril 2024 © Laurent FRAJERMAN Engagement & politique éducative

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