ARCI est un mouvement d'éducation populaire italien comparable à la Ligue de l'enseignement. ARCI est engagée dans la lutte contre la mafia.

La province de Caserta est un territoire particulièrement difficile, contrôlé par les « Casalesi » auteurs de crimes sauvages et d'une stratégie affairiste décomplexée : trafic de drogue, bâtiment, élevage, traitement des déchets, en Italie et au delà. L'image du clan, aujourd'hui en crise en raison des arrestations, est associée à Gomorra, la série tv populaire. Et si mafia judiciaire et antimafia ont leur récit , on ne peut pas en dire de même pour l'antimafia sociale, dont les biens confisqués constituent un aspect important. Cet outil juridique a été prévu par la loi « Rognoni – La Torre » de 1982 , qui a introduit dans le code pénal italien (article 416 bis la notion de « délit d'association de type mafieux ». Il s'agit là d'un instrument permettant à l'Etat d'enlever aux mafieux les biens mobiliers et immobiliers dérivés de profits illicites pour récupérer les fruits de leurs méfaits. Un choix révolutionnaire qui permet de frapper les organisations criminelles dans ce à quoi elles tiennent le plus : l'argent , et ses dérivés : voitures de luxe, villas, terrains...Cette loi de confiscation: une intuition géniale de Pio La Torre, syndicaliste et député communiste de Sicile, victime de la mafia, qui l'a exécuté avant même la promulgation de la loi .
L'office de confiscation a acquis un poids décisif grâce à la loi de 96 qui introduit la réutilisation des biens confisqués par des organismes à but social . Cette loi, première loi italienne d'initiative populaire, a été approuvée par le Parlement, grâce au million de signatures recueillies par Libera, réseau d'associations dont fait partie l'ARCI. Elle prévoit que les biens confisqués, à travers un protocole spécifique, malheureusement long, puissent être attribués à des associations, des coopératives, des écoles, ou à tout autre organisme d'utilité publique . La loi retient deux aspects fondamentaux de lutte contre les organisations criminelles: l'influence sur le territoire et la nécessaire implication des citoyens .
L' invincibilité présumée de la mafia naît en effet de l'acceptation et de la peur. Quand, sur un territoire, les gens - sous influence des organisations criminelles - voient que l'Etat a récupéré les domaines acquis de manière illégale, les transformant en lieux d'utilité publique, la mafia s'affaiblit . Les biens confisqués deviennent le symbole de sa défaite et de la victoire de l'Etat .
S'avère alors fondamentale l'implication directe des citoyens, qui, à travers des formes de participation organisées entrent dans le jeu , devenant acteurs de la lutte -sociale- contre les mafieux. On compte par milliers , en Italie, les biens attribués à des coopératives agricoles, à des centres antiviolence, d'accueil de réfugiés ou de groupes de toxicodépendants . Ces structures fournissent du travail à des centaines de jeunes, dans un contexte assaini . Des coopératives comme celle de Corleone " Lavoro e non solo", ou de Caserta :l'association "Nero e non solo " , favorisent ainsi la renaissance de leur territoire. Non négligeable est aussi le rôle des milliers de jeunes qui participent aux chantiers antimafia , car, par leur présence, ils légitiment ceux qui gèrent les biens confisqués au quotidien .Ils rompent leur isolement et réduisent les risques de représailles .
Ces biens confisqués, en Italie sont - immeubles et entreprises - environ 20 000 . Plus de 10 000 ont été confiés aux agences locales, chargées de désigner leur gestionnaire . Des chiffres qui reflètent l'engagement des années passées , en dépit des obstacles et des freins, et la lenteur des gouvernements .
Les reproches sont toujours les mêmes, des délais toujours trop importants . De la mise sous séquestre à la confiscation définitive, le bien est soumis à toutes les étapes de la procédure pénale, qui peut se poursuivre sur plusieurs années (8 ans ou plus ).Vient ensuite la phase administrative, qui concerne l'Agence nationale et la commune, jusqu'à l'attribution du bien à l'association ou à la coopérative. Délai pendant lequel l'entreprise peut faire faillite, le bien peut se détériorer, ou être totalement détruit .Un autre point névralgique concerne la nécessité de soutenir économiquement des structures qui bénéficiaient de fonds de fonctionnement réguliers, fussent-ils illégaux, quand elles étaient propriété de la criminalité organisée. Méritoire est l'action des structures qui s'investissent dans de tels projets.
Les biens confisqués sont l'exemple vivant de la lutte contre la mafia . Il peut s'exporter, à condition que soit intégrée la spécificité culturelle et historique de l'Italie , où ont toujours coexisté mafia et une opposition de caractère antimafieux . Dans les autres pays européens , semblent encore manquer les anticorps nécessaires à une appréhension de la diffusion de ce phénomène et de son actualité . Beaucoup de pays européens sont des terres de conquêtes pour les organisations criminelles , en raison d'une législation objectivement plus faible . Par ailleurs, la perception même de la présence criminelle est différente .
Liée sans doute aux stéréotypes et à l'absence d'un substrat culturel . L'évolution des mafias nous enseigne que cela pourrait se révéler une erreur impardonnable . L'engagement des citoyens ne peut évidemment pas être le même dans des territoires moins sensibilisés à ce problème . Mais c'est la voie qu'il faut adopter . La politique européenne, bien qu'à petits pas, va dans cette direction, comme le démontrent quelques directives parmi lesquelles celles de 2014 . Encore trop tiède , cependant, le rôle des divers Etats membres . La confiscation des biens , par sa valeur symbolique, constitue donc un moteur pour le changement. Les biens confisqués sont les monuments d'une nouvelle Résistance, le symbole d'une victoire contre un phénomène historique qui, comme le disait le juge Giovanni Falcone « est destiné, comme toutes les choses humaines , à avoir une fin » . Il s'agit d'accélérer cette fin .
Alessandro Cobianchi, Coordinatore nazionale Carovana Antimafie ARCI
Pour en savoir plus sur le chantier antimafia organisé par ARCI et la Ligue de l'enseignement Article