Du 13 février au 29 mai 1960, le Comité national d'action laïque (Cnal) lançait, à travers toute la France, du plus petit village aux quartiers des grandes villes, une pétition contre le financement public des écoles privées.
Un article de Pierre Tournemire, vice-président de la Ligue de l'enseignement
Dès l'adoption, le 31 décembre 1959, de la loi Debré accordant aux écoles privées des fonds publics, le Comité national d'action laïque (Cnal) prend l'initiative d'une pétition nationale. Dans un contexte très difficile marqué par la division des organisations progressistes après les événements de 1958, l'effondrement de la IVe République et le retour au pouvoir du Général de Gaulle, le Cnal réussit un très large rassemblement de tous les partis de gauche, des confédérations syndicales ouvrières, des mouvements philosophiques et des associations laïques autour de son texte (lire encadré ci-contre). Retardée en raison des émeutes d'Alger et de « l'affaire des barricades » où, fin janvier 1960, les partisans de l'Algérie française font peser de graves menaces sur le régime républicain en métropole, le lancement de la pétition a finalement lieu le 13 février 1960. Elle va se dérouler jusqu'au 29 mai. Face à l'hostilité de la hiérarchie catholique qui interdit de signer la pétition et au dénigrement des pouvoirs publics qui contestent par avance les résultats, les modalités de la pétition s'annoncent très contraignantes pour écarter toute possibilité de doubles signatures et ainsi rendre les résultats indiscutables. Comme l'écrit Clément Durand, secrétaire général du Cnal de cette époque, dans son livre Du Ciel sur la Terre : « À la signature collective sur le lieu de travail ou dans la rue, le Cnal fait accepter le principe d'engagements personnels, ce qui impose des signatures individuelles données uniquement sur le plan de la commune de résidence. » En lieu et place des habituelles feuilles volantes, des cahiers de pétition sont remis aux collecteurs avec des pages numérotées où sont indiqués le numéro d'ordre, le nom, le prénom, l'âge, la profession, l'adresse et la signature. Une mobilisation qui a fait date Par la mobilisation qu'elle a entraînée, par l'engagement qu'elle a suscité chez des dizaines et des dizaines de milliers de militants, par l'ampleur des résultats obtenus : près de 11 millions de signatures, soit plus de la moitié des votants aux élections législatives de 1958, la pétition est un événement considérable qui confortera les militants laïques dans la justesse de leur volonté de voir abroger cette loi. La proclamation des résultats sera l'occasion, par sa gravité, son ampleur et sa solennité, d'un grand moment d'émotion pour tous les participants qui en garderont un profond souvenir. Elle a lieu le 19 juin 1960 à Paris au cours d'une double manifestation. Le matin, 25 000 délégués venus de tous les départements apportent au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, les cahiers où sont déposées les signatures. L'une après l'autre, les députations de chaque département gravissent les degrés du podium, remettent sur le bureau de la présidence le procès-verbal départemental de clôture et se dirigent vers le micro pour donner le résultat chiffré de leurs efforts. L'après-midi, c'est une manifestation réunissant 400 000 personnes au bois de Vincennes où le président de la Ligue de l'enseignement, Henri Fauré, lit « le serment laïque » qui restera gravé dans les mémoires sous le nom de « Serment de Vincennes » (lire encadré ci-dessous). Robert Dader, secrétaire général, peut, à juste titre, déclarer dans son rapport moral, quelques jours après, lors du congrès de la Ligue de l'enseignement de Rennes : « Le 19 juin a sonné le réveil de l'opinion, des syndicats ouvriers, des partis politiques de gauche, des élus. Le 19 juin nous a montré que nous sommes des millions à mener la lutte. Le 19 juin marque par son sommet, le début d'une nouvelle conquête de la République. » Pour tous les militants laïques, ce puissant réflexe de défense républicaine devait inexorablement entraîner l'abrogation de la loi dès le retour d'une majorité de parlementaires laïques. Aussi, l'espoir fut grand en 1981 avec l'arrivée au pouvoir de l'Union de la gauche et la déception a été profonde en 1984 quand, devant la mobilisation des partisans de l'enseignement privé, le président de la République, François Mitterrand, décide de retirer le projet de loi d'un « Service public, unifié et laïque ». Rénover le service public Aujourd'hui, le « serment laïque » semble d'autant plus oublié des responsables politiques qu'ils ont le sentiment que la loi Debré est désormais admise par l'opinion qui estime qu'elle offre une possibilité de recours en cas de difficultés scolaires. Il faut dire que l'affrontement idéologique a largement laissé la place au consumérisme scolaire. Pour autant, le dualisme scolaire reste source de ségrégation sociale et d'injustice. Au début du XXe siècle, Ferdinand Buisson disait : « En instituant l'École laïque, la République n'a pas fait œuvre de parti, elle a fait acte de Nation. » Aujourd'hui, dans une société en crise, où le lien social se délite de plus en plus, une rénovation profonde du « service public » est plus que jamais nécessaire. Si nous voulons rester fidèles au « Serment de Vincennes », il ne sert à rien de s'enfermer dans des formules incantatoires. Il convient, au contraire, de réfléchir aux conditions réelles de l'ouverture d'un service public d'éducation pour tous les élèves, à la prise en compte du pluralisme de la société, à l'association de tous les intéressés au fonctionnement de l'institution scolaire, dans le respect de la diversité de leurs opinions et aux conditions d'un enseignement et d'un fonctionnement scolaire s'appuyant sur les singularités de chaque élève, pour développer l'apprentissage de l'intérêt général.
Pierre Tournemire