Le Décalogue, charte d’une théocratie.

Selon deux des livres de l’Ancien Testament, l’Exode et le Deutéronome, YHWH (Yahvé, Dieu) aurait sur le Mont Sinaï révélé à Moïse dix « paroles » (mot souvent traduit par commandements), le Décalogue. Le 19 juin, Jeff Landry, gouverneur de la Louisiane, a promulgué une loi qui rendra obligatoire l’affichage de ces dix commandements dans toutes les écoles publiques, de la maternelle à l’Université. Selon Le Monde, qui rapporte cette information, les affiches seront installées dans chaque salle de classe « avec une police adaptée pour être lisible ».

Pour justifier cette décision, le gouverneur a affirmé : « Si l’on veut respecter l’État de droit, alors il faut partir de la loi originelle, celle de Moïse », méprisant ainsi celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette loi cléricale. L’American Civil Liberties Union, les Americans United for Separation of Church and State, et la

Freedom from religion foundation ont dénoncé cette loi contraire au premier amendement de la Constitution des Etats-Unis qui prohibe l’établissement d’une religion nationale ou la préférence d’une religion sur une autre.

Cette démarche est à l’opposé de la diffusion de la Charte de la laïcité à l’Ecole dans les établissements publics français. La Charte a pour objectif de faire comprendre ce qu’est  la laïcité et de garantir la liberté de conscience qu’elle assure à toutes et tous. Elle fonde des droits. Elle n’impose pas des commandements. Le caractère clérical des ces commandements est parfois ignoré du grand public qui a vaguement intégré l’idée d’une liste de prescriptions permettant de vivre en société. Il n’en est rien.

Le monde de la Bible est bien connu grâce aux archéologues et aux historiens. Une confédération de tribus se constitue au Proche-Orient environ mille ans avant notre ère : les Benê-Israël, fils d’Israël. Ils se tailleront un petit royaume local, dont l’histoire mythifiée se retrouve dans la Bible. » Dans son « Histoire du peuple hébreu » (Que sais-je ?, n°1898. PUF), André Lemaire explique la fonction remplie par le Décalogue : « Ces dix règles fondamentales formaient, en quelque sorte, la constitution de la Confédération israélite dont les membres sont désignés par le terme “ton prochain“». L’unité était avant tout une unité religieuse ; la reconnaissance de YHWH comme divinité unique et le respect de ses fêtes (sabbats) ».  

Lisons les premiers commandements : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face », « Tu ne feras pas d’idole » « Tu ne te prosterneras pas devant d’autres dieux que moi », « Tu n’invoqueras mon nom en vain ». Il s’agit bien d’une exigence d’adoration, contrepartie de l’alliance entre YHWH et le peuple qu’il aurait élu. Les autres commandements interdisent assassinat, vol, adultère, faux témoignage. Ce sont des prescriptions à l’œuvre dans toutes les société.  Ce texte instaure une théocratie, gouvernement par une caste cléricale. C’est Flavius Josèphe qui a créé le terme de « théocratie ». Membre de la caste sacerdotale de Judée, il se veut aussi historien.  En l’an 93 il répond aux critiques du judaïsme faites par le  grammairien romain Apion. Son livre est intitulé « Sur l'antiquité du peuple juif », mais il est plus connu sous le titre de « Contre Apion ». 

Flavius Josèphe écrit : « Infinies sont les différences particulières des mœurs et des lois entre les hommes ; mais on peut les résumer ainsi : les uns ont confié à des monarchies, d’autres à des oligarchies, d’autres encore au peuple le pouvoir politique. Notre législateur n’a arrêté ses regards sur aucun de ces gouvernements ; il a — si l’on peut faire cette violence à la langue — institué le gouvernement théocratique, plaçant en Dieu le pouvoir et la force… Les prêtres reçurent pour mission de surveiller tous les citoyens, de juger les contestations et de châtier les condamnés… Peut-on honorer Dieu d’une façon plus convenable qu’en préparant tout le peuple à la piété et en confiant aux prêtres des fonctions choisies, de sorte que toute l’administration de l’État soit réglée comme une cérémonie religieuse ? ».

Le sociologue Sébastien Fath, comme de nombreux autres auteurs, a analysé comment les  évangéliques américains  militent  pour « refonder leur alliance avec le Tout-Puissant » qui avait fait du Nouveau Monde la « terre promise du nouveau peuple élu ». Voilà qui confirme la vocation universelle de la laïcité.