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Billet de blog 26 août 2024

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Du héros à la victime

Dans son dernier livre, l’historien François Azouvi scrute une évolution souvent observée mais peu analysée : de la sacralisation du héros à celle de la victime.

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Philosophe et historien, François Azouvi a analysé les œuvres de Kant, Descartes et Bergson pour ensuite se consacrer à l’étude de la réception et des conséquences de la 2° guerre mondiale. Son livre « Le Mythe du grand silence. Auschwitz, les Français, la mémoire » paru chez Fayard en 2012 et repris en poche chez Folio, a fait date.  Les grands-parents de François Azouvi ont été assassinés à Auschwitz. Son oncle fut maquisard de l’armée secrète en Corrèze et a rejoint la 1re armée du général de Lattre de Tassigny. Ceci explique sans doute en partie le thème de son dernier ouvrage « Du héros à la victime : la métamorphose contemporaine du sacré » publié dans la collection Essais chez Gallimard.  Ce travail a immédiatement suscité beaucoup d’attention, dont l’émission que lui a consacrée Marc Weitzmann sur France culture et celle de Shlomo Malka sur Radio J sont de bons exemples.

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« Je ne suis pas une victime, je suis une résistante ». Cette inscription a accompagné une publicité pour une BD consacrée à la résistante Madeleine Riffaut. Voilà un des exemples avec lesquels François Azouvi ouvre sa réflexion. Elle débute avec la guerre de 14-18. L’Europe est toute entière héritière d’une culture gréco-romaine dans laquelle la figure du héros est centrale. L’homme est acteur de sa vie et de son destin jusque dans la mort au combat. Charles Péguy restera le porteur emblématique de cette conception, tant par ses textes que par sa mort. Mais la plupart de ceux qui ont disparu dans cette guerre effroyable sont tombés sous une mitraille aveugle. La grande vague pacifiste qui s’ensuivra récuse et dénonce l’héroïsme de type militaire, tout en restant attachée à l’idée de conduites héroïques en faveur de justes causes. « Les pacifistes les plus notoires, et parfois même les plus radicaux, en même temps qu’ils stigmatisent l’héroïsme guerrier, reconnaissent l’héroïsme, en lui-même, comme une vertu ». La littérature témoigne du courage et de l’honneur du héros avec Antoine de Saint-Exupéry, Joseph Kessel ou André Malraux.

François Azouvi met fin à une idée reçue. La mise en valeur de la victime par rapport au héros serait une idée judéo-chrétienne. Or les héros abondent dans l’Ancien Testament. Et le christianisme glorifie les martyrs et les saints, dont la conduite est courageusement héroïque. Autre apport notable, l’auteur consacre de nombreuses pages au génocide perpétré par les nazis. Il montre en particulier comment une série de penseurs et d’écrivains, chrétiens mais aussi juifs, ont opéré une transposition des souffrances des juifs sur celle de Jésus de Nazareth. Le roman « Le Dernier des Justes » d'André Schwarz-Bart, prix Goncourt avec plus d’un million d’exemplaires vendus, l’illustre particulièrement.

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Après guerre, l’idée pas toujours formulée mais prégnante est que les héros, qui risquent délibérément leurs vies, valent mieux que les victimes, réputées passives, même si celles-ci sont à plaindre et à soutenir. C’est à partir des années cinquante que ce que François Azouvi appelle la « construction victimaire » prend son essor. Les juifs ne sont plus considérés comme des martyrs. Des martyrs (étymologiquement : témoins) de la  Sanctification du Nom pour les plus religieux, de la liberté pour les plus politiques. Ce sont de pures victimes : morts pour rien. L’auteur identifie là un basculement anthropologique. Il l’analyse en profondeur au travers de nombre de références, de Primo Lévy à Elie Wiesel avec une cristallisation particulière sur le film de Claude Lanzmann « Shoah ». Son titre (catastrophe, anéantissement, en hébreu) a une dimension métaphysique et il tend à devenir lui-même un objet de culte. La critique cinématographique du « New Yorker », Pauline Kael, sera une des rares à le questionner à sa sortie dans un article intitulé « Sacred monsters ».  

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Curd Jürgens et Yves Montand, anciens pilotes de chasse, dans Les héros sont fatigués de Yves Ciampi. 1954

Cette conception de la victime se répand largement et reçoit des statuts juridiques à des titres divers. Elle suscite par là même des motivations de nouveaux groupes sociaux que Jean-Michel Chaumont a analysé de prés dans son livre « La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance » (Editions La Découverte, poche). Cette évolution étant contestée au sein des groupes en question. Malcom X et Martin Luther King chez les Noirs américains, Simone de Beauvoir parmi les féministes… revendiquent un refus de la passivité associée à la notion de victime. Ils et elle se veulent militants, avec la dimension héroïque qui accompagne ce mot même quand elle n’est pas formulée. François Azouvi relève dans cette évolution une « frénésie législative », notamment celle des lois mémorielles. L’actualité confirme dramatiquement l’intérêt de cet ouvrage avec le conflit israélo-palestinien : l’auteur détaille « la grande inversion de la victime juive en oppresseur israélien à partir de juin 1967 dans l'opinion publique ». Il consacre enfin de trop courtes pages au « wokisme », sujet à approfondir.

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