A l'initiative de la FELCO (Fédération des enseignants de langue et de culture d’oc), une quinzaine d'associations de professeurs de langues régionales viennent de lancer une pétition pour le Maintien et développement de l’enseignement des langues régionales au collège. Au delà même des conditions d'exercice du métier, cette pétition relance le débat sur une politique des langues. La Ligue de l'enseignement développe son point de vue ci-dessous.
Les langues sont à la fois un moyen de communication, une manifestation d'identité culturelle et un instrument de pouvoir. Il existe, consciente ou non, officielle ou non, une politique des langues dans tous les Etats. Dans notre pays, c’est la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (1) qui est chargée de la mettre en œuvre. On ne peut réfléchir de façon cohérente à l’enseignement des langues régionales qu’en le replaçant dans le cadre général de cette politique.
Trois éléments sont à prendre en compte pour initier un débat public rationnel. Le premier est l’hégémonie de la langue anglaise dans tous les domaines : commerce international, finance, diplomatie, sciences et techniques… Deuxième élément : la mort des langues. Le terme n’est pas excessif : des 6.000 langues qui existent dans le monde, au moins la moitié d’entre elles s’éteindront au cours de ce siècle. Troisième élément : une prise de conscience croissante des deux premiers éléments. Elle se traduit, en particulier dans les nouvelles générations, par une reconnaissance mutuelle de la légitimité et de l’intérêt intrinsèque de cette diversité linguistique. En France, c’est notamment Claude Hagège défend sensibilité, notamment dans « Halte à la mort des langues » (Editions Odile Jacob).
A ces éléments, il faut associer un constat historique. En 1794, l’abbé Grégoire indique dans son rapport que le français est ignoré des trois quart de la population. En 1999, date de remise du rapport de Bernard Cerquiglini, tous les Français parlent tous français. «La langue de la République est le français». Quelles que soient les circonstances de son adoption, cet ajout à l’article 2 de notre Constitution est pertinent. Au-delà de son statut politique et symbolique, il faut encore beaucoup travailler pour que la maîtrise de la langue française soit effective pour tous. Elle implique la connaissance de notre littérature, de Rabelais à Céline. Tel est l’axe incontestable de notre politique.
Le deuxième volet de cette politique est la francophonie. Face à l’hégémonie de l’anglais et de par sa légitimité propre, même s’il faut distinguer le français langue vernaculaire et le français langue de l’ex colonisateur. Le troisième volet prend acte du fait qu’environ deux millions de français parlent une langue régionale et que deux autres millions en comprennent une. Comme l’écrit Christian Nique, alors recteur de l’académie de Montpellier « Le premier devoir de l’Ecole est de faire maîtriser parfaitement le français à tous les enfants de France. Mais rien ne justifie aujourd’hui que l’on ignore la diversité de nos langues de France, leurs beautés, leurs histoires, leurs spécificités… ». (Précis d’occitan et de catalan de Claire Toreilles et Mary Sanchiz CRDP Montpellier). Pour la Ligue de l’enseignement, qui a compté Pierre-Jakez Hélias et Robert Lafont parmi ses membres actifs, cette troisième affirmation est aussi évidente que les deux premières.
Ainsi il est vrai que, selon l’article 75 de la Constitution, « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Mais ce constat est insuffisant et le débat doit être ouvert. D’abord, parce que les langues régionales ne sont pas qu’un patrimoine : elles sont vivantes. Ensuite, parce que les langues minoritaires pratiquées en France ont droit à la même reconnaissance. Enfin, parce que le créole, le romani ou les langues kanak nécessitent des approches spécifiques. Faut-il pour cela ratifier la Charte européenne ? Ce fut la position de la Ligue. Mais ne risquons-nous pas de déclencher des réflexes passionnels ? Faut-il privilégier une loi-cadre mettant en œuvre nos principes en fonction des réalités actuelles ? Il faut en particulier y affirmer que la place des langues régionales ou minoritaires doit être assurée dans l’enseignement public, dans des conditions de travail correctes. Cette approche compréhensive et modérée est sans doute la voie de la raison… www.dglf.culture.gouv.fr
