
Agrandissement : Illustration 1

Fondée en 1966 en lien avec l’Union rationaliste, la revue « Raison présente » s’illustre en traitant avec une certaine hauteur de vue et une précision indéniables de nombre de questions de société. On s’en convaincra en consultant les numéros parus en ligne sur CAIRN. Le N° 229 vient de paraître. Il est consacré au rire. Le titre du dossier est frappant : « Rire malgré tout ! ». Même si cet aspect est présent, il ne s’agit pas d’abord du rire spontané exprimant la joie de vivre mais plutôt de « rire, rire encore et malgré tout, malgré les guerres, les attentats, les crises, les maladies et les blessures… » selon l’avant-propos rédigé par les trois coordinateurs : Emmanuelle Huisman-Perrin, Jean-Michel Besnier et Guillaume Lecointre. Rire pour rester debout…

Agrandissement : Illustration 2

Emmanuelle Huisman-Perrin, professeure de philosophie en classes préparatoires, autrice de « La mort expliquée à ma fille » (Seuil) et coordinatrice de « La consolation » (Autrement), scande sa contribution en trois temps : le rire comme crise, rire dans la crise et, fort heureusement, le rire comme sortie de crise. Ce qui nous vaut un beau passage sur le Zarathoustra de Nietzsche opposé à « l’esprit de pénitence, de lourdeur, de sérieux et de ressentiment du christianisme ». Jean-Michel Besnier, philosophe qui travaille en particulier sur le transhumanisme et les neurosciences, s’attaque à un sujet quelque peu énigmatique : rire avec et contre les objets. Le rire, propre de l’homme selon Rabelais, nous permettra-t-il de survivre à la consommation compulsive, à la robotisation et à l’intelligence artificielle ?

Le rire, propre de l’homme ? Guillaume Lecointre, zoologue, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, le conteste en évoquant la possible antériorité du rictus des singes, manifestation de peur ayant possiblement précédé le sourire humain. Ce serait une « cause exaptative », réutilisation d’une disposition pour une autre fonction. Ne craignons point le jargon universitaire. L’article de Guillaume Lecointre est aussi clair que les chroniques scientifiques qu’il a donné quelques années dans « Charlie hebdo ». Il a recruté pour ce dossier de « Raison présente » un de ses acolytes, Bruno Léandri, qui a également sévi dans le magazine de BD « Fluide glacial ». Nos deux auteurs dénoncent la censure et l’autocensure croissantes. Ils réaffirment la valeur intrinsèque de la liberté d’expression en citant Cavanna sur l’esprit Charlie hebdo : « Cet esprit s’exprime par l’humour iconoclaste, ne respectant rien, aucun tabou, méprisant le calembour et les effets faciles pour aller au fond des choses, de façon directe, brutale s’il le faut… ».

Agrandissement : Illustration 4

Parmi les autres contributions de ce fort riche dossier, il faut au moins évoquer le texte sur l’humour juif, le « witz », moderne mot d’esprit analysé par Sigmund Freud, fort éloigné du très austère Ancien Testament. Aussi austère que Jésus de Nazareth qui n’aurait jamais rit, voire de la sévère étude du « comique » publiée par Henri Bergson dans le volume « Le rire » en 1900. On pourra aussi se plonger dans la philosophie grecque antique pour « rire avec Démocrite ou pleurer avec Héraclite ». L’entretien final avec l’anthropologue et sociologue David Le Breton couronne le dossier en passant en revue toutes les variétés de rire. Il dénonce la juridiciarisation des propos humoristiques en évoquant Coluche, Pierre Desproges et le chef d’œuvre d’Umberto Eco « Le nom de la rose ».