Né en 1941, sociologue et historien, Jean Baubérot-Vincent est l’auteur d’une œuvre considérable. Titulaire de la chaire « Histoire et sociologie du protestantisme » de 1971 à 1978, puis de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » de 1991 à 2007 à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, il fonde le Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité (GSRL devenu Groupe Sociétés, Religions, Laïcité). Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages. Son apport théorique dans l’étude du protestantisme et de la laïcité en France et dans le monde est souligné par Vincent Genin dans son « Histoire intellectuelle de la laïcité » (PUF, 2024). Il est également le concepteur audacieux de notions très débattues dans les milieux universitaires comme militants : du « pacte laïque » de 1905 à l’inventaire de « Sept laïcités françaises ». Ce n’est pas l’objet du présent article. Jean Baubérot a écrit en 2014 une autobiographie intitulée « Une si vive révolte », préfacée par Edwy Plenel aux Éditions de l'Atelier.
Jean Baubérot a publié trois volumes imposants: « La loi de 1905 n'aura pas lieu. Histoire politique des séparations des Églises et de l'État (1902-1908) » aux Editions de la Fondation Maison des sciences de l’Homme. Pour rédiger - en cinq ans - ces plus de 1500 pages collectant et analysant une myriade de faits, il a pu s’appuyer sur une documentation réunie par Dorra Mameri-Chaambi, chercheuse à l’EHESS et chercheuse associée au GSRL.
Un livre synthétique « 1882-1905 ou la laïcité victorieuse » publié aux PUF couronne l’édifice. Il faut commencer par sa lecture. Il est volontairement de taille plus abordable avec tout de même 370 denses mais claires. L’auteur reprend l’ensemble du travail minutieux effectué dans les trois volumes précédents. Il entend ainsi rendre accessible une histoire plus complexe qu ‘on ne l’imagine parfois. Et il s’efforce de remettre à leur place les diverses « mémoires » parfois oublieuses des faits voire porteuses d’erreurs telle que celle qui attribue le vote de la loi de 1905 à Emile Combes. L’homme décisif, c’est bien sûr Aristide Briand, jeune libertaire devenu homme politique porteur d’un humanisme que son habileté fait trop souvent oublier. Son engagement en faveur de la paix en témoigne. Nous disposions des ouvrages concis de Jacqueline Lalouette « L’État et les cultes 1789-1905-2005 » (La Découverte, collection Repères) et de Jean-Paul Scot « L’État chez lui, l’Église chez elle » (Points histoire). « 1882-1905 ou la laïcité victorieuse » les complète et les précise.
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Ce livre s’appuie donc sur les trois volumes évoqués. Une œuvre de bénédictin qui se lit comme le roman d’une époque. C’est reconnu : les débats parlementaires autour de la loi de séparation sont d’une qualité exceptionnelle qu’on ne retrouve guère dans les débats actuels. Ils font écho aux questions que se posent les personnes et les classes sociales d’un monde révolu. Et pourtant ces questions sont toujours présentes sous une autre forme. Le travail minutieux de Jean Baubérot montre à chaque page comment cette grande loi de liberté s’est imposée au pays. Le titre même est un clin d’oeil à la pièce de Jean Giraudoux « La guerre de Troie n’aura pas lieu ».
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Le tome I « L’impossible « loi de liberté » » couvre la période de 1902 à 1905. Il met en relief les interrogations du camp républicain lui-même devant une situation où l’Etat doit se défaire de l’emprise cléricale catholique. La rédaction du Rapport Briand (qui lui doit peu) est décisive notamment par la description des situations dans plusieurs autres pays. Le tome II « La loi de 1905, légendes et réalités » détaille toutes les péripéties du vote de la loi. Les débats sur ses principes – la très fondamentale liberté de conscience – et sur l’organisation des cultes sont passionnants. Le dernier chapitre propose 32 thèses qui sont autant de commentaires et de prises de position de l’auteur.
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Le tome III « L’Église catholique « légale malgré elle » couvre les trois années suivant le vote. Les polémiques autour des inventaires des biens dans les églises font oublier les efforts d’Aristide Briand pour éviter une « victoire excessive ». Malgré l’opposition radicale du pape, le peuple catholique accepte la loi… Une leçon pour l’avenir.