
Dans une préface incisive à ce « Manuel d’autodéfense intellectuelle Histoire », Benoît Bréville, directeur du Monde diplomatique, pose l’enjeu : « Comment démêler le vrai du faux lorsqu’on n’est pas soi-même historien ? La numérisation du monde apporte une réponse trompeuse. D’un côté les institutions dominantes disposent des moyens pour organiser leur histoire en ligne… De l’autre , les pays, les peuples et les organisations pauvres voient les traces de leur passé sélectionnées, hiérarchisées… Tous les éléments d’un spectaculaire court-circuit idéologique se trouvent alors réunis : un immense intérêt populaire pour l’histoire, une défiance croissante pour les « vérités officielles », une distribution inégale des outils d’analyse… ».
Une trentaine de faits ou de moments historiques sont ainsi passé à la moulinette de l’esprit critique de journalistes et d’universitaires. Loïc Wacquant ouvre le bal en synthétisant les thèses qu’il a développées dans son livre « Jim Crow. Le terrorisme de caste en Amérique ». Sont ensuite mis en exergue des faits occultés : le massacre de masse des communistes indonésiens en 1965, le rôle de Winston Churchill dans la famine en Inde de 1942 à 1945, la gestion de la prohibition des drogues en France, le fonctionnement des services de renseignement…
Une série de mensonges délibérés sont ensuite analysés : sur l’histoire de l’Afrique et singulièrement du Mali, les révoltes indigènes dans les empires coloniaux, la guerre entre les deux Corées, les promesses trahies de l’Occident à la Russie de Gorbatchev (avec une transcription des propos stupéfiants de cynisme du secrétaire d’Etat américain de l’époque, James Baker)… Les actions des extrêmes-droites sont illustrées des articles sur un attentat terroriste en Italie dans les années soixante, sur les accointances avec l’extrême-droite israélienne et sur des groupuscules de femmes nationalistes prétendument féministes. L’arrivée « démocratique » du parti nazi au pouvoir est contestée et les hésitations de l’entrée en Guerre des USA contre ces mêmes nazis sont rappelées.
D’autres articles pourront susciter l’exercice de l’esprit critique auquel invite Benoît Bréville. Après tout on peut penser que les journalistes du Monde diplomatique, auxquels nous devons de si nombreux articles secouant le cocotier, sont eux-mêmes porteurs d’options politiques. Ainsi le référence à la Pachamama (terre mère ancestrale) par les descendants d’Amérindiens en Amérique latine pourra être considérée par d’aucuns comme une réaffirmation culturelle face au colonialisme. De même que l’expression « islamo-gauchisme » est un peu cavalièrement exécutée comme une notion bidon. On regrettera surtout que la critique perspicace de l’Union européenne, habituelle au Monde diplomatique, ne s’accompagne pas d’articles de réflexion politique et culturelle pour s’approprier cette institution et ne pas l’abandonner aux néolibéraux qui font actuellement la Loi.
Gageons que les auteurs réunis dans cette brochure se prêteront à cet exercice d’autocritique constructive en relation avec leurs lecteurs. N’est pas une des vocations des Amis du Monde diplomatique qui organisent moult débats à travers la France. C’est aussi à cet exercice que nous invite les six pages de la « boîte à outil » en fin de volume en nous offrant des conseils sur le doute méthodique, la nature du savoir historique, la critique des sources, le refus de l’argument d’autorité, l’asymétrie dans l’analyse des conflits...