Billet de blog 15 juillet 2014

Réforme territoriale du gouvernement : l'acte I de la recentralisation ?

Fusionneront, fusionneront pas ? La question du redécoupage des régions, et en particulier le sort incertain des régions Aquitaine et Limousin, suscite actuellement une vive controverse au Parlement, ainsi qu'une assez large couverture médiatique.

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Fusionneront, fusionneront pas ? La question du redécoupage des régions, et en particulier le sort incertain des régions Aquitaine et Limousin, suscite actuellement une vive controverse au Parlement, ainsi qu'une assez large couverture médiatique.

Si elle n'est pas anecdotique, cette réflexion s'inscrit néanmoins dans une réforme territoriale beaucoup plus vaste et ambitieuse, présentée comme l'acte III de la décentralisation, portée par le Gouvernement et la ministre Marylise Lebranchu. Cette réforme correspond en fait à la feuille de route tracée par le candidat Hollande lors de son discours à Dijon le 03 mars 2012. Il y affirme à cette occasion l'importance de la réforme territoriale à mener, la considérant comme un levier majeur du redressement du pays. Aussi lance-t-il, quelques mois après son arrivée au pouvoir, les états généraux de la démocratie locale, durant lesquels est abordée, avec les élus locaux, la question de la décentralisation. Les échanges avec ces derniers devaient permettre d'alimenter le contenu de la réforme, présentée ensuite par le Gouvernement au début de l'année 2013.

A regarder de plus près le contenu de la loi et la teneur des discussions parlementaires, il semble que, bien au delà des problématiques d'identité régionale (Aquitaine est-elle compatible avec le Limousin ?), cette réforme éloigne encore davantage les citoyens des lieux de décision au profit de nouvelles institutions, et d'une poignée de grands élus à leur tête. Au final, l'acte III de la décentralisation dénote par son caractère... centralisateur.

Le sempiternel refrain du millefeuille territorial

Rappelons tout d'abord que les réformes de la carte administrative française ont constitué un enjeu majeur pour les gouvernements, de droite comme de gauche. Sans cesse remises sur le métier, elles visent à s'attaquer aux tares de l'organisation territoriale française : un nombre de communes jugé pléthorique, trop de niveaux d'intervention, conduisant à un enchevêtrement des compétences, une trop grande lourdeur procédurale, un gaspillage de temps et d'argent public... Tous ces effets pervers s'incarnant dans l'image, utilisée à l'envi par l'immense majorité de la sphère politique comme médiatique : celle du millefeuille. "S'attaquer au millefeuille" permettrait donc, pour les tenants de la réforme, de doter l'Etat et son territoire d'institutions plus efficaces, plus adaptées aussi au sens de l'histoire et à la mondialisation.

En cela la réforme actuelle ne déroge pas à la règle. Par la réorganisation des institutions existantes et de leurs relations entre elles, les améliorations attendues par le gouvernement sont multiples. D'abord, par l'affirmation des métropoles et la fusion des Régions, il s'agit d'atteindre une "masse critique", permettant une meilleure visibilité des institutions, notamment à l’international, garante d'une meilleure compétitivité des territoires et, au final, de perspectives de croissance. La "rationalisation" des échelons territoriaux est ensuite censée permettre de réaliser des économies, dans la droite ligne de la priorité gouvernementale de réduction des déficits publics. Enfin, la réforme doit permettre une meilleure lisibilité des institutions pour les citoyens, afin d'aboutir à une meilleure expression de la démocratie locale.

Si l'on peut douter des effets réels de la loi sur les deux premiers points, il semble que le troisième soit encore plus problématique. En commençant par souligner le fait qu'aucun référendum, ou même simple consultation des citoyens n'ait été prévus dans le texte déposé par le Gouvernement. qui modifie pourtant en profondeur l'organisation du service public local. Par la suite, l'exécutif s'est montré défavorable, tout au long des débats au Parlement, à tout amendement allant en ce sens. Le contenu de la réforme lui-même, avec l'affirmation des métropoles notamment, consacre un transfert ascendant du pouvoir local, et par là accentue le phénomène de mise à distance du citoyen.

L'affirmation des métropoles : la vision ascendante du pouvoir local

L'un des objectifs poursuivis par le Gouvernement réside dans l'affirmation du "fait urbain", qui se traduit par la construction de quelques grandes métropoles, dotées de compétences élargies. A ce titre, la loi prévoit un statut particulier pour les plus grandes agglomérations françaises, parisienne, lyonnaise et marseillaise. C'est sur ces deux dernières que nous nous pencherons ici.

L'adoption du texte sur la métropole Aix-Marseille n'est pas allée de soi au Parlement, loin s'en faut. 

Il faut dire qu'un grand nombre d'élus locaux, toutes tendances politiques confondues, ont été farouchement opposés au projet gouvernemental. Ils l'ont fait valoir vivement à la fois dans les débats parlementaires, pour certains d'entre eux, et, à l'échelle locale, par le boycott de plusieurs réunions avec la ministre en charge du dossier, Marylise Lebranchu. Pour désamorcer cette contestation, plusieurs organes de concertation avec ces élus ont été instaurés: le « conseil des élus », (rassemblant les présidents des intercommunalités, les maires ou leurs représentants, les présidents du Conseil Régional et Général), et le « conseil paritaire territorial de projets », réunissant les maires et l'Etat, à l'instigation des maires réfractaires. Par ailleurs, leur progressive acceptation de la métropole marseillaise s'est faite par l'obtention de certaines concessions sur le texte initial - délai d'un an supplémentaire pour sa mise en place, au moins un siège accordé à chaque commune dans l'instance de délibération de la métropole, survivance des périmètres des intercommunalités existantes sous l'appellation de "territoires", à qui la métropole peut déléguer certaines compétences, etc. 

Ainsi la participation des maires réticents à la métropole n'est-elle permise que par leur capacité à se la réapproprier. La nouvelle institution créée rassemble donc des maires de tous bords politiques, soucieux de conserver une capacité d'action intacte pour leur commune, garantie par les multiples lieux de décision, aussi bien pendant la phase de préfiguration (conseil des élus, conseil paritaire de projet) que pour son fonctionnement ultérieur (conférence des maires). La particularité de ses scènes réside dans le fait qu'elles se déroulent le plus souvent en dehors de tout contrôle démocratique, et sont marquées par un fort entre soi. Dès lors, comme l'ont fort bien montré les politistes F. Desage et D. Guéranger (1) à propos des intercommunalités, c'est la recherche de consensus qui devient la norme dans l'action publique, au détriment des clivages partisans ou idéologiques.

A Lyon, la Communauté Urbaine, créée dès 1969 et dont la métropole prend la place, est également marquée par cette logique consensuelle. En témoigne la reconduite à sa tête il y a quelques mois de Gérard Collomb (PS), maire de Lyon, alors que les élections municipales avaient redistribué les sièges du conseil communautaire en faveur de la droite. Les négociations opérées en toute discrétion entre le maire de la ville centre et certains étiquetés divers droite ont été à ce titre décisives. 

Contrairement à Marseille, la création de la métropole de Lyon a fait l'objet d'une large adhésion au Parlement (seul le groupe du Front de Gauche a voté contre). Les débats ont d'ailleurs bien souvent souligné le dynamisme local en la matière. En effet, plusieurs mois avant le dépôt de la loi au parlement, le président de la Communauté Urbaine et celui du Conseil Général du Rhône (Michel Mercier, UDI) annoncent déjà, lors d'une conférence de presse, la disparition du département sur le territoire du Grand Lyon et le transfert intégral des compétences du premier vers le second, transformé en métropole. De nombreux élus locaux et fonctionnaires territoriaux ont fait savoir leur surprise, voire leur mécontentement, d'apprendre cette décision par voie de presse.

La nouvelle institution, à qui la loi confère le statut de collectivité, jouit d'une puissance sans précédent puisqu'elle exerceà la fois les compétences de la communauté urbaine, certaines issues des communes qui la composent, ainsi que celles du département. A ce titre, on peut souligner la concentration considérable des pouvoirs entre les mains de Gérard Collomb, qui, outre son mandat de sénateur, se retrouve à la fois maire de la ville centre, président de la future Métropole, et président du Pôle métropolitain (syndicat mixte de coopération entre 4 agglomérations de la région, prévu par la précédente réforme territoriale de 2010). Étrange conception de la décentralisation et de la démocratie locale…

Ainsi, l'acte III de la décentralisation semble ouvrir la voie à un renforcement des logiques consensuelles typiques des institutions intercommunales, en plus de permettre à certains élus d'étendre considérablement leurs marges de manœuvre. Pour reprendre les travaux de Desage et Guéranger, le résultat de ce fonctionnement institutionnel consiste en une action publique standardisée, bien souvent réduite à ses aspects gestionnaires, ou à la construction de « grands projets » d'aménagement, susceptibles d'emporter une large adhésion des élus locaux.Sont ainsi largement marginalisés d'autres domaines, par essence conflictuels, au premier rang desquels figurent les politiques redistributives. Ces mécanismes contribuent aussi largement à présenter la politique urbaine comme déconnectée de considérations idéologiques ou partisanes, ce dont témoignent d'ailleurs très bien certains médias, comme nous l'avions évoqué ici. Soit à tronquer la controverse et le débat public au profit d'une action publique construite en dehors des scènes de délibération placées sous contrôle démocratique, et, en définitive, à renforcer la "confiscation" de la politique.

Et demain, les régions...

Si l'on ne peut pas transposer ce raisonnement à la question du redécoupage des Régions, quelques éléments relèvent toutefois d'une logique similaire : la remise en cause du cadre existant, présenté comme obsolète et/ou trop coûteux, la construction de quelques entités sur un territoire beaucoup plus vaste, la recherche d'économies d'échelles, l'obsession de la visibilité et du rayonnement à l'international…

En plus de l'élargissement de leur périmètre d'intervention, les nouvelles Régions exerceront un certain nombre de prérogatives jusque là dévolues aux Départements, c'est-à-dire là encore un transfert ascendant du pouvoir.

Au delà des doutes sur la possibilité effective de réaliser des économies, formulés par certains partisans du redécoupage eux-mêmes, le plus préoccupant réside surtout dans la fuite vers le haut du pouvoir vers des institutions toujours plus étendues, en termes de périmètre comme de compétences. Ainsi, on peut douter que les citoyens, déjà peu disposés à se rendre aux urnes pour les élections régionales, soient en capacité de mieux appréhender l'importance et les ressorts de ce type de scrutin, si rien n'est sérieusement envisagé pour garantir la publicité des enjeux, ni faire vivre un réel débat démocratique au sein des institutions.

Encore faudrait-il qu'il s'agisse réellement d'une priorité pour le gouvernement actuel. 

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