Le recueil Les Bouloches est une contribution nette au désir de naïveté ainsi qu’un apport considérable au respect humain.
De là cette addition – ou plutôt multiplication – naïveté x respect (donc l’inverse de l’habituel cynisme x mépris) = émerveillement devant la vie, celle du père de la poétesse, un homme âgé, qui n’a plus comme on dit “toute sa tête”, et dont il semblerait nécessaire pour un esprit pragmatique et cynique qu’il soit temps de l’enfermer. Certains veulent cela.
Le père se révolte : « Papa est en colère. Il refuse qu’on l’attache. […] On ne fait pas ça à des gens, dit Papa. »
La poétesse aussi : « Laissez-le nous, ne l’embarquez pas dans cette épave sans nom qui le guette. […] Vous n’aurez pas Papa. Vous ne l’enfermerez pas dans vos cages à momies. »
Mais qu’est-ce donc qui “les” dérange tant ? Est-ce sa complicité avec les animaux ?
« Papa élève des salamandres, sous le grand récipient d’eau de pluie. […] Comme elles, il aimerait vivre caché, sortir à l’heure où personne n’a lieu, ni prédateurs ni complices. »
Est-ce sa science du jardinage et sa passion pour les herbiers ?
« … il cite les labiées, les ombellifères, les rosacées. Chacune d’elle a un prénom. Chacune lui sourit à l’ancienne, avec ses tons passés et tendres, ses volumes adoucis. Papa lui fait une promesse. »
Est-ce son humour enfantin ?
« Il sonne aux portes des voisins puis s’enfuit. […]
Papa rit en rentrant à la maison. »
Sa méfiance des conventions ?
« Petit Papa sauvage. Il refuse les chaussures neuves. »
Peut-être sa propension un peu païenne à doter de volonté les éléments jointe à son grand savoir de l’inconsistance humaine ?
« C’est la nuit des étoiles filantes. Papa a sorti sa longue-vue, ses jumelles. »
Puis, les étoiles en question restant invisibles:
« Elles ont peur de nous, dit Papa. Allons-nous cacher sous l’auvent. »
Il faut faire la somme. Ou mieux la multiplication : si on multiplie le sentiment de fusion avec la nature par l’émancipation vis-à-vis des règles des hommes, puis le tout par le goût pour les étoiles filantes (les nuages aussi), qu’obtient-on? Une contribution nette au désir de naïveté et un apport considérable au respect humain. L’opération poétique de Françoise Lison-Leroy aboutit exactement à cela : honorer ce qui reste, après une longue existence, quand enfin on a tourné le dos au mépris et au cynisme, quand enfin on n’a plus toute sa tête, rien que toute sa vie, à l’orée de lui tourner le dos.
« Il a déjà filé. Un pied en terre, l’autre dans l’invisible. Il nous fait le coup de la panne, tambourine à la porte, nous lègue ses pommiers. »
Vincent Rouillon,
Docteur de l'EHESS en philosophie des arts, compositeur, rédacteur de la FNCC
Extrait de la Lettre d’Echanges n°104 (mars 2013),
Lettre électronique de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC)
Françoise Lison-Leroy vit en Belgique. Elle y est née en 1951, dans un village du Pays des Collines, près de Tournai, où elle enseigne le français et participe à la page culturelle du journal Le Courrier de l’Escaut.
Elle est intervenante à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille. Auteure de romans et de très nombreux recueils de poésie, elle les réalise généralement en collaboration avec des plasticiens, dessinateurs ou photographes.
Le recueil ici présenté – Les Bouloches, paru aux Editions Esperluète en 2012 – est illustré par des dessins de Pascaline Wollast.