Isabelle Lavoix nous parle de son rapport à la poésie, en tant qu'enseignante et membre du Comité du Concours Lire et faire Lire
Lire est ma liberté depuis l'enfance, mon espace d'indépendance, l'un de mes lieux de découverte du vivant et du monde, dans sa violence et sa richesse, dans son ampleur et sa diversité. Donnant du souffle et du grand air à l'espace étriqué... Mais aussi ma maison de solitude indispensable... Un temps volé page à page, grignoté, dans un milieu social où lire était considéré comme inutile, en particulier pour une fille.
Lire la poésie est arrivé plus tard, après les traditionnelles années de récitation à l'école, puis de décorticage de textes au lycée. Ce sont d'abord les « chantants » qui me l'ont rappelée, m'amenant à la lecture d'Aragon, d' Eluard, Neruda... au cœur d'une poésie engagée et militante, soucieuse des humains. Ces « chantants » que je continue d'entendre en poésie avec le même bonheur.
Je suis devenue enseignante, institutrice, d'abord en école maternelle ; la comptine y prend beaucoup de place, et j'étais, à ce moment là, trop ignorante du poème pour le proposer. En prenant le chemin de l'école élémentaire, je me suis confrontée à la récitation, avec un malaise grandissant. L'insatisfaction allait de concert avec le désir de transmettre autrement, et autre chose ; je ne lisais alors de poésie « qu'utilitaire », plongeant dans les anthologies jeunesse disponibles, n'osant pas, pas encore, la poésie tout court. J'ai ainsi bricolé pour la partager et en donner le goût à mes jeunes élèves, assez seule dans mon coin. Jusqu'au moment où plusieurs rencontres m'ont fait entrevoir un nouvel horizon. Entendre par hasard une interview de Jean-Pierre Siméon à la radio, sortir des rayons d'une bibliothèque municipale un recueil d'Alain Boudet, accepter, pour ma circonscription de l'éducation nationale, de développer les pratiques de littérature jeunesse et de poésie. Et, un beau jour, rencontrer le Printemps des Poètes et son équipe, ainsi que des éditeurs créatifs et passionnés...
Dans la nuit
Le matin brille
Les oiseaux
Ne dorment
Que d'une aile
Saisir cette minute
Où tout sera possible
L'étincelle
Qui inaugure
Une chance
À réveiller le temps
Jusqu'au regard premier
des origines.
Hélène Cadou
Le prince des lisières (Rougerie 2007)
Je suis donc venue en poésie tardivement, un peu comme on accède à une forme de maturité. J'ai ouvert des recueils insoupçonnés, étonnée et ébahie d'un tel foisonnement pour dire le monde d'aujourd'hui et y prendre sa part. Découvrant une parole exigeante, avec des mots au plus près du pire et du meilleur, parlant de « ce qui m'habite et qui m'obsède » (Aragon), donnant forme à l'imprévisible. J'ai commencé à ouvrir les pages pour moi, et pour moi seule, puisque la poésie invite large à la rencontre de tous, tout en engageant dans cette intériorité qui fait place à l'invisible, donc à l'essentiel.
Transmettre engage dans un aller-retour permanent, et tellement enrichissant. Je continue de tenter d'offrir la découverte de la poésie à de jeunes enfants, avec le sentiment de ramer à contre-courant au sein d'une institution qui a remis la récitation à l'ordre du jour. Mais plus tout à fait aussi seule qu'hier...
Je poursuis mes lectures, au hasard des rencontres, au fil des envies. Entre poètes et poèmes, il y a, sans cesse offerts, un mot, une phrase, porteurs d'un « au-delà des mots ». J'y puise colères et peines, rires et tendresses, étonnements et fantaisies... Tout ce qui fait nos vies, solitaires et solidaires.
J'y gagne, discrètement, une précieuse et indicible liberté.
Photos: Clara et Livia au festival du Vent de Calvi (c)Muriel Barra, Latosensu productions