La poète Claude Ber évoque la question de la différence à la lumière du travail photographique de Nan Goldin.
Mariage pour tous
ou
LA DÉ/MONSTRATION DE NAN GOLDIN
Etre moderne c’est inventer son époque et non la refléter
Marina Tsvetaïeva
Au moment où, comme lors du pacs, la querelle fait rage autour du mariage pour tous et où s’activent autant les tactiques politiciennes que les réactions brandissant l’anathème et les perspectives de futurs apocalyptiques, il serait intéressant de jeter un coup d’œil du côté du poétique, histoire, comme le disait humoristiquement Renoir, de se « rincer l’œil » pour mieux voir et de s’éclaircir le regard avant d’avoir un point de vue !
Le poétique n’est pas démonstratif. Plus du côté du « monstre » - de ce qui est montré- et montrant ce qui est tu ou caché que de la démonstration ; c’est en montrant que le poétique montre et parfois dé/monstre les catégories du politique. C’est un exemple parlant de cette dé/monstration qu’a opéré, par exemple, la photographie de Nan Goldin par la nature même du regard artistique posé sur des « sujets » que l’idéologie disqualifiait alors en tant que « sujets ».
Au sortir d’une de ses premières expositions, beaucoup soulignaient la révélation d’un pan caché de la société américaine, de son monde underground, d’un pittoresque mêlé de fascination, de tabou où le fantasme de la perversité construit l’objet du regard. Quelques uns notaient, cependant, qu’au delà du témoignage d’époque, de milieu et de l’exotisme sulfureux, dont se nourrit l’imaginaire conventionnel, se découvrait une «façon de voir» à l’opposé du voyeurisme comme de l’anecdote. J’ai simplement pensé « une façon de voir enfin normale... »
Ingratitude que ce normal au regard de l'art qui n’atteint à l’évidence que par l’accomplissement de sa maîtrise. Car le tour de force n’est pas seulement une façon de voir décillée des ostracismes du temps, d’autres la partagent, mais de rendre cette façon de voir visible. Cela c’est l’affaire de la photographe. L’affaire du poétique…
Une drôle d’affaire dont, comme toujours, l’oeil exercé perçoit l’habileté, les mises en scène, les artifices, les allusions : ici l’intensification du doré sur un nu carte postale, dont l’expression du visage dément l’académisme, là un désordre de choses cernant le corps autour de l'immobilité d’une présence, ailleurs ces contrastes entre la pose classique et le sujet donné dans sa vérité de chair et toujours l’allusion à une statuaire idéalisée accentuée par la lumière... À travers l’invention et les choix plastiques se travaille la question inévitable: de qui, de quoi s’agit-il? D’un homme? D’une femme? De quelqu'un qui est ce qu’il est, réplique la représentation.
Etait-il besoin que, dans la préface du catalogue, la photographe précise : « Les photos de ce livre ne sont pas celles de gens souffrantd'une maladie de l’identité mais exprimant plutôt une bonne santé de l’identité » ou encore« Beaucoup de gens sont profondément affectés quand ils ne peuvent ranger les autres dansdes catégories de race, d'âge et plus que tout d’identité »?
Sûrement, au vu de l'époque qui, dans certains ouvrages de psychologie, rangeait encore les formes de sexualité non conformes à la sexualité génitale parmi les perversions et menace toujours de le faire sous la pression d’options religieuses et idéologiques, dont on peut contempler à loisir, en ce moment même, la coutumière alliance contre toute avancée émancipatrice.
Au vu des photographies de l’artiste, ce n’était pas utile tant ceux que captent l’objectif de Nan Goldin sont là tels que n’importe qui dans l’éventail de nos singularités. Loin d’être l’exotique, l’étranger, l’indigène de quelque tribu, c’est, à l’inverse le « proche » que son regard donne à voir; je dirais volontiers le « prochain » quand la rigueur de ce regard, ni voyeur ni complaisant, débarrasse le mot de pharisaïsme, le replaçant dans l’expérience quotidienne d’une humanité commune sous la variété de ses visages. Car tout y est sur ces visages de chacun de nos visages. Du désir, de l’amour, de la joie spontanée, de l’insouciance inconsciente, de la douleur, de la tristesse, de l’âpreté de la vie, de l’angoisse de la mort. Ce sont, là, visages et corps photographiés sans curiosité malsaine ni projection fantasmatique. Dans l’exigence du regard « poétique » qui révèle et invente la réalité autant sinon plus qu’il ne la reproduit. Un regard à cette juste distance focale qui, simplement, fait voir ce qui n’est pas visible ou pas regardable.
Quelle question pose la photographie de Nan Goldin quand ce qui est ordinairement désigné comme anormal ou dénaturé se donne à voir nimbé des ors d’une aura historiquement vouée aux Saints des peintures classiques, dans la pause des académies et des magazines, juste suffisamment détournée pour que le regard hésite à s’y reconnaître ? S’y reconnaître, voilà bien toute la question renvoyée par l’image quand le monstrueux communément montré – monstré - du doigt à la vindicte est démontré/ dé/monstré par un regard qui en démonte et dé/monstre la monstruosité.
CQFD, le travail de Nan Goldin est une « dé/monstration ». Il est, en cela, exemplairement « poétique », porteur et créateur d’une autre vision et, par les temps qui courent, d’une immédiate actualité pour, bis repita, ouvrir l’angle de vue et élargir sa vision…
Parmi ses publications en poésie et en théâtre:
La Mort n’est jamais comme (Prix International de poésie Ivan Goll), L’Inachevé de soi, Méditations de lieux Sinon la Transparence, La Prima Donna suivi de L’Auteurdutexte, Orphée Market, Monologue du preneur de son pour sept figures, Ed. de l’Amandier, Vues de vaches, Éd. de l’Amourier, Lieu des Epars, Ed. Gallimard etc.
A cela s’ajoutent livres d’artistes, publications collectives et nombreuses parutions en revues, sites et anthologies dont Couleurs femmes, Métamorphoses, Anthologie Poésie de langue française, Anthologie Bipval 2011 Action Poétique etc...
Des études universitaires et des revues, dont récemment Nu(e) n° 51, ont été consacrées à son écriture.
Agrégée de Lettres, elle a enseigné les lettres et la philosophie en lycée et en université puis occupé des fonctions académiques et nationales; elle intervient actuellement à Sciences Po. et à la Sorbonne et donne de nombreuses lectures et conférences en France et à l’Etranger rassemblées dans Libres Paroles II et Aux dires de l’écrit Ed. Chèvre Feuille Etoilée. Membre d’associations pour le développement de la culture, de l’éducation et la défense des droits humains, dont le Forum Femmes Méditerranée UNESCO, elle a été décorée de la Légion d’Honneur pour l’ensemble de son parcours.
