La récente décision de la municipalité de Saint-Quentin d’annuler le concert du rappeur Médine suscite un émoi des défenseurs de la liberté d’expression et de la création artistique.
Une tribune publiée dans le Club de Mediapart qui réunit 150 personnes venant du monde de la politique, des médias et du divertissement comme Edwy Plenel, Waly Dia (humoriste), Raska (youtubeur) ou Aurélien Le Coq (député du Nord). Cette tribune exige la reprogrammation du concert et un engagement public garantissant que les préférences politiques de la mairie ne dictent pas la vie culturelle locale.
Officiellement, la mairie justifie l’annulation par un « risque de troubles à l’ordre public » et des « propos polémiques » tenus par l’artiste dans le passé. Or, ces raisons vagues et non détaillées par des éléments concrets relèvent davantage des considérations idéologiques que d’un réel danger sécuritaire.
Médine n’a jamais été condamné pour incitation à la haine, ni pour des propos relevant du racisme ou de la violence. En se basant sur des interprétations subjectives de ses textes, la mairie franchit une ligne rouge : celle de la censure arbitraire. De plus, Médine nous apprend que la mairie n’a pas pris la peine de contacter le rappeur et qu’il a appris l’annulation de son concert grâce à son public, qui lui a envoyé les captures d’un mail demandant leurs coordonnées bancaires pour qu’ils puissent se faire rembourser.
Médine, dont les textes questionnent les inégalités, le racisme, l’histoire coloniale et les discriminations, s’inscrit dans une tradition française, celle du rap engagé. Empêcher sa venue revient à faire taire une voix qui dérange précisément parce qu’elle touche là où le débat public peine parfois à aller. La liberté d’expression, pilier de notre démocratie, implique d’accepter des discours critiques même s’ils dérangent certains. « Je pense que mon engagement en faveur de Gaza y est pour beaucoup aussi, déclare Médine. En effet, que ce soit sur les réseaux en partageant des Messages de soutien à la Palestine ou dans certaines de ses œuvres comme Gaza Soccer Beach : en dénonçant le génocide dans la bande de Gaza, le rappeur n’a jamais caché son soutien au peuple palestinien.
Médine cristallise autour de sa personne et de ce qu’il peut représenter les obsessions identitaires de l’extrême droite et de l’islamophobie. En effet, il y a un « sentiment d’islamophobie qui grandit ».
Certains le visent clairement, comme dans l’histoire de l’AFO (terroristes d’extrême droite), où il a été l’une des victimes d’un projet de tentative d’assassinat. Nous sommes ici dans une vraie forme d’extrémisme. Parfois cette islamophobie est présente dans l’espace public de façon plus insidieuse sous couvert de liberté d’expression ou de trouble à l’ordre public. Merwan Benlazar en a également fait les frais, après son passage en tant que chroniqueur sur France 5, l’islamophobie. Médine nous dit alors qu’appartenir à la communauté musulmane est un « facteur aggravant » lorsqu’un artiste prend position sur un sujet quelconque où le débat public peine à aller.
Si nous restons sur cette lancée, le risque est une multiplication des censures des artistes tenant des discours engagés dans n’importe quelle cause, cela est contraire à la liberté d’expression et contrevient, au-delà de l’aspect culturel, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui, dans son article 11, affirme : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
Refuser Médine à Saint-Quentin, c’est donc envoyer un message inquiétant à toutes les formes d’art qui ne se conforment pas à certaines idées. La culture ne peut être réduite à ce qui rassure, elle est aussi là pour interroger, bousculer et éveiller les consciences. Cette décision crée un précédent dangereux : celui où la pression politique prime sur la liberté d’expression et l’accès à la culture.
« On a glissé encore un peu plus loin dans la privation de la liberté d’expression », affirme Médine.
Annuler son concert n’est pas une mesure de précaution mais une forme de censure. Ce n’est pas protéger le public, c’est le priver. Dans une République qui se veut universaliste et pluraliste, cette interdiction ne tient pas. Elle est illégitime non seulement sur le plan juridique car aucune menace réelle est avérée, mais aussi sur le plan moral et culturel. Ce genre de décision mine silencieusement les fondements même de notre démocratie.