L’affaire débute en 2011 lorsque l’archéologue et historien algérien Ali Farid Belkadi effectue des recherches dans les collections du musée de l’Homme place du Trocadéro à Paris. 18 000 crânes sont conservés à des fins historiques et scientifiques, jusque-là rien d’étonnant. Mais la nature de certains reste bien plus étonnante. En effet, certains crânes de résistants algériens à la colonisation française sont conservés dans les coffres-forts du musée. Après une étude précise des documents qui accompagnaient les têtes, le chercheur va finir par découvrir leur origine.
Au milieu du 19ᵉ siècle, la France se lance dans la conquête de l’Algérie ; celle-ci durera 30 à 40 ans. Les centaines de morts, la ville d’Alger pillée, l’accaparement des terres par les colons, l’incendie des récoltes, les Algériens refusant de se soumettre asphyxiés, sont des exemples des terribles crimes commis par les occidentaux à cette époque. De réels actes génocidaires ont été commis sur cette population : des colonnes expéditionnelles de 2000 à 3000 hommes de l’armée française arrivaient à l’aube et décapitaient systématiquement tout le monde, femmes et enfants, de 1830 à 1880.
Mais la violence ne s’est pas arrêtée là. En effet, au cours de ses recherches, Ali Farid Belkadi a recensé 68 crânes prélevés sur des combattants algériens. Parmi eux figuraient d’illustres combattants tels le cheikh Bouziane ou Chérif Boubaghla, qui menèrent la révolte contre le colonisateur avant d’être tués et décapités. Ils furent ensuite transportés par barils et emmenés vers Marseille ou Toulon, et formaient souvent des collections de grands médecins militaires.
Il semble certain qu’elles aient ensuite été d’abord exposées à la Société d’anthropologie de Paris, puis transférées au musée de l’Homme dans des conditions troublantes. 9000 crânes indigènes issus de la colonisation seraient effectivement conservés dans des boîtes à chaussures, mais le nombre de ceux-ci provenant d’Algérie reste flou. Ils y sont encore aujourd’hui. Mais pour quelles raisons sauvegarder ces vestiges ? Ils étaient en fait utilisés à des fins scientifiques, pour des études comme celle de la craniométrie, et ont également fait l’objet de théories racistes. Tout un marchandage était organisé autour de ces « restes » humains : une paire d’oreilles valait à l’époque 10 francs et le triple pour un crâne. Un autre objectif était de « pacifier le terrain » plus rapidement, ou finalement de dératiser, de décimer la population. La question de l’opinion publique de l’époque pose aussi question. Comment est-il possible qu’aucune manifestation de la population soit visible ? Cette dernière était courante sans être favorable, et en réalité la situation est très complexe et très souvent incomprise par celle-ci.
La restitution à l’Algérie
D’après un collectif d’intellectuels, les crânes doivent être restitués pour rappeler l’histoire de la colonisation en Algérie, mais également afin que leur pays les honore, avec cette fois un écho nettement plus large. Ce sont ces têtes, ainsi que tous les documents qui s’y rapportent, qui font partie des collections des musées nationaux dont le gouvernement algérien demande aujourd’hui la déclassification pour enfin arriver à une restitution. Une démarche qui doit passer par une loi.
Lors de sa visite en Algérie en février 2018, Emmanuel Macron a affirmé être favorable à cette restitution, mais la procédure est loin d'être simple.
« Cela fait plus de dix ans que l’on n’avance pas sur ce sujet, estime la sénatrice*. On aurait dû rendre ces crânes de longue date à l’Algérie, mais ce geste aurait dû être établi juridiquement, historiquement et scientifiquement. » * Or, faute de loi, ces crânes n’ont pas pu être pleinement restitués. Dans l’opacité et la précipitation, ils ont été mis en dépôt pour cinq ans en Algérie. Un dépôt renouvelable tant qu’il n’y aura pas de législation encadrant leur expertise et leur retour.
Lors du 58ᵉ anniversaire de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 2020, 24 crânes chouhada (combattants) tués pendant la conquête coloniale ont tout de même été restitués à l’Algérie. Mais sur ces 24, seuls 6**** seraient identifiés comme ceux de vrais résistants. Le président Abdelmadjid Tebboune et les autres dirigeants ne soufflent mot sur le fait que nombre de ces crânes n’étaient pas ceux de héros algériens, ou tout du moins étaient non identifiés ou d’origine incertaine. La découverte rouvre ainsi une plaie que le geste de la France était supposé contribuer à refermer.
L’Assemblée nationale semble peu désireuse de se saisir de ce texte pour doter la France d’une loi-cadre sur la restitution des restes humains sensibles et d’un conseil national de réflexion pour éclairer le politique sur la question.