Billet de blog 9 juillet 2025

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En Syrie, les difficultés de la reconstruction au cœur d’une économie dégradée

Six mois se sont écoulés depuis la chute du régime de la dynastie Assad, et depuis la fin de la guerre civile débutée quatorze ans plus tôt, lors des soulèvements populaires arabes. Pénurie d’eau, violences interconfessionnelles, menace terroriste, bombardements israéliens… La Syrie est confrontée à des défis colossaux.

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Six mois se sont écoulés depuis la chute du régime de la dynastie Assad, et depuis la fin de la guerre civile débutée quatorze ans plus tôt, lors des soulèvements populaires arabes.

Malgré son passé de djihadiste affilié à Al-Qaida et à Daesh, Ahmed al-Charaa, le nouveau maître de la Syrie, tombeur de Bachar el-Assad avec son groupe islamiste armé Hayat Tahrir Al Cham (HTC) aujourd’hui dissous, reste plutôt bien accueilli par la population syrienne. Mais les réjouissances d'avoir libéré cinquante ans de dictature furent vite assombries par les problématiques qui accablent la vie des Syriens·es.

Pénurie d’eau, violences interconfessionnelles, menace terroriste, bombardements israéliens… La Syrie est confrontée à des défis colossaux, ceci alors qu’elle souffre d’un important manque de fonds accordés à la reconstruction, en raison des sanctions qui lui étaient imposées jusqu’en mai 2025.

« Depuis décembre, l’ambiance s’est détendue à Damas. La vie dans la capitale reprend petit à petit son cours, et n’a pas beaucoup changé, mise à part l’absence de portraits de Bachar el-Assad accrochés où que l’on aille »

affirme Hélène Michalak, Damascène ayant quitté la Syrie en 2009, revenue à la fin de la guerre.

De retour du Liban, de Jordanie ou encore de Turquie, les réfugié·e·s syriens·es sont de plus en plus nombreux·ses à retourner chez elleux. À ce jour, plus de deux millions de personnes provenant de la diaspora syrienne sont retournées dans leur pays selon l’ONU. Des retours qui impliquent une demande croissante de ressources et d’infrastructures, ce dont la Syrie post-guerre manque cruellement.

Le sentiment général mêle liberté, soulagement, apaisement mais aussi une certaine inquiétude. Cette appréhension, liée à la peur d’un nouveau conflit, est en partie axée sur la crainte de guerres interconfessionnelles.  Le récent attentat-suicide survenu dans une église de Damas, dimanche 22 juin, revendiqué par un groupe ayant fait allégeance à l’État islamique, n’a fait que renforcer ce sentiment. L’effondrement de l’économie syrienne, le taux élevé de chômage et la pauvreté présente au sein du peuple n’ont fait qu’alimenter cette inquiétude ; 90 % des Syriens·nes vivent actuellement sous le seuil de pauvreté.

C : Hélène Michalak

Selon la Banque mondiale, plus d’un tiers des immeubles et près de la moitié des bâtiments scolaires et hospitaliers ont été endommagés, voire complètement détruits. De ce fait, le besoin d’habitats viables se fait de plus en plus ressentir, en particulier depuis décembre 2025. Les ravages de la guerre ont transformé des villes comme Homs, Alep ou Daraya en véritables chantiers à ciel ouvert. Les habitant·e·s syriens·nes se voient contraint·e·s de tenter de reconstruire de leurs propres mains leurs maisons, qui ne sont plus que ruines.

Les sanctions imposées à la Syrie ont un impact significatif sur la restauration des infrastructures et habitations ; bien qu’elles ne ciblent pas directement la reconstruction. Leur effet cumulatif empêche toute relance sérieuse des travaux. En mai 2025, les États-Unis et l'Union européenne ont annoncé la levée des sanctions contre la Syrie. Un soulagement pour le peuple syrien qui attend encore la concrétisation. Du côté européen, la levée concerne le secteur bancaire, notamment vis-à-vis de la Banque centrale de Syrie.

Une économie en lambeaux

Durant la guerre, la Syrie s’est considérablement appauvrie. La Banque mondiale estime que le produit intérieur brut (PIB) syrien s’est réduit de 84 % entre 2010 et 2023. En 2024, seuls 10,4 % de la population syrienne étaient actifs. Ces chiffres catastrophiques sont en partie dus aux différentes sanctions imposées à la nation syrienne. Ces dernières restreignaient jusqu’à peu l’accès de la Syrie aux institutions financières internationales, ce qui empêchait l’obtention de prêts pour financer la reconstruction et rendait difficile le transfert de fonds pour acheter des matières premières.

L’obtention de ces matériaux était également rendue compliquée par les embargos sur les biens à double usage, qui, par ailleurs, empêchaient alors l’accès aux technologies nécessaires pour les infrastructures (réseaux électriques, équipements médicaux…).

Les entreprises étrangères courraient également un risque juridique en collaborant avec le gouvernement syrien, danger causé par la loi César, un décret imposé par les États-Unis mis en place en juin 2020. Cette loi prévoit notamment des sanctions pour quiconque « profite du conflit syrien en s’engageant dans les activités de reconstruction ».

Ces punitions infligées à la Syrie ont également affecté et affaibli l’économie locale. La valeur de la monnaie syrienne s’est effondrée, entraînant une inflation record. Ces dernières années, la principale source de revenus en Syrie était le trafic de Captagon, une drogue de synthèse rapportant à l’État syrien cinq milliards de dollars chaque année et qui lui a valu le statut de narco-État.

L’effet indirect de ces sanctions sur les aides humanitaires

Les répercussions de ces sanctions n’impactent pas directement les aides humanitaires. Toutefois, les procédures que ces organismes se doivent de respecter sont souvent déroutantes, longues et coûteuses.

Cette lourdeur bureaucratique représente le principal obstacle pour les travailleurs·ses humanitaires alors que leurs aides sont plus nécessaires que jamais. Elle entraîne une formalité excessive qui contribue à effrayer les entreprises et les organisations, et qui participe à les dissuader de travailler avec l’État syrien.

Ces associations peuvent parfois craindre d’enfreindre involontairement ces règles ; au risque d’encourir des amendes, des poursuites judiciaires et même, dans certains cas, la perte partielle ou totale de leurs financements. Ces facteurs retardent ou entravent alors fréquemment les interventions d’urgence sur le territoire syrien.

Un besoin capital de fonds étrangers

Malgré la levée et l’assouplissement d’une grande majorité des sanctions en mai 2025, leurs effets restent toujours aussi présents et problématiques pour le peuple et l’économie syrienne. Les mesures prises à cet égard demeurent incomplètes. S’il est indéniable que la promesse d’en finir avec les sanctions aidera à stabiliser la situation en Syrie, remédier à leurs répercussions prendra un temps indéfini, dont le pays manque.

Après plus de quatorze ans d’une guerre ravageuse et meurtrière, qui a marqué et traumatisé la population, la société syrienne aspire à la paix et à la stabilité. Privé de ses ressources par son ancien dirigeant qui a orchestré une prédation de grande ampleur avec son clan, le pays ne peut pas faire face à l’après-guerre et à toutes les dépenses nécessaires. La levée de certaines sanctions était un geste indispensable, mais loin d’être suffisant. Le soutien d’autres pays reste primordial.

Ysé Loric : yseloric@icloud.com

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