Billet de blog 23 décembre 2024

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Après Bachar Al Assad, un futur incertain pour la Syrie

La chute de Bachar Al Assad le 8 décembre a suscité une vague d’espoir en Syrie. Mais le doute subsiste sur les réelles intentions du groupe islamiste HTC, qui a pris le contrôle de plusieurs capitales syriennes. Qui sont-ils vraiment ?

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Après la fuite de M. Assad en Russie et l’entrée des rebelles à Damas dimanche, la vie a repris son cours dans la capitale syrienne où les commerces ont rouvert. © Christoph Reichwein

Le 8 décembre dernier restera un jour important dans l’histoire de la Syrie et du Moyen-Orient. Alors que depuis 54 ans le pays était sous l’emprise du régime Al Assad, le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham a réussi à renverser ce gouvernement qui semblait intouchable. Bachar Al Assad était à ce moment-là privé de ses alliés historiques ; la Russie sur le front ukrainien et le Hezbollah fortement affaibli par Israël. 

Le groupe d’Ahmed al-Charaa ( anciennement Abou Al Mohamed Al Joulani ) a donc profité de ce contexte géopolitique idéal pour prendre la tête du pays. Cependant, ce groupe islamiste, que beaucoup de Syriens ont accueilli comme le messie, les libérant des Assad, est-il vraiment une solution durable pour le peuple syrien ? Pour Bachar Al Assad, ce ne sont que de dangereux « terroristes », comme il l’a affirmé le 16 décembre dernier depuis son exil russe. Mais qu’en est-il vraiment ?

Le groupe Hayat Tharir al-Cham a été fondé en début d’année 2017 par la fusion de six groupes rebelles islamistes syriens. Depuis sa création le groupe a baissé en radicalité, imposant une version de la charia moins stricte sur son territoire, prenant ses distances avec des modes d’action propres à Al Qaida.

Alors qu’on dirait que HTC reste éloigné d’Al Qaida et des ses actions, il faut savoir que son chef et son ancien groupe « Al Nosra » ont prêté allégeance à Al Qaida et à l’Etat Islamique. Ce « front Al Nosra » est une organisation qui est apparue en 2012 et à été dissolue en 2017 (au profit d' HTC). Cette organisation a été reconnue comme terroriste  par plusieurs grandes puissances, comme la Russie et les États-Unis, mais aussi par l’ONU. Ce front a revendiqué de nombreux attentats en Syrie, comme l’attentat de Damas en 2012 et l’attentat de Homs en 2014. Le groupe est dissous en 2017 lors de la fusion avec d’autres groupes islamiques, ce qui fera naître HTC. 

On voit alors un changement dans les idées et les moyens du groupe, qui devient plus libéral et moins radical. La population contrôlée par l'organisation acquiert alors plus de libertés, le groupe se concentrant sur les conflits internes, comme le montre le journaliste Wassim Nasr, dans son article à Orient XXI. 

« Joulani estime qu’il a fait prévaloir sa ligne  [...] en renonçant au djihad global pour se concentrer sur le combat contre le régime de Damas et ses alliés iraniens et russes, présents sur le sol syrien. » 
Wassim Nasr

Ce changement important dans le groupe est-il juste un moyen pour se faire accepter par l’Occident ? Ces changements seront-ils seulement fugaces, rattrapés très vite par une idéologie islamiste radicale ? C’est en tout cas la peur d' Hugo Micheron, spécialiste du djihadisme. Il disait en effet le 8 décembre sur le plateau de C Politique qu' al-Charaa « a dû faire du média training », changeant son style vestimentaire et sa barbe pour se donner un « look de révolutionnaire presque gauchiste ». Mais celui-ci met aussi en garde la population, rappelant « la campagne de communication extrêmement lisse que nous avaient livrés les Talibans » avant, une fois au pouvoir, de revenir à leur ancien mode de fonctionnement. Ahmed al-Charaa est, dit-il, un «  un redoutable politique », il faut donc « faire très très attention ». 

Le chercheur Patrick Haenni, disait, lui, dans un article à Orient XXI qu' « HTC n’a fait aucun aggiornamento idéologique », restant dans « une espèce de flou », pour ne pas « antagoniser les conservateurs restant encore dans le mouvement ». Cependant, il pense tout de même que ce qu’il appelle une « révolution silencieuse » sera « longue » et « durable ». Il pense que pour HTC la priorité n’est pas le « prosélytisme idéologique » mais plutôt « l’effort militaire contre le régime [de Bachar Al Assad] ». 

Deux points de vue différents qui montrent comme la situation reste encore très floue. On ne sait pas vraiment si l’organisation a changé pour plaire à l’Occident et avoir l’air apte à gouverner ou si ces réformes sont motivées par l’envie de gouverner une Syrie déjà fracturée d’une manière durable, pour faire évoluer ce pays en crise.

Il faut aussi rappeler que d’autres organisations sont présentes en Syrie. On peut citer entre autres l’armée syrienne libre, qu' Elizabeth Tsurkov, membre du Foreign Policy Research Institute qualifie de « gangsters ». Ils sont , dit-elle, « racistes envers les Kurdes et les autres minorités ». Une alternative qui n’a pas l’air très enviable…  

Il existe aussi une autre organisation, « Les Forces Démocratiques Syriennes », soutenue par les Etats-Unis, qui a pour but de chasser l’État Islamique et la Turquie de la Syrie. Cette organisation est une coalition de différents groupes, dont les Kurdes syriens, qui en seraient la principale composante. Ces Kurdes ont d’ailleurs appelé à « entamer un dialogue national ». Ils sont fortement en tension avec les groupes islamistes et pro-Turcs, et sûrement trop peu nombreux pour gouverner seuls.

La dernière option envisageable serait de redonner le pouvoir au peuple, en donnant lieu à des élections démocratiques, ce qui n’a pas été fait depuis très longtemps. Mais HTC n’a pas l’air très enclin à laisser advenir cette possibilité, qui serait pourtant la plus intéressante à long terme et la plus juste. De plus, le manque d’institutions démocratiques rend presque impossible une élection dans les semaines à venir. 

En somme, Ahmed al-Charaa a transformé son organisation islamiste et radicale en quelque-chose de beaucoup plus lisse, de beaucoup plus médiatisable, pour se faire ainsi accepter par les grandes puissances occidentales et ses voisins du Moyen-Orient. La question est maintenant de savoir si Ahmed al-Charaa continuera dans ce sens ou, s'il arrive a prendre l’entièreté des pouvoirs en Syrie, se re-transformera en un groupe terroriste radical. La piste d’un gouvernement élu démocratiquement ne semble pour l’instant pas spécialement envisagée. 

Cependant, la meilleure option - à mon avis - serait de créer des institutions démocratiques et de former des partis politiques pour permettre enfin  au peuple syrien de prendre en main son destin.

Johaquim

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