Billet de blog 14 août 2024

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Anita Warmel : « Elle s'est reconnue victime pour mieux s'en libérer »

Avec « Le fauteuil blanc », Anita Warmel condense dans un court roman la trajectoire d’une femme, de la fuite des violences conjugales à la reconstruction. À travers sa parole intérieure, la force patiente du dépassement. Entretien.

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Illustration 1
Anita Warmel, 2023 © François Rochon

F. R. : Votre livre a l’originalité de raconter le glissement insidieux dans la violence à travers l’histoire du personnage principal, Nina, tout en décrivant comment lutter contre ce fléau de société, puisque Nina s’engage professionnellement dans l’accompagnement des victimes, comme des auteurs de violence. Pourquoi avez-vous choisi de superposer les deux points de vue dans un même personnage ?

Nina ne s'est pas reconstruite mais réparée, car elle ne s'est jamais sentie détruite, elle a toujours eu au fond d'elle-même foi en la vie et c'est cette force  qui lui a permis de fuir, de lutter et plus tard de s'engager. Elle a refusé d'être enfermée en tant que victime même si elle l'a reconnu pour mieux s'en libérer. Par une rencontre, elle s'est engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes et c'est parce qu'elle a écouté la parole des femmes et en particulier celle dont le vécu a fait écho à sa propre histoire, cela lui a permis d'écrire "Je ne dirai plus son prénom". Au cours de ses rencontres, elle se pose la question de ce que vivent les hommes à travers leur propre violence et à quoi elle correspond. Ses recherches l'amènent au Canada et en Belgique où les hommes violents sont pris en charge. Cela lui apparaît comme une évidence. Il lui semble important d'écouter la personne qui subit et celle qui exerce un pouvoir physique et verbal. Les deux sont indissociables, pour avancer dans ce domaine.

F. R. : Entrons dans le détail de votre intention romanesque : le récit se décompose en deux parties à vingt ans d’intervalle, mais les allers-retours temporels traversent tout le livre, dans un présent flottant où Nina associe ce qu’elle vit et ce qu’elle a vécu. Comment avez-vous construit ce mouvement, qui se traduit notamment dans le texte par de longs passages en italique ?

Avant que se posent les mots sur le papier,  tout se bouscule dans ma tête sans notion temporelle, alors je vais marcher seule et dans la campagne. Je laisse tout à loisir arriver, idées, pensées, réflexions et je soliloque, cela me permet d'évacuer tout ce qui pourrait polluer mon esprit et ainsi une ligne se dessine. Je la laisse pour plus tard lorsque je serai dans un lieu public, là où j'aime écrire, et que je pourrai enfin tracer, raturer, tout ce qui arrive simplement, comme écrire le passé au présent . Je n'ai pas de plan, je laisse venir naturellement, cela se construit petit à petit, comme si, sans vraiment le savoir,  j'en connaissais tout le déroulement. Curieux, n'est-ce pas ! J'aime me laisser porter par le récit, ce qui m'entraîne bien souvent dans la digression, mais le sujet n'est jamais éloigné, bien au contraire, il est amené en amont pour apporter d'autres éléments, souvent de compréhension. 

F. R. : En amont de l’écriture, vous avez participé à différentes initiatives et créé une association spécialisée. Pourquoi avez-vous souhaité passer aujourd’hui par le chemin de la fiction romanesque? Comment envisagez-vous que ce livre rejoigne l’implication des acteurs de terrain ? Finalement, comptez-vous, en quelque sorte, adopter la méthode de Nina ?

Je ne fais aucune projection, je n'ai pas de désir ni de besoin précis, mais si mon livre suscite quelque intérêt, j'en serais heureuse, honorée et disponible pour d'autres échanges. Je ne voulais pas éditer cela ne me paraissait pas important, mais aujourd'hui c'est là, j'en suis émue et je me dis que si cela peut être un témoignage nécessaire, pourquoi pas ?

F. R. : Pour votre prochain livre, vous continuez à travailler sur la figure de la femme, mais en cherchant plus loin dans le passé, dans ce passé qui marque les familles et se transmet d’une génération à une autre, tiré d’une histoire dans un village d’Espagne. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette enquête en cours ?

Chaque année, je vais en Espagne, c'est un besoin, comment dire, viscéral, qui me nourrit et qui m'apporte de la joie. Là-bas, j'écoute la langue, je la savoure, comme on savoure la cuisine qui regorge d'huile ou le vin capiteux. Je ne fais pas vraiment de recherches, je furète. J'ai consulté l'an passé les registres des naissances à l'évêché et j'ai été rattrapée par une grande émotion en lisant cette écriture d'autrefois, à la plume avec ses pleins et déliés, le nom de ma grand-mère, fille de...

En mai dernier, je suis allée à Soria, ville des poètes, mais aussi ville au cœur de la province Castille y Leon, berceau de ma famille. Un matin, alors que je me promenais dans un magnifique parc, je suis surprise d'y voir entre les arbres une chapelle. J'y suis rentrée, comme ça pour le plaisir et devant la vierge habillée de mille dorures, je suis restée plantée là, des larmes glissaient sur mes joues. En sortant, j'ai lu le nom de cette chapelle, Soledad, le nom de mon ancêtre, cousine de ma grand-mère, celle dont je vais raconter l'histoire.

Le roman d'Anita Warmel, Le fauteuil blanc, Le Sas-culture, paraîtra le 26 septembre prochain. Il sera présenté lors de la soirée de rentrée littéraire de l'éditeur au palais des congrès de Rochefort, ce-même jour à 18h30. Entrée libre.

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