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F. R. : Un livre d’entretiens est d’abord une histoire de rencontre. Comment avez-vous été amenée à rencontrer Monika ? Pouvez-vous nous la présenter en quelques mots ? Quelle était l’intention initiale de cette démarche d’écriture et comment a-t-elle cheminé vers un livre ?
À vrai dire, c’est Monika qui m’a trouvée. Elle a appris que j’écrivais et elle m’a téléphoné, tout simplement. Je n’avais pas l’intention de réaliser un second livre d’entretiens, après Récits des Cèdres qui m’avait demandé deux ans de travail. Mais Monika avait quelque chose sur le cœur, dont elle voulait se décharger. Elle tenait à ce que son expérience soit écrite, avant de mourir. En acceptant qu’elle se confie à moi, j’acceptais de fait de concevoir et rédiger son histoire.
J’ai rencontré une femme volontaire et forte, une « sacrée bonne femme », un peu loufoque avec son humour décalé, son côté « rentre dedans ». Mais dès que nous avons fait plus ample connaissance, elle s’est révélée plus émotive et sensible qu’elle ne le laisse paraître de prime abord. Et puis, ce besoin vital de raconter ce qu’elle portait en elle depuis tant d’années ! Un appel que je n’ai pas pu ignorer.
Publier son témoignage a toujours été l’objectif de Monika, objectif qui m’a engagée, la loyauté étant fondamentale pour un auteur qui reçoit des confidences jamais dévoilées à quiconque jusque-là. Le cheminement a été long et incertain car très vite, il s’est avéré qu’en dehors de son secret, Monika avait du mal à rassembler ses souvenirs, n’en voyait pas trop l’intérêt. J’ai dû la titiller un peu, lui expliquer que j’avais besoin de matière et d’un minimum de cohérence pour construire un vrai livre. Finalement, après deux ans de travail, on a réussi !
F. R. : Entrons dans le détail de votre intention narrative : Vous avez raconté le parcours de Monika de façon chronologique, mais en distinguant clairement deux parties, avec une césure au milieu des années 1950. Pourquoi cette décomposition, comment s’est-elle imposée ?
Ce que Monika m’a confié de sa vie se décompose effectivement en deux grandes parties. La première tourne autour de son douloureux secret. La seconde autour de son émancipation et de son insatiable besoin de liberté. Sur la première partie, elle s’est beaucoup épanchée. Pour la seconde, j’ai dû l’accoucher lentement, les informations qu’elles me livraient étaient parfois floues et changeantes, toujours chronologiquement mélangées. Il m’a fallu les reconstruire à la façon d’un puzzle, patiemment et méthodiquement. Monika n’avait pas l’impression que la chronique pourtant étonnante de sa vie incroyablement mouvementée, libre, déroutante, était intéressante. Pour elle, c’était banal – Une femme de 90 ans qui a assumé l’éducation de ses enfants, exercé avec passion son métier d’infirmière en oncologie, pratiqué la natation, la planche à voile, la navigation, la marche aquatique et tant d’autres activités, ce n’est pourtant pas si courant !
Écrire la vie d’une autre personne est un long compagnonnage, et notre aventure avec Monika n’a pas échappé à la règle. Une relation de confiance s’est installée qui a débouché sur une considération réciproque. Elle a pu se laisser aller aux confidences. Les souvenirs en appelant d’autres, des pans entiers jusque-là enfouis sont remontés à la surface, et le plan du récit s’est profilé, au fur et à mesure que se dessinaient la silhouette et la logique de son parcours.
F. R. : Votre démarche d’écriture est fondée sur un dialogue à sens unique, Monika parle, elle s’adresse à Sylvaine… qui ne répond jamais. Pourquoi avez-vous choisi d’introduire une médiation entre la voix de la narratrice, Monika, et le lecteur. Comment définissez-vous votre place dans le récit ?
Écrire un témoignage pour une autre personne, lui « prêter sa plume », est un exercice de style plus difficile qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas seulement de retranscrire les propos entendus. Il faut reconstruire, composer l’histoire pour que la lecture en soit fluide et agréable. Dans le même temps, le lecteur, à travers le style, les expressions, le choix des mots ou la façon de les agencer, doit pouvoir ressentir la personnalité du personnage. Je dis personnage car même si les évocations de Monika sont réelles, j’ai conçu son livre comme une création littéraire à part entière. Elle est mon personnage et je suis son auteur.
Monika revenait toujours sur son secret, elle avait tendance à sauter du coq à l’âne. Comment rendre son témoignage lisible sans répéter toujours les mêmes choses ? En d’autres termes, comment concevoir un livre qui se tienne et soit suffisamment romanesque pour intéresser un lecteur ? J’avais peu d’informations du reste de sa vie. Je ne voulais bien sûr rien inventer. Il fallait donc que je trouve un biais littéraire pour donner vie à nos entretiens. Elle parsemait ses anecdotes de traits d’humour, ce qui m’a donné l’idée de cette écriture quasi théâtrale où je pouvais mettre Monika en scène et l’incarner. Je pense que ce style reflète parfaitement sa personnalité et donne du relief au récit. Dès que j’ai trouvé comment j’allais raconter son histoire, que mon point de vue d’auteur a été clair, j’ai su que j’arriverais au terme de ce travail et j’ai commencé à prendre du plaisir à rédiger ce qui, autrement, n’aurait été qu’un compte-rendu. Je voulais réussir un vrai livre, y mettre un peu de ce qui m’est essentiel : la littérature.
F. R. : Il y a deux ans, vous avez fait paraître chez le même éditeur un autre récit composé de trois témoignages qui convergeaient tous vers une même résidence d’anciens. Aujourd’hui, votre livre est centré sur une seule personnalité. Quelles différences faites-vous dans la transmission de la mémoire entre ces deux approches ?
Ce livre dont vous parlez, Récits des Cèdres, m’avait été commandé par le CCAS de la ville d’Aytré. Il s’agissait d’animer des ateliers d’écriture pour composer un ouvrage avec des volontaires de la Résidence Seniors Les Cèdres. Comme ne se sont finalement inscrites que trois personnes, j’ai pensé que je pouvais me permettre de les laisser exprimer ce qu’elles souhaitaient. Si j’avais eu sept ou huit participants, j’aurais organisé un atelier classique, avec des consignes d’écriture, et le recueil aurait eu un thème commun. Là, j’ai pu m’adapter au désir de chacun. Et ce qui les intéressait vraiment, c’était leurs propres souvenirs. Je les ai donc accompagnés pour écrire leurs trois mémoires que nous avons réunis dans un même volume. Ils se sont concentrés l’un sur sa vie professionnelle, l’autre sur sa vie familiale et la troisième sur son univers poétique.
Pour Monika, la donne était différente, ne serait-ce que parce que la somme de ses confidences ne constituait pas suffisamment de matière pour faire un livre. C’est tout bête, mais un nombre de pages minimum est requis ! J’ai donc dû la pousser un peu plus aux confidences pour envisager un panorama complet de son existence et trouver le biais littéraire dont je vous parlais plus haut pour donner à l’Histoire de K la densité requise.