Billet de blog 28 février 2025

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Jean-Louis Brossard : « Je fréquente Gaston Boucart sans jamais l’avoir rencontré. »

Depuis trente ans, Jean-Louis Brossard poursuit son enquête sur Gaston Boucart (1878-1962), peintre de Paris et de Port-des-Barques en Charente-Maritime, mais aussi secrétaire de l’association des Charentais à Paris. Une plongée dans la France de la IIIe République, à travers le parcours d’un artiste et la vie d’un homme attachant.

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Jean-Louis Brossard © François Rochon

F.R.: Gaston Boucart laisse une œuvre picturale que vous estimez à plusieurs milliers de tableaux, essentiellement disséminés dans des collections particulières. Quels sont les sujets favoris du peintre, comment les organise-il et selon quelle approche picturale ? Pour employer un vocabulaire anachronique, comment décririez-vous son univers ?

Jean-Louis Brossard: Gaston Boucart est surtout connu pour ses tableaux vénitiens qui dans les années 1920 à 1940 lui ont valu une certaine renommée et qui encore aujourd’hui offrent une cote soutenue à l’artiste, mais il a surtout peint des paysages glanés lors de ses petits voyages à travers la France, l’Espagne, la Corse ainsi que l’Italie et la Belgique avec une prédilection pour les bords de mer, les ports, les petits villages pittoresques et les églises. On lui connait aussi de nombreux portraits de commande qui, au début de sa carrière artistique, lui permettaient d’assurer le quotidien et quelques gravures, car il avait fréquenté l’atelier d’Emile Jacquet à l’École Nationale des Beaux-arts de Paris et il tenait beaucoup à se qualifier de peintre-graveur. Tous ses tableaux font preuve d’une belle maîtrise de leur sujet, de la composition et de la lumière dans un esprit plutôt académique et sobre à la recherche de la simplicité sincère du moment capté par le peintre.

F.R.: Vous êtes également peintre, résident régulier du même village. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à cet ancien confrère que vous n’avez pas connu ? D’où vient cette motivation sur le long terme de votre enquête, pour ce personnage qui reste discret dans l’histoire de la peinture régionale ?

 Jean-Louis Brossard: Dès le début de notre installation à Port-des-Barques en 1996, j’ai eu l’occasion d’aider une association locale à y organiser une exposition artistique. L’invité d’honneur était Gaston Boucart décédé depuis 1962. Quelques habitants avaient prêté des tableaux du peintre qui possédait une maison sur le front de mer qu’il occupait avec « Bichette » son épouse, chaque été depuis 1918. Il consacrait son séjour à peindre les multiples sujets que lui offraient l’embouchure de la Charente et sa lumière particulière sur les vases de l’estran. J’avais moi-même été séduit par cet endroit encore préservé de la côte, nous avions un second point commun avec l’exercice de la peinture. Je me suis donc intéressé à lui et à son œuvre en essayant de retrouver ses tableaux dans les brocantes locales. Le premier fut un magnifique autoportrait que j’ai immédiatement considéré comme un signe de l’artiste qui se présentait ainsi à moi au travers de son portrait. Dès lors, je me suis mis en quête de documents, témoignages et tableaux afin de lui rendre hommage pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli.    

F.R.: Au fil des années, vous avez collecté un corpus documentaire foisonnant : photographies des œuvres, articles de presse d’époque et documents évoquant son activité, son contexte de travail, mais également son histoire personnelle et familiale grâce à des lettres et plusieurs témoignages directs. Comment envisagez-vous de partager cette somme d’informations, de faire connaitre le personnage ?

 Jean-Louis Brossard: Ce fut un long travail de collecte qui au départ était assez stérile, mais grâce à l’informatique et à la numérisation de plus en plus de documents, j’ai eu depuis une dizaine d’années l’opportunité de réunir suffisamment d’informations pour envisager l’écriture d’un ouvrage sur l’artiste et son œuvre et j’en ai fait un premier brouillon pratiquement prêt à publier. Il était composé essentiellement de documents glanés çà et là, notamment des articles de journaux, classés chronologiquement, le tout illustré de nombreux tableaux réalisés au long de la vie de Boucart. Cependant, il m’a semblé que cela manquait de vie, il me fallait trouver un autre angle d’approche. Par chance, j’ai alors été contacté par la filleule de l’artiste dont j’ignorai l’existence. Ce fut le début d’échanges et de rencontres qui m’ont permis de reprendre l’écriture de mon ouvrage.     

F.R.: Où en êtes-vous aujourd’hui de votre compagnonnage avec Gaston Boucart ? Avez-vous encore récemment découvert un nouvel élément ? Plus généralement, quels sont vos projets ?

Jean-Louis Brossard: Cela fait près de trente ans que je fréquente Gaston Boucart sans jamais l’avoir rencontré. Pourtant il est presque devenu un compagnon de travail, car depuis que je collectionne ses tableaux qui parfois sont en mauvais état, j’ai commencé à les restaurer ce qui m’a conduit à me former dans la restauration des œuvres peintes et des encadrements que je pratique comme un loisir, en amateur éclairé. Cela m’a permis de mieux comprendre son travail, sa démarche artistique.  L’accumulation de documents avec la conjugaison de nouveaux témoignages inattendus m’ont rendu encore plus proche de lui. Il est un peu comme un ami qui me confie ses souvenirs, les grands moments de sa vie comme les anecdotes à travers les événements historiques qu’il a vécus. Je suis encore en train d’écrire un nouveau livre qui s’attache à raconter le quotidien de l’artiste dans un récit au présent. J’y fais des focus sur sa jeunesse à Angoulême, ses huit années aux Beaux-Arts de Paris, son atelier qui fut aussi celui de Paul Gauguin. Je raconte son mariage avec Louise Darblay qu’il surnommait affectueusement « Bichette », sa vie mise entre parenthèses par la guerre de 1914-18, son activité salvatrice au sein de l’association des Charentais de Paris, son cercle d’amis, sa nomination au titre de Chevalier de la Légion d’honneur et sa vie à Port-des-Barques, à l’embouchure de la Charente qu’il qualifiait de « site admirable, unique au monde, la grande vision de ma vie d’artiste qui me paie de tout. »   

Avec cet ouvrage consacré à Gaston Boucart, je veux aussi montrer ce que fut le quotidien des milliers d’artistes restés dans l’ombre parce que les difficultés de la vie les ont contraints à rester dans les lignes fixées par l’Académie pour survivre, mais qui comme Gaston, n’étaient pas dénués de talent et méritent avant qu’on les oublie complètement d’entrer un peu dans la lumière.    

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Vue de Port-des-Barques, par Gaston Boucart

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