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Billet de blog 4 novembre 2009

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La Guelaguetza de Oaxaca - article d'Alessi Dell' Umbria

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Nous publions ici la première partie d'un long article écrit par A. Dell'Umbria 
(auteur, entre autres, de l'excellente Histoire Universelle de Marseille , publiée
 par les Editions Agone).
 
 

L'État d'Oaxaca, dans le sud-est du Mexique, comprend sept régions, les
Valles centrales, la Sierra Juarez, la Cañada, Tuxtepec, la Mixteca, la
Costa et l'Istmo de Tehuantepec, et inclut seize ethnies indigènes. C'est
l'un des États du Mexique où la densité de population indigène est la plus
forte, et le seul où les autorités traditionnelles soient reconnues
juridiquement.
Guelaguetza, tequío et gozona sont les concepts fondamentaux du monde
indigène oaxaqueño. Le tequío désigne le service bénévole fourni à la
communauté, notamment lors des chantiers de construction ou d'entretien
d'équipements communs. Se dispenser du tequío revient à se mettre hors de
la communauté, et nombres d'indigènes émigrés aux USA prennent soin de
revenir une fois par an participer au tequío ou, à défaut, d'envoyer de
l'argent à la communauté pour contribuer à ses charges. La gozona désigne
un échange réciproque de journées de travail entre membres d'une même
communauté. La guelaguetza recouvre de façon plus large la sphère des
échanges. Dans ce concept se fondent les notions d'aide mutuelle, de
service réciproque, de don appellant inévitablement un don de retour.
Le mot guelaguetza serait la castillanisation du mot zapotèque composé
Guenda (action) Lizaa (fraternité) qui désignait la réunion de la
communauté adressant une offrande aux divinités tutélaires de la pluie et
du maïs. Il s'appliquait aussi à l'aide mutuelle au sein de la communauté
et entre communautés, la réciprocité des relations sociales revêtant un
caractère sacré tout comme celle des relations avec les forces
suprasensibles. Mais si le mot vient de la langue zapotèque, le concept de
guelaguetza se retrouve chez tous les peuples indigènes oaxaqueños.
La guelaguetza, actuellement, est une forme de solidarité et de
coopération qui se manifeste en certaines occasions importantes
(naissances, mariages, enterrements etc.). L'obligation du don de retour
qu'appelle le don initial est toujours scrupuleusement observée. Ce
concept s'étend à la mayordomía : le mayordomo est le chef d'une confrérie
qui, durant l'année de son mandat, a la responsabilité d'organiser la fête
du saint patron de la famille, du quartier ou du pueblo. Cette pratique
rétablit un certain équilibre matériel à l'intérieur des communautés,
ralentit le processus de distinction sociale qui est lourd de menace pour
l'existence du commun : le mayordomo se trouve généralement disposer de
quelques ressources, qu'il doit précisément dépenser dans la fête.
Enfin, le caractère éducatif de la guelaguetza est fondamental. La
pratique de la guelaguetza forme les individus nés et grandis dans les
communautés à concevoir toute la vie sociale comme un système d'échanges
réciproques sans fin dont on ne peut s'isoler sans perdre sa propre
dignité individuelle.
Mais la tradition rencontre toujours l'histoire. En 1932, pour fêter le
quatrième centenaire de l'élévation de Oaxaca au rang de ciudad, et alors
que le sud du Mexique se remettait difficilement d'un tremblement de terre
dévastateur, le gouverneur de l'État d'Oaxaca, Chico Lopez, décida de
créer un événement dans la capitale, en vue de rendre hommage aux cultures
et traditions indigènes oaxaqueñas. Ces peuples indigènes de l'État
d'Oaxaca avaient et ont encore une longue tradition de révolte et
d'insubordination et, de la difficulté à les gouverner, est née sans doute
l'idée d'instituer un espace de représentation qui intègre leurs cultures
- c'est-à-dire qui en neutralise l'altérité en les transportant hors-sol.
Ce festival de la culture indigène prit le nom de Guelaguetza, se
présentant comme un événement qui ré-affirmerait la fraternité et la
solidarité des peuples indigènes de l'État d'Oaxaca, où les communautés
offriraient, outre des danses et des musiques, les produits agricoles et
artisanaux de leurs régions respectives.
Par ailleurs, une fête traditionnelle se déroulait chaque été, le 16
juillet, sur une colline, un cerro surplombant la ville. En leur temps les
envahisseurs aztèques avaient installé en ce lieu une garnison pour
veiller sur la cité de Huaxyacac (aujourd'hui Oaxaca), fondée par eux en
1495. Chaque été, cet endroit ombragé et fleuri accueillait aussi les
actions de grâce rendues aux divinités aztèques de l'eau et du maïs,
Xilonen et Centeótl, du 24 juin au 15 juillet, et à Huitzilpochtli,
divinité de la guerre, du 16 juillet au 4 août. À la fois place militaire
et lieu cérémonial, le Cerro del Fortin constitue donc depuis longtemps un
emplacement stratégique. L'Église vint l'occuper en érigeant en 1700 un
couvent de carmélites. La mascarade populaire qui se déroulait toujours à
la date du 16 juillet, persistance des anciens rituels, vint alors se
greffer sur la dévotion à la Virgen del Carmel.
À partir de 1953 la Guelaguetza allait prendre plus d'ampleur en étant
amalgamée aux festivités du 16 juillet. Une sorte de syncrétisme décidé
par en-haut… Pour beaucoup de gens, le mot Guelaguetza ne désignerait
plus qu'un événement d'État, financé par l'argent public. Mais participer
à cette représentation qui valait reconnaissance officielle était souvent
considéré comme un honneur, du côté indigène, et les groupes invités
avaient à cœur de travailler leur prestation. D'autant plus quand ils
furent payés pour cela…
En invitant dans la capitale les peuples indigènes à réaliser une
guelaguetza, le gouverneur de 1932 avait mené une opération stratégique :
l'offrande rituelle était déplacée de son espace communautaire pour
s'adresser à la population, alors encore très mestiza et conservatrice, de
la capitale, et plus encore aux autorités de l'État. L'opération procédait
bien sûr d'un regard très paternaliste sur ces cultures indigènes, vues
avec condescendance comme une sorte d'exotisme intérieur.
Ancienne ville coloniale, Oaxaca n'accueillait les indigènes qu'aux
marges, et ignorait ces pratiques d'échanges propres aux communautés.
Quand le gouverneur décida d'inviter ces dernières à une représentation de
la guelaguetza, il les invita en réalité à faire une offrande aux élites
de l'État ; à leur offrir en spectacle les danses, les musiques, les
légendes et les costumes traditionnels du Oaxaca profond. Effectuant leur
performance, les danseurs et musiciens procédaient à une compilation in
vivo des cultures indigènes, exécutant toute la journée jarabes, sones,
fandangos, chilenas, etc. L'unité de l'État, ébranlée par le séisme de
1931, se trouvait ainsi réaffirmée à travers le spectacle de sa diversité
culturelle – sauf que les gens de la capitale n'avaient rien à offrir en
retour… que la reconnaissance officielle.
Dans la guelaguetza indigène, la reconnaissance est fondée sur le
caractère réciproque de l'offrande. Le don initial engage qui le reçoit :
et le respect de cet engagement établit la reconnaissance. Dans la
Guelaguetza gouvernementale, l'offrande n'appelle plus aucun don de
retour : elle est purement représentée, elle n'est pas offrande à un autre
mais à la foule anonyme des citoyens oaxaqueños invitée par l'instance
suprême, le gouverneur. La relation est brisée par la représentation. Et
celle-ci ne se contente pas de transformer l'échange réel en échange
symbolique. Elle en détruit la dynamique. Le prestige que chacun obtient
dans la guelaguetza, accaparé par le pouvoir invitant, devient unilatéral.
Il rejaillit bien sur chaque groupe de participants venu exhiber ses
danses et ses costumes mais dans la même logique : le prestige général de
tel peuple indigène envoyant ses meilleurs musiciens et danseurs à la
fête, remplace le prestige particulier de qui participe généreusement aux
échanges et aux travaux de la communauté.
L'événement rencontra un succès durable auprès d'un public croissant - non
plus les seuls habitants de Oaxaca mais aussi ceux des régions
environnantes, dont beaucoup venaient assister leurs parents, voisins ou
amis qui se succédaient sur la scène. Ensuite le tourisme culturel prit
son essor non seulement vers l'antique site zapotèque de Monte Alban, sur
un sommet aux environs immédiats de la capitale, mais vers la ville
elle-même, classée comme Patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco.
Tout ceci incita les autorités à construire un site spécialement prévu
pour cette représentation. En 1974 entra en fonction l'Auditorio de la
Guelaguetza, construit sur la colline du Fortin, où se déroulaient les
festivités populaires du 16 juillet ; ce lieu de spectacle en extérieur
qui imite les antiques théâtres grecs peut recevoir près de 12 000
personnes. Dès lors il fallut payer pour entrer et assister à un événement
dont le nom indique pourtant un système d'échanges réciproques ignorant
l'argent.
La Coordinación General de Turismo y Fomento Económico de Oaxaca assure
l'organisation et la promotion de l'événement. Le public se répartit
actuellement entre touristes, mexicains et étrangers, et locaux affiliés à
la clientèle du gouvernement PRI – la distribution de tickets d'entrée à
la Guelaguetza contribuant à entretenir les bonnes relations entre les
élus et leurs clients. Les billets d'entrée constituent aussi une marque
de prestige, qui touche d'abord l'élu qui les distribue et ensuite ses
affidés qui les reçoivent. De leur côté, les hôteliers locaux, qui avaient
contribué à cette évolution, ajoutèrent la Guelaguetza à la liste des
arguments promotionnels ; actuellement, les tours operators proposent un
pack comprenant, outre le billet d'avion, la chambre d'hôtel et
l'excursion à Monte Alban, le billet d'entrée à la grande journée de la
Guelaguetza, el Lunes del Cerro. Plusieurs hôtels et bars musicaux de
Oaxaca proposent aussi en soirée un spectacle avec une troupe de la
Guelaguetza, durant ces deux semaines autour du Lunes del Cerro qui voient
régulièrement le Zocalo traversé par le défilé de quelque groupe
folklorique indigène, et où la ville connaît effectivement une affluence
touristique supérieure. Une série d'animations vient compléter ce
dispositif : conférences, tables rondes, foire du mezcal, spectacles
théâtraux, projections de films, expositions, bref tout pour que le
touriste n'ait pas le temps de ressentir cet ennui qui le guette partout
où il va.
Les festivités de la Guelaguetza durent plusieurs jours. Dans un premier
temps, des groupes exécutent à plusieurs reprises, sur la Plaza de la
Danza située en ville, le Bani Stui Gulal. Ce spectacle se présente comme
un récit dramatique de l'histoire d'Oaxaca : « …es una manifestación
folklórica que, a través de espectáculos coreográficos, narran el origen y
la transformación de nuestras fiestas, la Guelaguetza… » explique le site
officiel. L'origine et la transformation… ira-t-elle jusqu'à évoquer les
événements de 2006 et l'apparition d'une Guelaguetza alternative ? On a
quelques raisons d'en douter…
Le grand spectacle du Lunes del Cerro est précédé, le samedi par le
convite : les groupes folkloriques indigènes, partis du parvis de Santo
Domingo, défilent dans la ville en musique, tirant des cohetes, invitant
le spectateur à danser et offrant de menus cadeaux. Le dimanche est le
jour de la calenda, autre défilé donnant lieu à des offrandes de boissons,
à la danse du torito, et aux feux d'artifice. Ce jour-là sur l'Alameda,
qui jouxte le Zocalo, une sorte de concours désigne, parmi les jeunes
filles indigènes participant au défilé, celle qui va incarner Centeótl et
à ce titre présidera le Lunes del Cerro en compagnie des autorités
gouvernementales.
Le lundi - le fameux Lunes del Cerro - les différents groupes se succèdent
sur la scène, revêtus des costumes des jours de fête, avec leurs
musiciens, pour présenter leurs danses au public. Chaque intervention est
annoncée par un court récit légendaire, parfois développé, outre en
castillan, en langue indigène. La journée du lundi se poursuit par la
représentation de la légende de Donaji y Nucano (ou comment l'amour
impossible d'une princesse zapotèque et d'un prince mixtèque réussit à
ramener la paix entre les peuples), exécutée par le Ballet Folklórico de
Oaxaca. La soirée se termine immanquablement par la Danza de la Pluma,
inspirée des récits légendaires sur la chute de l'empire aztèque, et enfin
l'orchestre interprète Dios nunca muere, l'hymne national oaxaqueño.

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