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Billet de blog 14 octobre 2010

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BRESIL : Lula, ouvrier modèle

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Ayant obtenu le 3 octobre dernier presque 47 % des suffrages populaires, Dilma Rousseff se prépare à un confortable succès lors du second tour de l'élection présidentielle brésilienne.

Après deux mandats successifs, Luiz Inácio Lula da Silva, ne peut constitutionnellement se présenter pour un troisième. Il se retire donc, empochant au passage un record de popularité (80%), laissant la place toute chaude à sa chef de cabinet. Celle-ci, ancienne militante de l'opposition armée à la dictature militaire de droite (entre 1964 et 1985), a été ministre de l'Energie de Lula, avant d'être nommée au poste qui correspond à celui de premier ministre en France.

Le bilan dont peuvent se prévaloir Lula et le Partido dos Trabalhadores en impose : en 8 ans, le Brésil est devenu une puissance mondiale, déjà incontournable par son poids dans les domaines de l'énergie et de l'agro-industrie. Il s'est également montré extrêmement actif sur le plan diplomatique, au point de parvenir à faire échec aux initiatives nord-américaines dans la région (notamment le projet de l'ALCA1). Sur le plan intérieur, on peut observer un triple phénomène, en apparence contradictoire : le maintien des inégalités sociales, parmi les plus fortes au monde entre les plus riches et les plus pauvres, l'enrichissement et l'élargissement des classes moyennes2, ainsi que le soutien croissant des couches sociales les plus défavorisées, notamment dans les villes, à la politique du PT.

Certains se réjouissent de ce qu'un ancien ouvrier métallurgiste, syndicaliste, soit devenu chef de l'Etat leader de l'Amérique Latine. Mais il est d'autres résultats que les admirateurs de Lula ne devraient pas mésestimer. Car ceux-ci constituent un authentique désastre.

Certes, les « droites dures », représentant les oligarchies héritières des colonisateurs espagnols et portugais, et qui ont exercé après les indépendances, puis tout au long de la « guerre froide » un pouvoir brutal et sanguinaire, vendant pour une bouchée de pain les immenses richesses de leurs pays aux intérêts des compagnies étrangères, semblent durablement évincées, au Brésil comme dans la plupart des nations du continent.

Mais, en même temps, le pillage de ces terres, déjà à la source de l'enrichissement phénoménal de l'Europe occidentale3 à partir du XVI siècle, connaît une accélération sans précédent. Pétrole, gaz, uranium, lithium et autres minéraux rares font l'objet d'âpres recherches, appuyées par d'énormes investissements. Les immenses forêts et plaines brésiliennes, argentines, péruviennes, sont détruites pour faire la place aux monocultures d'exportation, café, agrumes, bananes, et tout spécialement le soja transgénique4 ou les plantations destinées à la production d'éthanol.

L'Amérique Latine continue donc, de plus belle, de jouer le rôle de fournisseur de matières premières pour le système industriel (aujourd'hui mondial, avec l'entrée dans la ronde infernale de la Chine et de l'Inde). Mais, avec l'évincement partiel des anciennes oligarchies, ce sont maintenant les Etats qui organisent la saignée. Avec une rationalisation accrue, la légitimité que leur confère leur prétendue neutralité, et le soutien populaire dont bénéficient les dirigeants. Ceci, grâce aux programmes de redistribution d'une petite partie des énormes bénéfices ainsi réalisés.

Dans un document rédigé pour l'INESC5, l'anthropologue brésilien Ricardo Verdum détaille un ensemble de projets d'exploitation des ressources naturelles dans les régions du sud-ouest de l'Amazonie, à cheval sur le Brésil et le Pérou. Ces entreprises pharaoniques incluent l'exploration systématique et l'extraction de gaz et de pétrole dans les deux pays. Elles impliquent la réalisation de travaux gigantesques, comme la construction de lignes de chemin de fer, d'autoroutes et de barrages, sur des territoires qui comptent parmi les plus riches en biodiversité de la planète, et où vivent des communautés indigènes, qui n'ont évidemment pas été consultées6.

Les firmes bénéficiaires sont, avec la tentaculaire Petrobrás7, des multinationales chinoises (SAPET Development, filiale de la China Petroleum T. & D. Corp.) et canadiennes (True Energy, North American Vanadium et Pacific Stratus Energy).

Dans la revue Exame, Lula da Silva peut se vanter d'avoir permis d'opérer, pour « notre chère Petrobrás », la « plus grande capitalisation qu'ait jamais connu l'humanité »8. Pour un ancien ouvrier, il a bien travaillé.

Bien sûr, et cela a été rapporté sur Mediapart, un programme social comme Bolsa Familia offre des subsides à des millions de familles pauvres. En les conditionnant à l'assiduité des enfants à l'école. Et la production de tourteaux de soja transgénique, les cultures pour les bio-carburants, les mines à ciel ouvert et les forages pétroliers dynamisent l'économie du Brésil...

L'agriculture vivrière, par contre, y est en fort recul. Comme partout9, l'urbanisation galopante accroît la dépendance de la majorité de la population, parquée dans des bidonvilles ou des lotissements fortifiés, à l'égard d'une machine économique gérée par un nombre de plus en plus restreint d'experts et de financiers. Un système qui, pour mettre la main sur les ressources dont a impérativement besoin l'industrie planétaire, va accélérer la destruction d'équilibres écologiques et sociaux aussi fragiles que précieux, et peser plus lourdement encore sur les régions -et leurs habitants- qui ne sont pas encore entrées dans le moule.

Mais que sont ces considérations, quand les sondages au beau fixe donnent raison à l'ouvrier Lula ?

Pour de plus amples informations, en tout cas, on peut consulter le très bon site du « Programme des Amériques » (en espagnol, portugais et anglais) http://www.cipamericas.org/es

On peut également aller voir le film de Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global (en français cette fois), dans lequel une charmante vieille agronome brésilienne -sympathisante du Mouvement des Sans Terre- ne mâche pas ses mots : « il est fou », dit-elle simplement, à propos de Lula.

Octobre 2010 - Jean-Pierre Petit-Gras

1L'ALCA, projet d'établissement d'une zone de libre-échange des Amériques (dont les sigles sont en français ZLEA, et FTAA en anglais) pilotée par les USA, semble en effet au point mort. En revanche, le Brésil soutient la reconstruction du Mercosur (ou Mercosul), et même, dans une certaine mesure les projets lancés par le président Chávez, en alliance avec le gouvernement cubain et celui d'Evo Morales (l'ALBA).

2Selon le sociologue Rudá Ricci, celle-ci est passée de 37 à 50% de la population totale, et représente aujourd'hui plus de 90 millions d'individus, qui peuvent, selon Ricci -cité par le journaliste uruguayen Raúl Zibechi dans un récent article, « s'acheter des écrans plasma, des billets d'avion, des voitures et bien d'autres marchandises, y compris leur propre logement ».

3Avec ceux de l'or et de l'argent, divers « cycles » ont alimenté les exportations coloniales vers l'Espagne et le Portugal, puis vers le nord de l'Europe. Il s'agissait de bois précieux, canne à sucre, tabac, cacao, coton, indigo, cochenille, café, puis, avec la révolution industrielle, du caoutchouc, étain, cuivre, salpêtre et guano, etc. Pierre Vilar, dans l' Histoire de l'Espagne, souligne qu'à peine débarquées des galions à Sanlúcar de Barrameda, près de Séville, ces marchandises ou leur équivalent monétaire étaient récupérées par les banquiers allemands ou hollandais, qui profitaient ainsi de l'endettement de Charles Quint, Philippe II et leurs successeurs, empêtrés dans leurs interminables guerres contre l'Islam et le Protestantisme.

4Un soja OGM « roundup ready », qui permet l'épandage massif de glyphosate, lequel élimine massivement la biodiversité et rend les « paysans » étroitement dépendants de firmes comme Monsanto.

5L' Institut national d'études socio-économiques, dont le siège est à Brasilia. (www.inesc.org.br)

6En violation flagrante, une fois de plus, de la Convention 169 de l'OIT.

7Petrobrás est devenue la seconde compagnie pétrolière au monde, juste après Exxon.

8http://portalexame.abril.com.br/mercados/noticias/detail/lula-vai-bovespa-acompanhar-capitalizacao-petrobras-1270842.shtml

9Et en premier lieu en Europe, où tout à commencé...

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