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Billet de blog 18 novembre 2009

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La communalité et le dialogue culturel : instrument conceptuel et pratique de la résistance des peuples indiens du Mexique, un texte de Carlos Manzo

Atenco

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je vais décrire une partie de l'expérience communaliste,
personnelle et collective, qui a commencé avec Juan José Rendón, Vicente
Marcial et Manuel Ballesteros, entre autres, en 1992, dans la Maison de la
culture de Juchitán (2), dirigée alors par Vicente ; je compte aussi
préciser quelques avancées qui, à partir de la pensée indigène
antisystémique, sont en discussion au sujet des différentes perceptions et
interprétations de la communalité, la communalité étant un concept forgé à
partir de la résistance indigène au Mexique durant ces vingt dernières
années. Nous avions mis en place dans la Maison de la culture de Juchitán
– Lidxi Guendabiaani – un programme d'alphabétisation pour adultes dans
notre langue maternelle, le diidxazá, la langue des binnizá, plus connue
dans la littérature anthropologique traditionnelle comme le zapotèque.
Nous nous sommes ainsi rendu compte que le processus d'alphabétisation
dans notre langue a consisté à nous alphabétiser culturellement après un
cursus académique de dix ou douze ans dans différentes universités du
pays. C'était comme un voile, qu'il a fallu déchirer pour nous voir d'un
autre point de vue, le point de vue qui nous est propre, le binnizá, le
point de vue communaliste.
Le dialogue culturel fut l'instrument utilisé, dès ses premières
applications, pour définir le contenu des textes d'alphabétisation et pour
mettre en pratique l'alphabétisation elle-même. Cette pratique éducative
s'est réalisée parmi les communautés binnizá et ajuts (3) hors du circuit
institutionnel, démontrant ainsi la possibilité de travailler de manière
autonome dans des processus de résistance culturel, ce qui, dans ce cas,
permettait le renforcement des langues indigènes dans le sud du Mexique,
plus précisément dans la région de l'isthme de Tehuantepec.
La région de l'isthme de Tehuantepec, dans l'État d'Oaxaca, avait déjà
connu un bain de sang caractéristique de la guerre sale suite à la
répression de l'État contre les mouvements indigènes et paysans
postérieurs au "partage des eaux" historique de 1968. L'Oaxaca et le
Guerrero furent les États les plus affectés par la militarisation, la
répression et le démantèlement des mouvements de guérilla, sans oublier
l'assassinat de certains de leurs leaders, comme ce fut le cas pour Lucio
Cabañas. Le contexte, alors peu encourageant, ne permettait même pas
d'envisager la moindre possibilité de reconnaissance et de respect des
droits des peuples indigènes du Mexique. D'ailleurs, ce contexte, toutes
proportions gardées, prévaut encore de nos jours.
L'alphabétisation en langue binnizá, la promotion et la préservation de la
culture indigène étaient les principales activités que nous réalisions
dans la région binnizá-ayuuk, en plus de quelques projets en relation avec
le sauvetage des technologies traditionnelles. C'est à ce moment-là que,
dans le Sud-Est mexicain, le soulèvement zapatiste a éclaté comme une
rafale qui aurait irradié, pour la confondre, la société politique
nationale, toujours dans l'erreur à l'heure actuelle. Autrement dit, en
bouleversant la mentalité politique du moment et, indépendamment de son
impact médiatique national et international, le soulèvement eut surtout un
impact important sur ce que nous pourrions appeler la conscience politique
indigène nationale. La référence vient à bon escient du fait que, vu avec
un certain recul, le néozapatisme a rendu possible un premier et véritable
dialogue national où les droits et la culture indigènes figuraient comme
premier point à traiter dans le calendrier du dialogue national, qui,
malheureusement s'est vu interrompu en août 1996, quelques mois à peine
après la signature de premiers accords historiques, les Accords de San
Andrés.
Un grand nombre de communalistes, de promoteurs de l'autonomie issus d'un
mouvement indigène national éparpillé dans le pays (nous avons noté une
présence importante des communalistes d'Oaxaca) ont assisté comme nous aux
"tables de dialogue et de négociation pour une paix dans la justice et
dans la dignité (4)" comme assesseurs et/ou invités. Jusqu'alors chacun
dans sa région et à sa manière impulsait un processus d'autonomie, qui se
fondait essentiellement sur le renforcement de la communalité. Des
dirigeants, des penseurs et des intellectuels d'Oaxaca comme Joel Aquino,
Jaime Martinez, Adelfo Regino, Manuel Ballesteros, Vicente Marcial, et
Juan José Rendón lui-même sont arrivés avec moi dans la froide Jobel (5)
pour participer comme invités ou assesseurs à la première phase du
dialogue, celle concernant les Droits et la Culture indigènes, le premier
des cinq thèmes qui composaient le calendrier de l'inachevé dialogue
national.
Ainsi, durant ces dernières décennies, en relation avec le discours et la
pratique néozapatiste, dans une permanente tentative pour ne pas succomber
au discours politique traditionnel d'une gauche en crise, et à partir du
mouvement indigène national lui-même, la communalité a été considérée
comme quelque chose de plus qu'un système de relations à l'intérieur des
communautés et entre les communautés. Elle est inhérente à l'existence et
à la spiritualité des peuples indigènes, caractérisées par la réciprocité,
la collectivité, les liens de parenté, les loyautés primordiales, la
solidarité, l'aide mutuelle, le tequio (6), l'assemblée, le consensus, la
communication, l'horizontalité, l'autosuffisance, la défense du
territoire, l'autonomie et le respect de la terre mère ; tout bien
considéré, nous pourrions conclure que la communalité en tant que
processus historique est la synthèse de la résistance indienne contre le
néolibéralisme. Pour Juan José Rendón Monzón, la communalité peut être
conçue en termes très généraux comme "le mode de vie des peuples indiens
(7)".
Les peuples indiens qui résistent actuellement au Mexique testent des
formes de vie autonome (8) réellement opposées au système capitaliste, ce
qui ne s'était peut-être pas produit au cours des désormais classiques
cinq derniers siècles de l'histoire de la domination coloniale, ou si l'on
veut de "modernité coloniale" et, nous ajouterons, néocoloniale (9). Par
le terme de néocolonialisme, je me réfère précisément au processus
économique de domination et de dépossession engagée par les entreprises
transnationales, comme toujours avec la complicité des États néolibéraux
(10) ; dans le cas de l'Amérique latine nous pouvons citer les pays
suivants comme théâtre des opérations de la complicité décrite plus haut :
Mexique, Guatemala, Honduras, Salvador, Nicaragua, Panama, Équateur,
Chili, Argentine, Costa Rica, Brésil et Colombie.
Au Mexique existe désormais tout un courant de pensée à l'intérieur du
mouvement indigène national que nous pourrions qualifier de communaliste ;
plus que d'une posture idéologique, nous parlons d'une politique qui se
fonde sur la défense de ce qui est communal et/ou de la communalité en
tant que mode de vie des peuples indiens. Probablement, l'antécédent
public, ou civique, le plus immédiatement reconnu dans l'histoire récente
de notre pays et qui s'est inspiré de ce courant, se trouve être
précisément la pensée et l'action des frères Flores Magón, originaires
d'Oaxaca, dont la pratique politique originale s'est nourrie de
l'expérience partagée de l'être collectif communal indigène dans les
régions mixtèque et mazatèque de l'État d'Oaxaca. Ce courant a été
renforcé des multiples idées et propositions anarchistes qui, dès la
seconde moitié du XVIIIe siècle, traversaient l'océan, en aller et retour,
du "vieux" au "nouveau" monde pour connaître, dans la seconde moitié du
XIXe siècle, une certaine réceptivité dans quelques cercles de lecteurs et
d'imprimeurs mexicains. La communalité agraire zapatiste au début du XXe
siècle, ainsi que les dernières expressions du néozapatisme, font partie de
l'histoire de ce courant de pensée anticapitaliste.
Actuellement, l'apparition d'un nouveau discours anti-néocolonialiste,
anti-néolibéral, anticapitaliste et/ou antisystémique, absent dans les
milieux académiques officiels, sauf exceptions, s'appuie sur une vision
propre aux peuples indiens, qui est la vision communaliste, comme c'est le
cas au Mexique dans la pratique et le discours du dénommé Congrès national
indigène (11).
Dans la pratique, la résistance au néocolonialisme s'est exprimée
principalement dans l'exercice du droit à la libre détermination et à
l'autonomie à travers la création ou la recréation de formes
d'autogouvernement comme les assemblées agraires communautaires,
communales ou ejidales (12), et les caracoles et les "conseils de bon
gouvernement" zapatistes.
Toujours insérés dans le concert diachronique et diatonique du
système-monde colonial capitaliste depuis le XVIe siècle, les peuples
indigènes du Mexique et d'Abya Yala (13) ont expérimenté et reproduit au
cours de l'histoire le mode de vie communal, c'est-à-dire la communalité,
comme une expression parfois abrupte et violente, parfois taciturne,
quotidienne et tue, de la résistance indigène. Aujourd'hui, dans le
contexte de la crise la plus aiguë que le capitalisme ait connue, non
seulement comme système historique, mais comme modèle civilisateur, la
communalité est amenée à s'affronter aux entreprises transnationales
voraces, intéressées par le dépouillement et l'usufruit capitaliste de nos
territoires comprenant le "patrimoine bio culturel (14)" et les ressources
matérielles et naturelles, qui, durant des millénaires, ont alimenté notre
être comme madre-naturaleza-humano-pueblo (15)
(Mère-Nature-Humain-Peuple).
Une certaine tendance anthropologique interprète et associe, quasi
indistinctement, la communalité avec la communauté et avec le
communautaire ; cette perception est erronée vu que la communalité en tant
que système de relations de diverses natures exprimées dans le quotidien
des peuples déborde ces définitions spécifiques. Toute interprétation qui
prétend associer la communalité à la communauté considérée comme son
espace d'existence par excellence (les espaces, communautaire ou/et
régional, où s'exercerait le doit à l'autonomie des peuples indigènes sont
encore en discussion) enlève de la consistance et de la portée à la
communalité en tant que concept englobant tout un système de relations,
qui, en tant que processus historique, déborde n'importe quelle limite ou
espace, même régional.
La communalité et le dialogue culturel sont à la fois des concepts et des
expériences, ce qui signifie qu'ils ne sont pas des concepts dans le sens
traditionnel, ils ne sont pas une abstraction de "la réalité concrète"
dans ce cas, de la réalité des peuples indigènes du Mexique ; ils ne sont
pas non plus le résultat d'un processus historique, ils sont un processus
historique en eux-mêmes, ils sont des moyens qui peuvent nous aider à
comprendre et à systématiser le processus historique de la résistance des
peuples indiens, traditionnellement connue comme la résistance indigène,
aussi bien au Mexique qu'en Abya Yala.
Dans le cas d'Oaxaca et du Mexique, il existe plusieurs sources
interprétatives de la communalité, un bref passage en revue de celles-ci
nous amène à en retenir deux, la Ayuuk-Binnizá, ou celle de la sierra, et
la Ayuuk-Binnizá-Zoque-Ikoot-Chontal, ou celle de l'Isthme. Il est
intéressant de relever que, dans le cas Ayuuk-Binnizá de l'Isthme, la
communalité en tant que concept a été dépassée par toute une réflexion,
qui, en langue indigène, l'a présentée comme un ensemble de relations
généralement antisystémiques, avec plusieurs dimensions dans la perception
de l'être social, c'est ce que montre la réflexion présentée dans le
Wejën-Kajën (16).
*
La communalité et le mouvement indigène national
Dans l'histoire récente du mouvement indigène national au Mexique, le
renforcement de la communalité se veut une pratique politique antilibérale
et, de ce fait, antisystémique et anticapitaliste. Les cas les plus
récents de défense du territoire communal des peuples Wixarika en Tuapurie
(17) et du peuple nahua à Xayakalán, cette dernière faisant ressortir
l'exercice d'autodéfense comme l'exercice du droit à la libre
détermination, mettent en évidence la mise à sac néocoloniale de nos
territoires sous l'égide des entreprises transnationales. L'appel à la
reconnaissance de la communalité territoriale oblige les États néolibéraux
à se fermer devant la nécessité d'une reconnaissance de fait de la
communalité territoriale des peuples.
Récemment, le Congrès national indigène a tenu sa deuxième assemblée
extraordinaire à Xayakalán, Ostula, Michoacán, malgré le contexte de
surmilitarisation de la zone. En plus d'exiger le respect de nos droits à
l'autodéfense, nous, les Indiens ainsi réunis, avons déclaré : "Pour nous
la résistance est l'autre politique, c'est le renforcement de la
communalité, de l'autonomie, de la pensée et du sentiment d'identité de
notre être indigène, c'est notre alternative historique, c'est le chemin
qui nous reste, le résultat de notre histoire, résister, c'est nous
conserver, nous protéger, demeurer, parler nos langues, prendre soin de
nos enfants, de nos maïs, garder notre manière d'enseigner, notre façon de
guérir, notre Terre Mère, c'est cette autre politique que nous devons
rechercher ensemble, Mexicains et Mexicaines indigènes ou non indigènes
honnêtes, afin que demeurent l'être et l'esprit de nos peuples (18)."
La citation qui précède caractérise la résistance des peuples indigènes du
Mexique, elle est le résultat d'un travail de dialogue entre les indigènes
des différentes régions du pays, depuis le Rarámuri et le Yaqui du Nord
jusqu'au Cuicatèque, Triqui et Binnizá au Sud, elle montre comment
aujourd'hui nous continuons à vivre dans des communautés et des quartiers,
non sans une interminable vague d'agressions due à cette époque violente.
Le néolibéralisme frappe désormais à la porte de nos bois, de notre eau,
de notre air et de nos montagnes. Le CNI, appelé aussi "la maison de tous
les peuples indiens du Mexique", recherche le dialogue avec les autres
acteurs antisystémiques dans la société mexicaine, avec une nouvelle
proposition organisationnelle qui s'inspire de la communalité indigène. La
déclaration de Xayakalán l'exprime en ces termes :
"Notre manière d'être en communauté représente une autre forme de
gouvernement dont nous devons nous inspirer et que nous devons mettre en
pratique dans notre Congrès national indigène, la maison de tous les
peuples indiens du Mexique, nous réaffirmons notre pratique et nos
principes comme étant ceux qui doivent orienter la nouvelle politique
anticapitaliste de tous les Mexicains en bas et à gauche :
Obéir et non commander
Descendre et non monter
Représenter et non supplanter
Proposer et non imposer
Convaincre et non vaincre
Construire et non détruire
Servir et non se servir."
Cet ensemble de propositions émane à l'origine du premier Forum national
indigène et avait pour fin d'orienter l'action, qui devait déboucher sur
l'installation du premier Congrès national indigène. Ces propositions,
approuvées et mises en pratique par le CNI, constituent le principe de
base appliqué par le néozapatisme pour définir une autre politique dans le
cadre de "l'Autre campagne".
Dans ce contexte historique des nouvelles définitions politiques provenant
du mouvement indigène mexicain, à l'expérience de la communalité
binnizá-ayuuk de l'isthme correspond l'exercice de systématisation de la
culture à travers la réalisation des ateliers de dialogue culturel, comme
nous le verrons tout de suite.
*
Définition, importance et signification de l'Atelier de dialogue culturel
L'Atelier de dialogue culturel a été envisagé, pour paraphraser Juan José
Rendón, comme une méthode participative pour étudier, diagnostiquer et
renforcer les cultures de nos peuples ; c'est une méthode élaborée afin de
"reconnaître les aspects fondamentaux des cultures indiennes,
diagnostiquer leur état de conservation, changement ou perte, afin de
proposer des actions permettant leur récupération et leur développement
(19)" elle se propose aussi d'être "un instrument utile pour des
personnes, des groupes, des organisations et des communautés indigènes
ainsi que pour toutes personnes engagées dans la lutte de libération des
secteurs sociaux produisant ou reproduisant les cultures populaires et
indigènes du Mexique et du monde (20)."
En ce qui concerne le Mexique, et la vaste et large géographie
multinationale de ses peuples indigènes, de 1991 à maintenant, des
ateliers de dialogue culturel ont été réalisés avec les communautés des
peuples suivants : Ayuuk, Binnizá, Nahua, Ñhañhu, Wixárika, Zoque, Ikoot,
Ñuntaj+iy.
Le renforcement de différents éléments et espaces de la communalité, comme
c'est le cas pour la langue et la défense du territoire, est le résultat
des ateliers de dialogue culturel. Plus précisément, les ateliers de
dialogue culturel peuvent être considérés comme une pratique éducative
émancipatrice dans le sens que lui donne Freire. En termes plus généraux,
la pratique des ateliers consiste en ceci :
1. Présentation générale des participants, des intérêts et des objectifs,
de quelques concepts, suivie d'une explication sur le système intégral de
la culture et d'une définition du programme général de l'atelier en accord
avec les intérêts et les objectifs des participants.
2. Identification des éléments culturels, éléments fondamentaux, éléments
complémentaires et éléments auxiliaires, indispensables à la reproduction
du mode de vie communal.
3. Diagnostic ou situation dans laquelle se trouvent les éléments
culturels identifiés au cours de l'étape précédente.
4. Intégration et définition d'un plan d'action afin de récupérer et de
renforcer la communalité.
5. Évaluation de l'atelier de dialogue culturel.
Dans une première approche et afin de donner une explication de
l'intégralité d'un système culturel, Juan José Rendón a présenté au début
des années 1990 un schéma appelé "la fleur communale".
Cette schématisation, qui reflète les préoccupations éducatives de Juan
José Rendón, s'est alimentée essentiellement de l'expérience du dialogue
avec les communautés des peuples que nous avons énumérés. Pour les cas
ayuuk et binnizá, par exemple, la spécialisation de l'atelier de dialogue
en programmes d'alphabétisation en langue indienne donnait des résultats
concrets dès 1992, même si dans le cas de la langue diidxazá, une certaine
tradition d'écriture et de lecture existait déjà, pour le moins depuis la
première moitié du XXe siècle.
Dans le cas de la "République des Indiens d'Ayotitlán (21)", la
réalisation de l'atelier de dialogue culturel a permis la récupération
d'un modèle politique communautaire, celui du Conseil des anciens
d'Ayotitlán, qui, aujourd'hui, représente l'autorité réelle, dans un
contexte éloigné du schéma traditionnel de la représentation par partis.
Actuellement la base sociale rassemblée autour du Conseil des anciens
d'Ayotitlán a renforcé la présence du Comisariado (22) agraire d'Ayotitlán
dans le conflit qui oppose les habitants, comme beaucoup de peuples au
Mexique, à l'entreprise minière transnationale "Peña Colorada".
Sous forme de réquisitoire
Les possibilités d'articulation et de renforcement de l'autonomie et de la
communalité indigène au Mexique par le biais du dialogue culturel
s'affrontent aujourd'hui à deux facteurs adverses : en premier lieu la
confiscation des terres, des territoires, du patrimoine bioculturel par
les entreprises transnationales, et, en second lieu, la répression
permanente des mouvements sociaux indépendants. Dans ce sens, le climat de
répression qu'a connu le mouvement social et indigène dans l'État d'Oaxaca
ces dernières décennies, incontestablement en augmentation avec l'actuel
"non-gouverneur" Ulises Ruiz Ortiz, a permis une grave extension de
l'impunité pour les crimes d'État. Cette répression s'est traduite par des
centaines de prisonniers, de gens poursuivis, de gens qui ont dû s'exiler,
des assassinats comme ce fut le cas pour Brad Will. Il fut assassiné par
les sbires d'URO en octobre 2006 et maintenant les procureurs au niveau de
l'État et au niveau fédéral se servent de ce cas pour incriminer
injustement des "lutteurs" sociaux d'Oaxaca et en particulier des membres
du Conseil indigène populaire d'Oaxaca, Ricardo Flores Magón (CIPO-RFM)
(23). Un autre exemple significatif est l'exil au Canada du professeur et
dirigeant mixtèque Raúl Gatica Bautista, vis-à-vis duquel le gouvernement
mexicain a fait montre d'une totale incapacité à lui garantir les
conditions minimum de sécurité pour son retour. Quand une communauté, un
collectif ou une organisation sont victimes de la répression et commencent
à compter dans leurs rangs des gens assassinés, blessés, prisonniers, ou
exilés et disparus, l'élan initial impulsant le processus d'autonomie
retombe, et l'État néolibéral le sait bien ; pour cette raison les hommes
d'État ont appliqué la même recette répressive à l'UNAM, à Atenco et à
Oaxaca, avec le même appareil policier comprenant des militaires habillés
en policiers, la PFP (24). Le Chiapas constitue un cas à part où c'est
avec les deux tiers des forces de l'armée fédérale, auxquelles s'ajoutent
les polices fédérales, les polices de l'État et les paramilitaires, qu'ils
prétendent bloquer et empêcher la libre création des processus d'autonomie
dans les communautés zapatistes.
C'est pour cette raison que nous considérons que le renforcement de la
résistance anticapitaliste et antisystémique au Mexique passe
nécessairement par l'exigence de la libération de tous et de toutes les
prisonniers et prisonnières politiques du pays, et en particulier des
douze prisonniers politiques d'Atenco vis-à-vis desquels la PGJ a émis
d'une manière aberrante des sentences de plus de cent années de prison
pour des "lutteurs" sociaux comme c'est le cas pour Ignacio del Valle.
Conclusions
La communalité et le dialogue culturel constituent une pratique politique
émancipatrice que les peuples indiens du Mexique proposent comme
alternative au mode de vie occidental actuellement en crise. Le
renforcement de la culture propre aux peuples, surtout en ce qui concerne
la reconnaissance et la défense de la territorialité communale, implique
le renforcement de la résistance indienne.
Comme nous l'avons signalé récemment (25), la communalité dans ce sens et
en opposition à la vision colonialiste, est un regard indien ; c'est une
vision ayant comme arrière fond une logique propre basée sur sa
culture, laquelle, à son tour, se présente comme une culture de la résistance
et doit être valorisée.
Du point de vue de la communalité, les peuples indiens partagent la
culture du maïs. Pour les peuples indiens, se dire "peuples du maïs" n'est
pas une simple construction poétique ; nous attirons l'attention sur
l'importance primordiale de cet élément dans le quotidien et dans la
spiritualité millénaire des peuples et des communautés, ainsi que sur la
richesse bioculturelle qu'il représente pour l'humanité. Aujourd'hui,
cette richesse se trouve menacée sur plusieurs fronts par la légalisation
inconsidérée des cultures de maïs transgénique au stade de
l'expérimentation, ce qui constitue une des plus graves menaces, jamais
vues depuis plus de cinq siècles de résistance, pour notre culture, là où
elle existe encore.
La communalité trouve, parmi ses antécédents, un ensemble d'expressions
historiques et culturelles dans le contexte des peuples indigènes d'Oaxaca
au cours de ces vingt dernières années. Cette expérience a eu parmi ses
principaux promoteurs Juan José Rendón Monzón qui, pendant plus de trente
ans, a parcouru et vécu dans les communautés binnizá et ayuuk, où il a
réalisé à travers les ateliers de dialogue culturel un important exercice
de systématisation d'un grand nombre d'éléments constitutifs des cultures
indigènes. Il a pu faire la synthèse de cette expérience dans ce qu'il a
appelé "système intégral de la culture", qui trouve son expression
illustrée avec la Fleur communale.
La communalité a été historiquement un des noyaux de résistance au
processus de domination, sous sa forme coloniale durant cinq siècles et
actuellement sous sa forme néocoloniale ; elle a dû s'affronter à deux
formes de domination : le racisme ou la discrimination, et le patriarcat.
Nous reconnaissons les peuples indiens, indigènes ou originaires comme une
société construite sur une éthique des relations entre leurs membres ; sur
le plan épistémologique, nous utilisons le concept de peuples indiens, ou
indigènes, en considérant ces peuples comme sujets de droit, en opposition
avec la vision occidentale, qui considère passivement les communautés
comme des "objets d'étude", sans leur reconnaître la capacité de faire des
propositions dans un processus historique spécifique. Dans ce sens, au
Mexique, nous, les peuples indiens, sommes sujets de processus historiques
émancipateurs, avec une voix propre et des propositions, qui, en général,
ont été ignorées du fait du modèle de domination sur le terrain éducatif
et de la pensée dans les espaces publics de décision, et même de
discussion politique et académique.
Ce qui vient d'être exposé a son opportunité : il est nécessaire de
construire une relation de respect et de reconnaissance envers les peuples
indiens, c'est la condition minimum de l'effort appelé à unir les luttes
des autres secteurs des mouvements sociaux et populaires des différentes
sociétés nationales d'Abya Yala. Dans le milieu académique, cette
reconnaissance est également nécessaire tant en anthropologie que dans les
sciences sociales si l'on veut éviter de réifier les peuples en usant de
termes tels que "groupes ethniques".
Aujourd'hui, résultat d'un processus historique de longue durée, les
peuples en sont venus à mettre en avant la nécessité du respect et de la
reconnaissance de leur autonomie, non dans le sens d'une fermeture au
reste de la société (par des formes socialement ségrégatives), mais dans
celui d'une revendication de leur existence en tant qu'ensemble d'éléments
matériels et immatériels, avec leurs territoires et leur cosmovision.
Enfin, pour nous, communalistes mexicains, il est important et
significatif de reconnaître que c'est ici que se présente pour la première
fois la communalité comme une proposition pour le monde dans cette
rencontre du huitième atelier sur les paradigmes émancipateurs, chez un
peuple qui devient un exemple, un phare de lumière et de dignité pour
l'Amérique latine dans sa résistance à l'impérialisme et au
néocolonialisme.
Merci beaucoup.
La Havane, Cuba, le 3 septembre 2009.
--
(1) Communication présentée à la table IV : éléments antisystémiques des
luttes des peuples, nationalités et mouvements indigènes. Les alternatives
du bien vivre et la plurinationalité, d'un atelier sur les paradigmes
émancipateurs qui a eu lieu à La Havane, Cuba, du 2 au 5 septembre 2009.
(2) Née d'une inquiétude, originalement autonome, la Maison de la culture
de Juchitán représente, depuis sa fondation en 1972, un point d'eau
culturel de ce qui est notre, le binnizá, aussi bien en ce qui concerne la
littérature, textes anciens, création et diffusion, qu'en ce qui concerne
la théâtralité politique en ces temps critiques du Mexique. Littérature,
politique, histoire, peinture et tous les autres arts ont eu comme centre
de promotion et de diffusion la Maison de la culture de Juchitán pendant
toutes ces années.
(3) Les Binnizá et les Ajuuk sont plus connus dans la littérature
anthropologique comme Zapotèques et comme Mixes.
(4) Qui se sont tenues, non sans interruption d'avril à août 1995 entre
les représentants, assesseurs et invités de l'EZLN et ceux du gouvernement
fédéral et de celui du Chiapas.
(5) Plus connue comme San Cristóbal de las Casas, Chiapas.
(6) Le tequio, travail commun (Ndt).
(7) Rendón Monzón, Juan José, La Comunalidad modo de vida en los pueblos
indios, ed. CONACULTA, México, 2003.
(8) Indépendamment du fait que le 1er janvier 1994 fait date dans cet
ensemble de résistances antisystémiques, nous ne pouvons ignorer des
expériences antérieures qui mettaient en pratique des propositions
nouvelle de résistance culturelle, comme c'était le cas du premier
programme d'alphabétisation des adultes en diidxazá à Juchitán, Oaxaca,
précisément à partir des projets communautaires de la "Maison de la
culture".
(9) Il convient de distinguer entre un néocolonialisme que nous pourrions
appeler impérialiste, qui a été bien caractérisé par Urquidi, Gonzalez
Casanova, entre autres, dans les années 1970, et le néocolonialisme
néolibéral, celui que nous subissons ces dernières décennies, et qui se
trouve entre les mains des entreprises transnationales néolibérales.
(10) Mentionnons quelques-unes de ces entreprises transnationales qui
opèrent aujourd'hui dans le Sud-Est mexicain et plus précisément dans
l'isthme de Tehuantepec, il s'agit des entreprises espagnoles Gamesa,
Iberdrola, Preneal, Endesa, Eurus.
(11) Le Congrès national indigène tire son origine des tables de dialogue
national dont nous avons parlé : suite à la proposition de convoquer au
premier Forum national indigène, qui s'est réalisé en janvier 1996, s'est
tenu en octobre la première session du Congrès national indigène dans les
installations du Centre de national de médecine, avec la participation de
la commandante Ramona, qui représentait l'EZLN.
(12) Les terres dites ejidales sont des terres nationales rendues ou
données à une collectivité par résolution présidentielle, cette pratique a
pris fin en 1992 (Ndt).
(13) Abya Yala, nom donné par les autochtones au continent américain (Ndt).
(14) J'utilise l'expression "patrimoine bioculturel des peuples indiens"
dans le sens exprimé par le titre du livre récent de Eckart Boege.
(15) Cet ensemble conceptuel prétend arriver à une signification qui dilue
la perception anthropocentrique et homolytique de l'explication des
processus depuis les sciences sociales. Je reprends la traduction de la
langue ajuuk de kajpjääyäjtën par laquelle se réalise l'unité des concepts
Wejën Kajen (Éveiller, Dénouer NDT) (Vargas, 2008, 167).
(16) L'ouvrage cité est sous-titré : les dimensions de la pensée et genèse
de la connaissance communale.
(17) Où s'est tenue la XXIIIe réunion du CNI, région Centre Pacifique, et
où se trouve suspendue jusqu'à maintenant, la construction de la route
touristique qui devait traverser les territoires indiens.
(18) Déclaration de Xayakalan, document de la deuxième assemblée
extraordinaire du CNI, le 7, 8 et 9 août 2009.
(19) Cf. Rendón (2004).
(20) Ibid., P. 12.
(21) Nom donné à l'époque coloniale au peuple indigène d'Ayotitlán,
municipe de Cuautitlán, au sud de Jalisco, Mexique.
(22) Comisariado, conseil représentant l'assemblée agraire (Ndt).
(23) Comme le montre l'injuste poursuite judiciaire à l'encontre de Miguel
Cruz Moreno.
(24) PFP, Police fédérale préventive ; UNAM, Université nationale autonome
de Mexico (Ndt).
(25) Je me réfère au cours, qui, sous l'intitulé Communalité et dialogue
culturel, se donne actuellement à l'École nationale d'anthropologie et
d'histoire (ENAH).

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