Natalia Taubina est de ces personnalités que les autorités russes ne parviennent pas à faire taire. De ces personnalités qui, face à un pouvoir de plus en plus répressif, face à une situation des droits humains qui ne cesse de se détériorer, continuent à défendre la dignité humaine et cherchent à faire entendre les voix des victimes de torture. Natalia dirige Public Verdict, une ONG phare dans la lutte contre la torture et les violences policières en Russie.
La plupart des affaires dont Natalia s’occupe se ressemblent tristement : un homme est arrêté et emmené au poste de police, où il est torturé. Coups, passage à tabac, électrochocs, étouffement… C’est la méthode récurrente de la police pour extorquer des aveux et boucler une affaire. D’autres fois, il n’y a aucun motif, c’est une simple démonstration d’arbitraire et d’abus de pouvoir.
L'usage de la torture est systémique au sein de la police en Russie et les tortionnaires ne sont généralement pas inquiétés. Sauf quand des associations comme Public Verdict mènent un travail acharné pour que les victimes obtiennent justice. Face à l’inaction de la police et de la justice, Natalia Taubina a mis en place une équipe qui mène de véritables enquêtes, recueille des témoignages et des éléments de preuve, porte plainte et multiplie les recours jusqu’à obtenir l’ouverture d’une enquête judiciaire puis la condamnation du tortionnaire. Depuis dix ans, plus de cinq cent affaires ont ainsi été portées en justice par Public Verdict et plus d’une centaine de membres des forces de l’ordre ont été condamnés pour torture.
Natalia est aujourd’hui l'une des porte-paroles de la société civile s’opposant à la dure répression à l'oeuvre depuis le retour de Vladimir Poutine à la présidence en 2012, dénonçant les atteintes aux droits de l’homme, les restrictions aux activités de la société civile et des ONG, exposant au grand public les abus dont sont victimes les manifestants qui ont été incarcérés.
Mais ce travail finit par gêner et les autorités veulent aujourd’hui fermer Public Verdict. L’ONG se bat actuellement devant les tribunaux. Il y a un an, la Douma a adopté une loi visant à entraver l'action de la société civile : toute organisation recevant un financement de l’étranger et engagée dans « une activité politique » doit s’enregistrer comme « agent de l’étranger ». Un terme univoque en Russie, synonyme d’espion ou de traître à la patrie. Une loi tellement vague que toute activité d’intérêt public peut être visée.
C’est évident pour les personnes qui viennent chercher notre aide, que notre travail est dans leur intérêt et celui du pays dans son ensemble. Le procureur, cependant, estime que nos activités sont politiques. Selon lui, tenter d’éradiquer la torture et garantir le droit à un procès équitable en Russie serait dans l’intérêt des étrangers mais non des Russes. Nous refusons cette approche complètement absurde et nous ne nous enregistrerons pas sous une étiquette fausse et infamante. Aussi longtemps que nous verrons des gens qui ont besoin de notre aide, nous continuerons à nous battre pour mener ce travail contre la torture et pour la justice.
Natalia Taubina sera devant le tribunal le 4 février prochain, soit quelques jours avant l’ouverture des Jeux olympiques de Sotchi. Cette fois, c’est elle qui attaque en justice la légalité de la procédure subie par son ONG. Elle espère que la pression de la communauté internationale continuera au-delà des JO afin que les organisations de défense des droits de l’homme continuent à travailler librement en Russie.
L’ACAT et Public Verdict viennent de publier un rapport édifiant sur la pratique de la torture en Russie "Les multiples visages de la torture, Etude du phénomène tortionnaire en Russie".
Illustration réalisée par Pierre-Alain Leboucher