Billet de blog 25 octobre 2013

bachirkerroumi

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La fabrique des discriminations dans le système de formation professionnelle

Les organismes de formation, s'ils veulent être retenus par les instances régionales, choisissent les candidats les plus susceptibles de trouver un emploi: le résultat est que ceux qui accueillent les personnes les plus défavorisées sont les moins bien financés et ne donnent accès qu’à des formations peu qualifiantes. Un système qu'il est urgent de réformer.

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Les organismes de formation, s'ils veulent être retenus par les instances régionales, choisissent les candidats les plus susceptibles de trouver un emploi: le résultat est que ceux qui accueillent les personnes les plus défavorisées sont les moins bien financés et ne donnent accès qu’à des formations peu qualifiantes. Un système qu'il est urgent de réformer.


La réforme du système de formation professionnelle de Michel Sapin est très attendue : le rapport entre la dépense « 34 milliards euros cf. cour des comptes », et le résultat du nombre de places et de niveau de qualification reste toujours préoccupant. 

D’ailleurs, l’absence de mécanisme d’évaluation des politiques de formation produit des discriminations tant vis-à-vis des individus qu’envers les structures elles-mêmes. De plus, ces discriminations sont devenues au fil du temps normales pour beaucoup d’acteurs. Et là, le danger dépasse largement la dimension économique ! 

La formation professionnelle des demandeurs d’emploi et la formation des jeunes par l’apprentissage sont des missions pleines et entières de l’Etat et des régions. Des structures, principalement associatives, dispensent les formations sous l’organisation, le financement et le contrôle des services des régions.

Dans le cahier des charges et dans la procédure d’attribution des subventions de fonctionnement, l’éligibilité est conditionnée par le résultat du placement en entreprises des stagiaires des sessions précédentes. Ce critère a pour objectif de faciliter le retour à l’emploi pour les demandeurs d’emploi et de permettre un premier contrat de travail pour les jeunes issus de la formation initiale.  

Cette politique ne prend nullement en compte les spécificités des populations à former. Aussi les organismes de formation, s'ils veulent être retenus par les instances régionales, vont choisir les candidats les plus susceptibles d’être employés par les entreprises, selon des critères discriminants.

Comme, de leur côté, les entreprises sont réputées pour la discrimination à l’embauche ou à l’évolution de carrière des personnes défavorisées socialement et politiquement, le peu de progrès obtenu dans ce domaine étant dû aux politiques volontaristes impliquant souvent des actions coercitives, on arrive à un paradoxe saisissant : en construisant les critères les plus efficaces pour lutter contre le chômage de masse, il s’est créé de façon endogène une croissance exponentielle du chômage dans une grande partie de la population. 

Ainsi, les structures de formation accueillant les personnes les plus défavorisées sont, dans ce système, celles qui sont les moins bien financées et qui ne donnent accès qu’à des formations peu qualifiantes, alors que les formations destinées aux personnes diplômées du supérieur bénéficient, elles, de financements plus adaptés. 

Lors de leur recherche d’emploi et malgré les pénuries de main d’œuvre, la compétitivité professionnelle et technique des populations défavorisées n’est donc pas suffisante. 

Certes, les entreprises ont une lourde responsabilité dans cet état de fait. Cependant, les responsables politiques et leurs administrations, dans leur souci de rendre leur politique apparemment efficace, loin de favoriser l’inclusion professionnelle, avalisent les comportements discriminatoires des entreprises, ajoutant la discrimination à la formation professionnelle aux autres discriminations existantes dans notre société.  

L’apprentissage : une solution à moderniser 

Mais il n’y a pas de fatalité dans ce domaine et, en tenant compte du contexte français de la formation des jeunes, les Centres de formation des apprentis (CFA) constituent une véritable seconde chance de formation pour ces derniers, voire une voie prestigieuse quant il s’agit de filière d’ingénieur. Or, les effets de mode ont tendance à détourner les responsables politiques vers un « faux nouveau concept » d’école de la 2e chance.

Il est urgent de recadrer les actions politiques par rapport à cette dérive en développant en profondeur les capacités des CFA. Ainsi nous répondrons d’une part aux préoccupations des jeunes pour un vrai parcours avec une perspective de carrière et, d’autre part, aux besoins de main-d’œuvre des entreprises, notamment dans les secteurs à haute valeur ajoutée.

Notre pays dispose actuellement de CFA accueillant 421 000 apprentis, alors que le chômage de nos jeunes peu qualifiés atteint les 30%. Pour exemple, l’Allemagne forme 1 500 000 apprentis par an. 

Il est à noter que, malgré l’effort continu de certaines régions pour augmenter le nombre de places d’apprentis, la situation reste encore défavorable : insuffisance de places, manque de spécialistes en matière d’orientation, absence d’action promotionnelle pour lutter contre les discriminations dans les entreprises. De même, la recherche et l’innovation consacrées à la modernisation des formations professionnelles semblent être minorées par certains acteurs et ignorées par d’autres. Une situation alarmante : le taux d’abondant des jeunes en cours d’apprentissage s’élève à 45%.

Enfin, les statuts juridiques et les financements des CFA divergent : cela va du CFA appartenant à une chambre de commerce dans un réseau structuré jusqu’au CFA associatif isolé et sans grands moyens. Qui plus est, la cartographie des CFA en matière de répartition et de complémentarité touchant aux différents secteurs économiques de chaque région n’a jamais été pensée.

Qu’il s’agisse d’optimiser l’outil de formation ou de créer un réseau de CFA en régions, le monopole de certaines branches professionnelles maintien un statu quo, dans une opacité qui sape toute volonté de réforme. 

Bachir Kerroumi, économiste, chef de la mission des études économiques à la mairie de Paris 

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