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Longtemps « écrivain fantôme » comme elle se désigne elle-même, Andrea Marcolongo rédigeait des textes pour des entreprises ou des hommes politiques comme le démocrate-chrétien Matteo Renzi. Grande voyageuse, elle se résout à choisir un lieu pour l’habiter : Sarajevo, au cœur de l’Europe des tourmentes. Là, elle s’affirme et se définit comme écrivain. Elle écrit « La langue géniale » puis « La part du héros ».
Le grec, langue géniale
Publié d’abord en Italie le livre d’Andrea Marcolongo « La langue géniale. Neuf bonnes raisons d’aimer le grec » connaît un succès aussi immense qu’inattendu. Plus de 200.000 exemplaires vendus. Des traductions dans dix-sept langues à ce jour. Et une publication française assurée par la prestigieuse maison d’édition Les Belles Lettres. Quelles sont les raisons de ce succès ? L’autrice, helléniste âgée de trente ans, explique que cet ouvrage a d’abord eu pour objectif de répondre à un de ses élèves. Elle a ensuite été sollicitée par une éditrice. Le livre n’est ni un essai ni un manuel universitaire. Il s’adresse aussi bien à ceux qui ont étudié le grec qu’à ceux qui ne l’ont pas fait.
Andrea Marcolongo surmonte la question de l’utilité immédiate de l’étude du grec pour exprimer l’amour qu’elle a pour cette langue. Elle explique que l’adjectif geniale qui donne son titre à son livre dérive de trois langues différentes : le grec, où l’on retrouve la racine du verbe « créer » qui désigne, comme chez Aristophane, « l’esprit créateur » ; le latin, qui renvoie au genium, un petit être qui, dans la mythologie, accompagne l’homme au fil de la vie pour le rendre heureux ; et enfin le français, dans lequel génial signifie… génial !

Il ne s’agit pas pour elle de délivrer un cours magistral mais de montrer comment les Grecs voyaient le monde à travers leur langue : une sagesse. Cette tentative est menée avec un ton familier qui efface la crainte de l’apprentissage rébarbatif trop présent dans la mémoire de certains d’entre nous. Les difficultés ne sont pourtant pas escamotées. Langue synthétique, le grec exprime les idées et décrit les choses avec une grande liberté. Parfois déroutante pour nous modernes. L’ordre des mots n’est pas fixé. L’alphabet, de l’alpha à l’oméga, est différent de notre alphabet latin. Un temps indéfini, l’ « aoriste », décrit un présent qui se prolonge. Au singulier et au pluriel s’ajoute le « duel » (le couple)… L’auteure nous dit pourtant : amusez-vous. Posez toutes les questions que vous pouvez. Soyez curieux, glissez-vous sous la chape des règles grammaticales et de la peur naturelle qu’une langue ancienne impose. Oubliez l’apprentissage pour l’apprentissage…
Et on se laisse prendre au jeu. Réédité en livre de poche, « La langue géniale » est un livre bref mais très riche dans lequel on se plonge avec plaisir et curiosité. Il fait sa place à la traduction, comme art et comme source de connaissance pour ceux qui ne se plongeront pas complètement dans l’étude de la langue grecque. « La langue géniale » nous la rend tout de même familière tout en nous amenant plus loin. A la découverte de nous-même, dont la philosophie humaniste est enracinée dans cette langue et dans la pensée qui lui est intimement liée.
La part du héros
Andrea Marcolongo accompagne dans « La part du héros », également publié aux Belles Lettres et réédité en poche, Jason et les Argonautes à la recherche de la Toison d’or. Cette histoire est bien connue de tous écrivait déjà Homère au livre XII de l’Odyssée. Elle se déroule à l’époque mycénienne, avant même la guerre de Troie. Apollonios de Rhodes la racontera en détail cinq siècles plus tard dans les « Argonautiques ».

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Jason est le fils du roi d’une cité de Thessalie. Son oncle usurpe le trône, emprisonne son père et, comme condition de sa libération, soumet Jason à un défi. Conquérir la toison d’or, pelage d’un bélier fantastique possédé par le roi de Colchide. Jason rassemble cinquante compagnons dont Héraclès, Orphée, Castor et Pollux… Ils vogueront sur un navire construit par un charpentier dont il porte le nom : Argô. Les Argonautes affrontent moult périls. En Colchide, Jason doit soumettre deux taureaux à la gueule de feu et affronter des guerriers de bronze. Il réussit grâce à la fille du roi, Médée, à la fois pleine de sagesse et redoutable magicienne. Andrea Marcolongo est fascinée par le personnage de Médée qui « représente toutes les femmes qui habitent en nous ». Elle se fait même tatouer dans le dos les mots « ferox invictaque » (farouche et indomptable) qui qualifient Médée selon le poète latin Horace.
Médée et Jason sont amoureux. Citons au moins une fois les beaux vers d’Apollonios de Rhodes : « Mais eux, muets et sans voix, se tenaient l’un auprès de l’autre, pareils à ces chênes ou à ces hauts sapins, enracinés dans la montagne, qui, d’abord immobiles faute de vent, se mettent ensuite, dès qu’un coup de vent les agite, à murmurer sans fin : tous deux allaient ainsi converser longuement aux souffles d’Amour ». Andrea Marcolongo décide de ne considérer que ce moment de grâce. Et de laisser de côté l’abandon ultérieur de Médée par Jason et la terrible vengeance de la magicienne. Dans son livre « La part du héros », c’est la conquête de soi qui est le vrai sujet.
Andrea Marcolongo affirme : « Par ces temps cyniques , apeurés, presque déboussolés, qui sont les nôtres, il n’y a rien de plus grec que de rejeter le mètre stérile de l’utilitarisme et de la banalité dominante pour redécouvrir l’enchantement d’être des hommes appelés à vivre chaque jour dignement et pleinement, comme seuls les Grecs savaient le faire et l’ont toujours fait ». Qu’est-ce qu’un héros ? C’est celui qui décide de sa vie. Qu’est-ce qu’une victoire ? Moins un triomphe sur l’adversaire que le combat lui-même, quelle que soit son issue. « Nous avons tous en nous un potentiel héroïque que seul le départ en mer peut nous faire redécouvrir » écrit-elle. C’est toujours le moment de larguer les amarres, l’art difficile et terrible de se mettre en route en se dépassant soi-même pour devenir grands.
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