C’est un livre dont le titre résonne familièrement à nos oreilles sans qu’on l’ait forcément lu ou que l’on sache précisément de quoi il s’agit : La Vie d’un simple, d’Émile Guillaumin, précieux témoignage sur la vie paysanne au XIXe siècle, est constamment réédité.

Sur la couverture sépia, trois agriculteurs à la même chemise claire et au même chapeau de paille fauchent un champ d’un même geste délié. C’est un geste disparu, celui d’une agriculture d’avant la mécanisation, d’un monde paysan qui n’est plus depuis longtemps. Et pourtant, ce livre publié pour la première fois en 1904, puis réédité en 1943, est constamment réimprimé depuis son entrée au Livre de Poche en 1977. 150 000 exemplaires écoulés depuis lors, le dernier retirage date du début de l’année.
Si La Vie d’un simple continue à se vendre, c’est sans doute qu’Émile Guillaumin, écrivain paysan et syndicaliste agricole, né en 1873 et mort en 1951 à Ygrande, près de Moulins (Allier), nous parle encore. Sinon de nos vies actuelles, du moins de nos origines : en remontant de trois ou quatre générations, nous sommes tous des paysans.
Ce roman inspiré de la destinée d’un vieux voisin, et nourri de l’expérience personnelle de l’auteur, emprunte la forme du récit : celui du dénommé Tiennon, obscur métayer dont le parcours de vie se confond avec le cours du XIXe siècle. La Vie d’un simple parle autant de la permanence du monde paysan que des lents changements qui le travaillent durant la période, avec l’écho lointain des événements politiques parisiens : les révolutions de 1830 et 1848, le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, l’instauration de la République... La guerre de 1870 est plus tangible, avec le manque de bras pour les récoles et la crainte de perdre ses fils appelés sous les drapeaux. Mais ce sont les faits et les drames du quotidien qui occupent le premier plan : les peurs d’un enfant livré à lui-même par un père défaillant, des amours pas très romantiques, les naissances, les déménagements, et puis les maladies, les accidents, les décès, les calamités naturelles, les revers de fortune et les mauvais investissements…
La Vie d’un simple parle du lien avec la terre, de la fierté de faire fructifier son bien ou d’agrandir son troupeau, et de l’exploitation des métayers par des propriétaires qui peuvent les congédier d’un mois sur l’autre. Pour autant, les rapports ne sont pas à sens unique. Et tout en mesurant le poids de son ignorance, Tiennon aspire à améliorer sa condition et celle de ses enfants. Pas de lyrisme déplacé, aucun effet de style : c’est à la fois documentaire et incarné. Le ton est juste et l’écriture nullement datée.
La pérennité de La Vie d’un simple tient probablement au fait qu’il n’a guère d’équivalent dans la littérature française. La paysannerie berrichonne des romans de George Sand, La Mare au diable ou François Le Champi, reste décorative. Émile Guillaumin était également très critique envers la vision caricaturale des paysans, entre bestialité et avarice, qu’offrait Zola dans La Terre, 15e volume de la saga des Rougon-Macquart, paru en 1887. Et si le natif du Bourbonnais expliquait s’être lancé dans l’écriture de ce livre après avoir lu Jacquou le Croquant, d’Eugène Le Roy, il n’a rien copié de son genre éminemment romanesque.
Tiennon n’est ni un héros, ni un homme exemplaire, et il ne lui arrive rien d’extraordinaire. C’est justement pourquoi nous croyons pouvoir retrouver sous ses traits le portrait de ceux qui furent nos arrière ou arrière-arrière-grand parents, et dont Émile Guillaumin nous donne à connaître de quoi était faite leur vie, et ce qu’ils pensaient.
La Vie d’un simple, Émile Guillaumin, Le Livre de poche, 6,20 €.
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