Agrégé d'histoire et docteur en histoire Jean-Paul Martin est l’auteur d’un imposant ouvrage de référence « La Ligue de l’enseignement. Une histoire politique (1866-2016) » paru aux Presses universitaires de Rennes. A la suite du décès de Geneviève Poujol il nous fait l’amitié de nous autoriser à reproduire une notice publiée dans la Lettre d'information de l’Institut Tribune Socialiste (ITS) n° 59, avril 2023. L'ITS a été fondé par d'anciens membres du PSU (Jean-Paul Martin a relaté son engagement dans cette aventure) pour faire revivre la mémoire de ce parti et pour proposer des idées en faveur d' un socialisme du XXIè siècle.

Geneviève POUJOL est décédée le 27 mars 2023 à la maison de retraite protestante des Diaconesses à Paris, 12ème arrondissement. Elle était née le 2 novembre 1930 à Toulon.
Elle est Issue d’une vieille famille protestante cévenole, dont le berceau est à Vébron en Lozère. L’un de ses frères, Jacques, était un historien du protestantisme et de la Résistance en Cévennes (il a été lui-même résistant). Son père, Pierre POUJOL, agrégé de lettres, animateur du « Christianisme social », membre de la SFIO entre les deux guerres, avait fondé à Paris une des premières troupes d’éclaireurs unionistes (protestants).

Geneviève Poujol baigne très jeune dans le scoutisme protestant et y rencontre Michel Rocard dans un camp de ski de chefs et de cheftaines à la fin des années 1940. Ils se marient à Vébron en juillet 1954, et ont deux enfants : Sylvie (1956-2008) et Francis (né en 1957), devenu un astrophysicien internationalement reconnu.

Son premier militantisme, notamment à l’UNEF, date de son passage à la faculté de droit où, entre 1953 et 1956, elle se lie avec Claude Quin (alors jéciste) et Henri Leclerc. Elle milite ensuite avec Michel Rocard au PSA, puis l’accompagne en Algérie pour son stage de sortie de l’ENA (d’où sortira le fameux « rapport Rocard » sur les camps de regroupement…). Ils adhérent ensemble au PSU dans la section du 6e arrondissement, mais s’y sentant peu à l’aise, elle préfère les rencontres personnelles qu’organise le couple, notamment avec Marc Heurgon et Hubert Prévot (qui était le parrain de sa fille Sylvie).

Ses engagements ne consistent cependant pas à rester dans l’ombre de Michel Rocard. D’abord ils sont multiples, et ont pour points d’ancrage, au-delà du PSU, le mouvement Jeunes femmes (issu du monde protestant), Peuple et Culture (où elle rencontre Jean Gondonneau ; elle y est responsable de la commission féminine en 1961), la CFDT (où elle rencontre Jeannette Laot), la ‘Maternité heureuse’ (préfiguration du Planning familial) … avec comme centres d’intérêt principaux les questions du travail féminin et de la contraception. Elle adhère ainsi à un certain féminisme, typique des années 60, très marqué par les personnalités d’Evelyne Sullerot ou de Colette Audry. C’est à l’instigation de Colette Audry qu’elle rejoint la Commission nationale du PSU chargée des problèmes féminins. Dans ce cadre, elle anime des actions de formation et publie, de 1966 à 1968, une douzaine d’articles dans Tribune Socialiste (sous la signature de Geneviève Servet), tout en préparant la rédaction de son premier livre, Sois belle et achète. La publicité et les femmes, publié en 1968 (avec Colette Gutmann).
Son parcours scolaire et universitaire n’avait pas été linéaire : elle a commencé successivement des études de médecine et des études de droit, sans les achever, et s’est lancée sur le tard, à partir de 1967, dans la sociologie.

Lorsque Michel Rocard la quitte, en 1969, elle traverse un moment difficile et, pour le surmonter, s’investit dans les études et la recherche (elle deviendra docteure en sociologie en 1976). Elle entre comme sociologue à l’INEP (Institut national d’éducation populaire) de Marly le Roi, organisme dépendant de Jeunesse et Sports, où elle ne rencontrera pas précisément le lieu dont elle rêvait, mais où elle réussira comme rédactrice en chef de la revue Les Cahiers de l’Animation, et, à l’extérieur, comme inspiratrice de la Société française des chercheurs sur les associations (SFCA), à agréger un moment autour d’elle des réseaux de chercheurs qui s’investissaient sur des thématiques jusqu’alors un peu marginales comme le socio-culturel, les métiers de l’animation, l’éducation populaire, la vie associative. Elle contribua notamment à impulser le volet socio-historique de ces sujets, soit par ses propres travaux (sa thèse, La dynamique des associations, en 1976, portait sur la genèse comparée de trois grandes associations, l’Association catholique de la jeunesse française, la Ligue de l’enseignement, les Unions Chrétiennes de jeunes gens), soit en donnant l’impulsion aux premiers colloques sur l’histoire de l’éducation populaire organisés à l’INEP. Son petit livre L’Education populaire : histoires et pouvoirs, qui venait à son heure en 1981 a rencontré un large écho dans un public militant. Elle est également à l’initiative d’un précieux Dictionnaire des militants, de l’éducation populaire à l’action culturelle (1996, avec Madeleine Romer).
A la fin de sa carrière, elle avait rejoint l’équipe de Renaud Sainsaulieu au Centre d’Etudes sociologiques et avait renoué à la fois avec le protestantisme et le féminisme, cette fois comme objets d’études, en publiant Un féminisme sous tutelle. Les protestantes françaises (1810-1960) (2004).
Jean-Paul MARTIN

Source principale :
Jean-Marie Mignon, « Geneviève Poujol, une vie », in Un engagement à l’épreuve de la théorie. Itinéraires et travaux de Geneviève Poujol , (s dir. F Lebon, P Moulinier, JC Richez, F Tétard), L’Harmattan, 2008, p 17-45. https://www.persee.fr/issue/debaj_1275-2193_2008_mel_22_1
Cet ouvrage collectif est intégralement en accès libre. Il contient une vingtaine de contributions passionnantes sur Geneviève Poujol et sur l’éducation populaire.
Voir également :
« Des droits des femmes au féminisme- la participation du parti socialiste unifié à la lutte des femmes pour leur émancipation (1960-1990) » Jean-Claude Gillet avec la collaboration de Josette Boisgibault – dossiers et documents de l’ITS – Editions du Croquant – 2021.