Cette rencontre était animée par la revue "Revue et corrigés"
Une table ronde réunissait Vincent Paul-Boncour, directeur de Carlotta Films; Antoine de Baecque, historien, critique de cinéma et de théâtre; Alexis Hyaumet fondateur de la revue "Revue et corrigés"; Jean-Baptiste Thoret, réalisateur, historien et critique cinématographique; Marc Cerisuelo, professeur en Histoire et esthétique du cinéma à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée
La définition du “film de patrimoine” pour le CNC est un film âgé de plus de 10 ans ou datant d’avant le 31 décembre 1999 (pour des aides de restauration plus élevées).
Vincent Paul-Boncour travaille sur des des films qui ont environ 20 ans d’âge soit une génération humaine (même s’ils paraissent récents). Pour le faire exister de nouveau en DVD ou au cinéma, afin de le faire découvrir aux nouvelles générations. Il existe une envie du public de pouvoir découvrir ces films. Les jeunes ne connaissent pas les films d’il y a 20 ans.
Marc Cerisuelo précise que l’édition de DVD est justifié (bonus, format respecté, permet de restaurer les films…). Les questions soulevées par le film de patrimoine ont besoin d’être suivi si le replay remplace le DVD. A quoi sert le replay? Il ne peut remplacer le DVD dans son accès aux oeuvres auprès des savants (chercheurs) et des cinéphiles (ce qui aime l’audiovisuel). Un film de patrimoine a besoin d’être accompagné, des outils pédagogiques sont nécessaires. Ce sujet soulève de plus en plus d’interrogations.
Jean-Baptiste Thoret rajoute que le film de patrimoine est une manière de contrarier le flux contemporain (la vitesse de consommation des films entre autres). La disparition du support physique n’inclut pas le même rapport aux oeuvres (un disque dur est différent du DVD), ni la même mémoire du savoir avec une consommation à n’en plus finir comme sur Netflix où le consommateur est passif et attend qu’une liste de lecture se crée pour lui. L’époque actuelle est contre l’idée qu’il faut prendre de la distance et prendre le temps de regarder et de découvrir. Remettre en perspective est très intéressant. Le patrimoine est alors une façon de perturber l’idiotie du contemporain, la circulation des oeuvres est permise et désirables surtout si elles sont mélangés avec d’autres oeuvres contemporaines (par exemple Mr Smith va au Sénat et les fake news). Les films de patrimoines, muet et/ou en noir et blanc font peur.

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Antoine de Baecque donne alors son explication. Pour moi, le film de patrimoine est figé, vieux, c’est le contraire de la création. Le festival Cannes 1939 a permis de changer sa vision des choses. Ce festival permet d’armer le patrimoine, de lui donner un manifeste contre les choses qu’on n’aime pas aujourd’hui. Ce cinéma permet de résister contre le flux actuel, contre le fait de tout garder. La philosophie de Monsieur Langlois, le fondateur de la Cinémathèque Française était de tout garder mais de montrer peu. Les films de Cannes 1939 ne trouvent pas leur place, ils n’existent que si on montre la sélection. 1939 est différente de 2019 et en même temps si similaire. Mr Smith va au Sénat peut être vu comme un pamphlet contre Trump. Un film posant une question à l’histoire peut rentrer dans le film de patrimoine.
Vincent estime qu’une démarche d’accompagnement est importante pour les films de patrimoine.Les gens n’achètent pas les DVD des films qu’ils ne connaissent pas. Il n’est pas évident pour les jeunes générations de voir des films connus dans l’histoire du cinéma. Si on ne les montre plus, ils disparaissent. C’est un travail au présent voir au futur pour découvrir l’histoire du cinéma dans le monde (Ex : Auzou, certains films n’ont jamais été vus). Un travail de guide ou de prescripteur est nécessaire. Il faut aussi contrer le fantasme de dire que tout est visible et disponible.
Jean-Baptiste affirme que les médias s'appuient sur l’actualité, non sur le reste. Comme dans le film Le guépard, ils rejouent la même scène car ils ne savent pas comment la société va évoluer et ils font donc ce qui a plus ou moins marchés. L’actualité inclut ce qui vient de sortir mais pas seulement. On ne doit pas tout critiquer mais plutôt choisir ce que l’on critique (par exemple, une revue de cinéma n’a pas besoin de faire une critique par film lors de leur sortie.) Il vaut mieux repenser le rapport au nouveau et déchronoliger les films (faire un article sur un film restauré de 1939, puis 2019, puis 1976 car sortie en DVD, etc…).
Antoine rappelle et insiste sur le fait que le film de patrimoine a besoin d’être entouré et suivi par des spécialistes de ce film. Que des interventions sur le contexte, ou ce qui est important dans ce film, soient mises en place.
Marc suppose qu’en France existe une culture de la cinéphilie. On nous éduque à la cinéphilie au lycée, à l’université. Nous sommes des passeurs (la dernière séance, les cinémas de minuit…).
Jean-Baptiste lance un appel pour éditorialiser le catalogue et les fonds de Canal Sat et des autres chaînes qu’il apparente à des mines d’or. Le cinéma de genre et d’auteur sont à voir ensemble pour se comprendre l’un l’autre. Le film de genre marche trois à quatre fois plus qu’un grand classique dans les ventes actuelles.
Vincent explique qu’il faut suivre l’ère du temps et répondre aux désirs du public. Vampire, vous avez dit Vampire n’est pas un chef d’oeuvre mais il plaît. Il est encensé par ceux qui l’ont vu ado dans les années 80 et souhaitent le montrer à leur enfants. Autopsie d’un meurtre est un chef d’oeuvre mais il se vend moins. Il est moins original de sortir un De Palma qu’un Carpenter. On tient au support physique car le public y tient encore. Les mélanges entre différents supports (texte, ouvrage et films) se font de plus en plus.
Antoine donne alors l’exemple de la recherche des films du festival Cannes 1939. Environ la moitié viennent de recherches dans les cinémathèques, les autres viennent principalement du catalogue France, URSS et USA. Les USA avaient droit à 8 films, l’URSS et la France 4 films (Jean Zay rajoutera La France est un empire aux quatre films).
En tout, il y a 38 films et 29 sont projetés à Orléans.
Vincent, suite à une question du public, explique qu’il est compliqué de faire un coffret Cannes 1939. Il est difficile d’obtenir les droits, les licences pour autant de films. De plus, historiquement, la cinéphilie en France est plus centré sur le cinéma d’auteur (sur les réalisateurs et non sur un genre ou sur des acteurs).
Jean-Baptiste réfléchit aussi à la notion de packaging quand on sort un film. Il donne comme exemple Mandingo, un film sur l’esclavage. Sur la jaquette se trouve le titre et le nom du réalisateur. Ces deux éléments et la date devraient toujours être ensemble, être considérées comme un seul élément. Ces informations sont essentielles. Il faut aussi prévoir au maximum des bonus permettant de replacer l’oeuvre dans son contexte. Chaque film a son type d’accompagnement éditorial (analyse de séquence, prolongement, reportage…). Raconter le film, l’ouvrir, montrer qu’il est un objet dans le monde (par son auteur, par l’histoire du cinéma, et comme témoin de son temps ou en avance). Il est difficile de savoir si les gens achètent le film pour ses bonus ou non. Cela pose aussi la question de son accessibilité. Ou va le film de patrimoine? Est-il plus accessible sur une plate-forme? Avec les rachats de compagnie, l’accessibilité de certains films peut être plus compliqué. Alien (1979), par exemple, fête ses 40 ans mais Disney ayant rachetés les droits a interdit plusieurs projections et festivités d’anniversaire. Néanmoins, on constate que l’appétence pour le cinéma de patrimoine est plus forte chez les jeunes. Quand atteindra-t-on le socle du nombre de cinéphiles où on ne descendra plus? Les films de patrimoines sont beaucoup de petits marchés et non un grand marché unique. Il faut connaître son périmètre et jouer sur les supports (la 3D n’a pas marché, le virtuel ne remplace pas les supports analogiques).
Antoine surenchérit en expliquant qu’il n’arrive pas à voir un film sur une plateforme. Il préfère assister à des présentations, projections-débats. Il estime qu’à l’intérieur des niches, on peut vivre à la marge du système. Il suffit de quelques milliers de personnes pour que des projets comme la Cinétek existent.
Vincent conclut en rappelant que la fréquentation des salles de cinéma reste très importante en France, que les achats blu-ray ou DVD de films de patrimoines sont des marchés de niche ne baissant pas, que les rapports humains sont de plus en fort et que bien qu’il faille aller chercher le public cible, une réelle appétence pour ce genre de film existe et est présente.
Bravo à Alexis Hyaumet d’avoir su être un bon présentateur, d’avoir réussi à donner la parole à chaque intervenants et d’avoir conclu avec une très belle phrase :
“Nous pouvons rêver à l’avenir du patrimoine puisqu’il y a déjà un présent”
Bravo à tous les intervenants pour leur constat et leur rappel de certaines notions importantes. Souhaitons nous aussi une longue vie aux films de patrimoine (mondial de préférence).

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