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Billet de blog 9 décembre 2021

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Jean Dytar, #J’accuse… !

Dans une bande dessinée très originale, Jean Dytar revient sur l'affaire Dreyfus.

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Illustration 1

« Dreyfus, cette fameuse Affaire qu’on évoque sans vraiment la connaître, je suis allé l’explorer, voir ce qui s’est écrit dans la presse en cette fin de XIXe siècle, lire les témoignages des protagonistes, comprendre quels rapports de force étaient alors à l’œuvre, par quels rouages les choses se sont configurées. Et j’ai été tout simplement sidéré par les résonances avec notre époque… »

Si, telle qu’il l’expose, la démarche de Jean Dytar était séduisante, le fruit de celle-ci est une totale réussite. Car #J’accuse… ! est bien plus qu’une synthèse érudite ou un bon ouvrage de vulgarisation destiné au jeune public. Pour se donner les moyens de son ambition, l’auteur a imaginé une mise en récit aussi prenante que rigoureuse, aussi vivante que documentée. Lui-même présente son #J’accuse… ! comme un « objet hybride à mi-chemin entre la bande dessinée, la presse illustrée du XIXe siècle et les dispositifs médiatiques contemporains », et tout particulièrement ceux issus du Web 2.0 : journaux numériques, réseaux sociaux, plateformes vidéo…

Faute de l’avoir en main, il faut visualiser l’objet : un ouvrage broché au format paysage, inséré dans un coffret qui prend l’apparence d’une machine à écrire lorsqu’on l’ouvre. Mais l’essentiel du dispositif narratif est ailleurs : chaque page est conçue comme la fenêtre numérique d’un écran d’ordinateur, d’un seul tenant lorsqu’elle s’ouvre sur la une d’un journal ou le texte d’un article, et séparée en quatre cases lorsqu’elle reproduit l’un des quatre grands témoignages qui permettent de suivre le fil d’une Affaire aussi longue (1894-1906), que riche en rebondissements. Il s’agit de ceux de Mathieu Dreyfus, le frère de l’officier accusé et son plus fidèle soutien, du journaliste Bernard Lazare, qui fut le premier à « sortir » l’affaire dans la presse, du sénateur Auguste Scheurer-Kestner, qui relaya la demande de révision au niveau politique, et bien évidemment d’Émile Zola, qui entre en scène plus tard mais donne alors une dimension déterminante à l’Affaire avec son tonitruant « J’accuse », publié sur toute la une dans l’Aurore avec l’appui de son directeur Georges Clémenceau, au moment même où les autorités publiques croyaient l’avoir définitivement enterrée.

On devinera sans mal les modèles actuels des moteurs de recherche baptisés « Le bon Tuyau » ou « Hourrah ! », tout comme l’on sourira devant la mise au goût graphique d’avant-hier de Facebook (alias « Le Trombinoscope »), d’Instagram (« Le Graphogramme ») ou de Twitter. Mais il ne faut pas y voir de simples coquetteries ou clins d’œil. Cette présentation à l’anachronisme assumé permet de faire dialoguer les époques : à bien y réfléchir, les harangueurs nationalistes et les politiciens adeptes des vérités alternatives d’aujourd’hui ne sont-ils pas d’inquiétantes caricatures des Édouard Drumont, Henri Rochefort et autres Paul Déroulède et Charles Maurras ? Le lecteur ignorant de l’affaire ou ayant oublié peu ou prou certains de ses épisodes prendra conscience de tous ses aspects, de toutes ses nuances et de toutes ses complexités, et surtout de l’intolérable infamie que celle-ci demeura d’un bout à l’autre : la compromission et la lâcheté de l’armée et des gouvernements successifs, la virulence de l’antisémitisme entretenu dans la population par une bonne partie de la presse, l’aveuglement idéologique forcené faisant obstacle à la plus élémentaire justice. Et pour finir le triomphe de la vérité après la mobilisation des « intellectuels », mais assorti de la pitoyable amnistie de tous les acteurs de l’affaire.

Passionné par cet emblématique conflit de valeurs, Jean Dytar avait déjà interrogé la lutte entre le déterminisme religieux et la liberté humaine à travers la figure du poète médiéval iranien Omar Khayyâm (Le sourire des marionnettes, 2009), et s’était aussi intéressé aux projets coloniaux français et anglais en Amérique du Nord au temps des guerres de religion (Florida, 2018). Celui qui souhaite en savoir davantage sur sa démarche et les choix opérés parmi les nombreuses sources pourra se reporter au dossier figurant sur son site personnel www.jeandytar.com Son #J’accuse… ! est aussi le support de première exposition de la Maison Zola-Musée Dreyfus de Médan (Yvelines), ouverte en octobre dernier. Une occasion supplémentaire de se pencher sur une Affaire qui reste malheureusement d’une brûlante actualité.

Philippe Brenot, journaliste

#J'accuse...! - Interview de Jean Dytar © Editions Delcourt

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