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Billet de blog 11 avril 2025

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Georges Navel, poétique de la dignité ouvrière

On réédite Georges Navel ! L’occasion de redécouvrir l’auteur qui, par ses récits autobiographiques, donna après-guerre ses lettres de noblesse à la condition ouvrière. Un article de Philippe Brenot, journaliste.

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Georges Navel "Hésiode syndicalise"

En février trois livres de Georges Navel ont été réédités: "Passages" par les éditions L'Echappée, "Parcours" et "Prés des abeilles" par les éditions Gallimard.

« Un réfractaire. » Ainsi Georges Navel (1904-1993) se présente-t-il dans le documentaire réalisé deux ans avant sa mort dans sa retraite de Laval-d’Aix (Drôme). « Réfractaire », le futur écrivain l’était déjà à douze ans, quand il quitta en cours d’année la « boite à curés » où l’avaient imprudemment placé ses parents. Expulsés de leur village lorrain de Maidières par la guerre de 14-18, ceux-ci s’étaient repliés à Lyon et leur treizième et dernier enfant, qui  était encore plus rétif à l’ennui qu’à la discipline, était impatient de découvrir la vie. La vie ouvrière, celle de son père et ses frères, dont il devint le chantre inspiré avec Travaux, paru en 1945 : son récit fondateur, salué par la critique mais qui pâtit de la pénurie de papier, qui retarda le retirage d’une première édition vite épuisée.

En vingt-cinq courts chapitres, Georges Navel y relate ses multiples expériences dans des ateliers industriels, chez Citroën, sur des chantiers de construction, de peinture et de terrassement, dans les jardins, les vignes et les champs de blé ou de lavande, jusqu’à son retour en usine. Les cent expériences d’un « réfractaire » dont la susceptibilité à l’égard de toute injustice ou abus d’autorité n’avait d’égal que l’envie de courir le monde, avant que le déserteur Navel ne soit tardivement rattrapé par le service militaire.

À la Libération, Georges Navel se fit ensuite apiculteur dans le Var. Une expérience relatée dans Près des abeilles, texte extrait de Chacun son  Royaume et aujourd’hui édité isolément chez Gallimard avec une préface de Jean Giono, qui présentait cet ouvrage comme « Les Travaux et les Jours d’un Hésiode syndicaliste », en référence au poète grec du VIIIe siècle avec notre ère.

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Anarcho-syndicaliste aurait peut-être été plus juste, tant Georges Navel fit tôt siennes les idées de son frère Lucien, qu’il accompagnait dans des réunions révolutionnaires contées dans Passages avec chaleur et une précision de détails qui traduisent la forte impression laissée chez le jeune homme par l’érudition et l’humanité des orateurs ouvriers de ces soirées. Puis vinrent les désillusions du début des années 1920 et le début des labeurs errants de l’auteur.

La beauté de la prose et la richesse du vocabulaire ne laissent pas d’étonner chez un autodidacte ayant quitté l’école si tôt. Avec elles, Navel raconte comme aucun autre une dignité ouvrière faite de gestes appris et maîtrisés afin d’économiser la peine et de solidarités d’atelier, de chantier et de travaux des champs. Ceci en se gardant de toute récupération idéologique ni se revendiquer d’une quelconque littérature prolétarienne.

Ce qui n’est pas moins formidable, c’est la façon dont, à des décennies de distance, Georges Navel retravaille la matière du souvenir, à l’image des cent premières pages de Passages (1982), qui racontent la première année de la guerre de 14-18 à hauteur d’enfant, depuis son village lorrain pris et repris par Français et Allemands.

Dans l’entretien testamentaire accordé à FR3, Georges Navel n’hésite pas à évoquer Rimbaud pour expliquer qu'il plaçait haut la barre. Il explique aussi qu’il n’est en rien romancier mais écrivain du réel.

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La remarquable notice signée par Thierry Maricourt dans son Histoire de la littérature libertaire donne de précieux repères biographiques et cerne parfaitement le personnage qui, après 1954, devint correcteur d’imprimerie, ultime profession exercée de 1961 à 1970 à L’Humanité. Thierry Maricourt nuance toutefois son éloge en regrettant « un sentiment de distance, de froideur, qui règne dans chacun des volumes que l’écrivain a publiés ». Dans sa préface à la réédition de Parcours, le romancier contemporain Sylvain Prudhomme y voit plutôt une « écriture tenue, pudique ».

Et si Georges Navel était « réfractaire » jusque dans son style, dépouillé et limpide ? Un style qui justifie pleinement les rééditions qui viennent heureusement contredire Danièle Sallenave. Dans son récent livre de mémoire, Splendide promesse, l’académicienne consacre plusieurs pages à Georges Navel en déplorant qu’il soit si oublié. On lui pardonne cette erreur de jugement, en la remerciant de nous souffler cette formule inspirée : « Splendide promesse », comme celle d’une œuvre à redécouvrir.

Philippe Brenot, journaliste. 

Georges Navel, les mots à mains nues (1904-1993) France culture 24 novembre 2018

Pourquoi l'ouvrier Georges Navel est-il devenu un révolutionnaire désenchanté ? France culture 7 juin 2024

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