Condorcet est réputé être l’inspirateur historique de l’éducation populaire. Si le philosophe des Lumières reste une référence incontournable, la réception de son œuvre connait des lectures diverses et des périodes plus ou moins fastes. Frédéric Chateigner est maître de conférences en science politique à l’Université Rabelais de Tours. Il est docteur en science politique après la soutenance d’une thèse : « "Éducation populaire" : les deux ou trois vies d’une formule ». Celle-ci est une ressource intellectuelle de premier plan. Elle est intégralement accessible en ligne. Frédéric Chateigner a notamment été chargé d'études à la Ligue de l'enseignement. Il est un des contributeurs, avec Joël Roman, à l’ouvrage de Jean-Paul Martin « La Ligue de l'enseignement. Une histoire politique » paru aux Presses Universitaires de Rennes en 2016.
Dans un numéro de la revue « Sociétés contemporaines » consacré aux théories en milieu militant, Frédéric Chateigner a publié un article intitulé « Considéré comme l'inspirateur... Les références à Condorcet dans l'éducation populaire ». Il faut savoir être lucide sur sa propre histoire si on veut porter de manière à la fois sincère et efficace ses idéaux. Une lecture attentive de l’analyse serrée faite dans cet article mérite d’être faite.
L’auteur nous rappelle que Condorcet, député à l'Assemblée législative, est rapporteur du Comité d'instruction publique. Il présente cinq Mémoires sur l'instruction publiques, puis un Rapport sur l'organisation générale de l'instruction publique les 20 et 21 avril 1792. Ce rapport est assorti d’un projet de décret. C’est le Rapport, et non les Mémoires dont il se nourrit, qui fait l'objet de l'essentiel des citations et rééditions. Le Rapport accorde à l'éducation extra-scolaire ou postscolaire une place éminente. Il affirme que l'instruction ne doit pas « abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles » mais durer « pendant toute la durée de la vie ». Condorcet inventorie les enseignements utiles aux adultes : entretien des connaissances acquises à l'école, diffusion des savoirs, agronomiques et économiques, apprentissage de « l'art de s'instruire soi-même » en utilisant dictionnaires, cartes, récits, notes…
Mais, relève Frédéric Chateigner, la maigre diffusion des Mémoires, en privant le Rapport d'une sorte de commentaire naturel, rend celui-ci encore plus disponible à des appropriations divergentes, qu'elles soient successives (scolaires dans les années 1880, socio-culturelles dans les années 1960) ou simultanées et concurrentes. Des interprètes pourront ainsi citer le Rapport prioritairement comme un modèle de système scolaire. L’auteur détaille la réception des textes de Condorcet, notamment au travers des travaux d’une quinzaine d’auteurs, de Bénigno Cacérès à Frank Lepage, en passant par Charles Coutel et Catherine Kinztler auxquels la Ligue de l’enseignement avait confié la réédition des Mémoires et du Rapport dans sa maison d’édition Edilig en 1989. Pour autant l’engagement néo-républicain de ces deux auteurs contraste avec l’appropriation des textes de Condorcet par la Ligue elle-même. Une illustration parmi d’autres de la diversité de la postérité de Condorcet…